Cet article n’a pas pour ambition de dresser un tableau exhaustif des industries culturelles argentines(1). Il s’agit plutôt de donner quelques clés pour appréhender leur rôle et leur place dans l’Argentine d’aujourd’hui, non seulement en termes économiques, mais aussi politiques, législatifs et identitaires. De fait, la réflexion menée depuis quelques années sur ce thème en Argentine tant par les chercheurs, que les pouvoirs publics ou les acteurs de ce secteur s’inscrit dans un mouvement plus large qui, à l’échelle mondiale, envisage les industries culturelles à travers le concept de « diversité culturelle » .Le thème de la valorisation et de la protection de la pluralité des expressions culturelles, aussi bien nationales que locales, la crainte d’une homogénéisation de la culture au niveau mondial et la question du statut des biens et services culturels, au-delà de leur valeur marchande, constituent de fait les termes d’un débat qui a lieu autant à l’intérieur qu’à l’extérieur des frontières argentines. Nous verrons donc ici comment s’articulent, sur ce terrain, les enjeux propres à ce pays et les dynamiques qui se jouent à l’échelle supranationale.
Les industries culturelles argentines se caractérisent par leur concentration, aussi bien économique que géographique, la ville et la province de Buenos Aires occupant une place centrale dans ce domaine. L’ensemble de ces industries représente aujourd’hui à peu près 3 % du PIB argentin(2) et mobilise environ 200 000 emplois (soit 2 % de la population active). Le secteur connaît un certain dynamisme : le nombre d’emplois qu’il a générés a de fait augmenté de 11,5 % entre 2006 et 2007, ce qui constitue une hausse supérieure à celle des autres activités(3).
Un véritable effort est donc mené depuis quelques années pour une plus grande visibilité des industries culturelles et une véritable évaluation de leur impact sur l’économie et la société argentines.Il s’agit de l’Observatoire des industries culturelles du gouvernement de Buenos Aires, du Laboratoire des industries culturelles du secrétariat à la Culture de la Nation et du Système d’informations culturelles de l’Argentine (SInCA). Ce dernier offre, entre autres, une série de cartes sur la distribution géographique de différents secteurs d’activité (radios, maisons d’édition, chaînes de télévision gratuites, journaux, agences d’information…), ainsi qu’un outil de recherche permettant d’avoir accès aux statistiques de chacun d’entre eux. Un véritable effort est donc mené depuis quelques années pour une plus grande visibilité des industries culturelles et une véritable évaluation de leur impact sur l’économie et la société argentines. Cette prise de conscience se joue autant au niveau national que régional.
Consolider et soutenir l’entrepreneuriat argentin dans le domaine culturel apparaît nécessaire afin que la population de ce pays ne se transforme pas en consommatrice passive de biens conçus et produits ailleurs.L’attention portée à ces dernières est à mettre en relation avec la volonté de protéger le tissu économique argentin, d’éviter que le secteur soit entièrement dominé par de grandes entreprises étrangères. Autant qu’une préoccupation économique, cette position traduit une préoccupation, qui n’est pas spécifique à l’Argentine : en tant que productrices de biens symboliques, les industries culturelles sont de plus en plus perçues comme des actrices essentielles dans l’existence et l’affirmation de l’identité d’une nation. Consolider et soutenir l’entrepreneuriat argentin dans le domaine culturel apparaît nécessaire afin que la population de ce pays ne se transforme pas en consommatrice passive de biens conçus et produits ailleurs. On retrouve là l’idée que « […] la culture, qui constitue souvent l’un des fondements des identités nationales, porte aussi en elle-même des éléments de désagrégation de ces identités, tant elle est travaillée désormais par des ferments transnationaux.(16) ». Le texte présentant la « caisse à outils » du Laboratoire des Industries Culturelles est à cet égard révélateur, débutant de la sorte :
Le secteur éditorial est assez emblématique du processus de libéralisation et de concentration qui a eu lieu dans les années 1990.À la fin de cette décennie, 20 maisons d’éditions dominaient le marché et aucune d’elles ne relevait d’un capital local. Des maisons historiques comme Claridad, Emecé, Losada, Peuser et Sudamericana ont ainsi disparu ou ont été rachetées par des groupes étrangers(18).
Née en janvier 1970, le Convenio Andrés Bello est une organisation intergouvernementale œuvrant pour la coopération ibéro-américaine dans les domaines de l’éducation, des sciences et de la culture. Les membres sont alors la Bolivie, le Chili, la Colombie, Cuba, l’Équateur, le Mexique, le Panama, le Paraguay, le Pérou, le Venezuela et l’Espagne. L’Argentine en fait partie depuis 2007.
Gustavo López, Las industrias culturales en la legislación argentina, Buenos Aires, Ediciones del Centro Cultural de la Cooperación Floreal Gorini / Editorial de la Universidad Nacional de Quilmes, 2009, p. 55. Sur cette question, voir également Guillermo Mastrini (ed.), Mucho ruido, pocas leyes. Economía y políticas de comunicación en la Argentina (1920-2004), Buenos Aires, La Crujía Ediciones, 2005.