Jean-Pascal Gayant est professeur de sciences économiques à l’université du Maine (Le Mans) et l’auteur de l’ouvrage Économie du sport aux éditions Dunod. Il tient aussi un blog invité sur l’actualité de l’économie du sport hébergé par Le Monde.fr.
Pourquoi les droits de retransmission de spectacles sportifs atteignent, au fil des années, des sommes de plus en plus importantes ?
Jean-Pascal Gayant : Le spectacle du sport professionnel est un des rares contenus télévisuels qui suscite encore une convoitise de la part des diffuseurs parce que c’est un spectacle assez peu substituable et concurrencé. La demande pour le spectacle sportif télévisuel est extrêmement importante dans les pays dans lesquels se déroulent les compétitions mais aussi plus largement dans le globe.
Le droit lié à la retransmission sportive en direct prend donc de la valeur parce que les contenus que les diffuseurs peuvent valoriser sont de plus en plus rares.
Le droit lié à la retransmission sportive en direct prend donc de la valeur parce que les contenus que les diffuseurs peuvent valoriser sont de plus en plus rares. Ce contenu est essentiel pour le modèle économique des diffuseurs. On dénombre finalement peu de contenus pour lesquels leur valeur supposée demeure aussi importante et qui, de plus, croit dans le temps.
Les ligues et les fédérations organisent aussi de mieux en mieux la vente de ces droits…
Jean-Pascal Gayant : Les ligues et les fédérations, détentrices des droits, ont en effet organisé des processus d’enchères de plus en plus sophistiqués. On observe deux mouvements. Il y a d’abord la volonté de découper les droits en lots pour gagner plus d’argent. On va vendre à plusieurs diffuseurs puis saucissoner les événements pour faire monter les prix. C’est ainsi que les journées de championnat de football s’étalent maintenant sur trois jours et, à l’intérieur même de ces trois jours, sur cinq ou six tranches horaires distinctes.
Cela ressemble un peu à une bulle spéculative
Le deuxième aspect, c’est qu’on anticipe désormais les appels d’offres. Les droits TV de la Ligue 1 de la période 2016-2020 ont été adjugés en 2014, deux ans auparavant. Pareil pour le rugby. Les droits de la période 2019-2023 viennent aussi d’être attribués, trois ans avant le début de la compétition. Ces dispositions sont créées pour gonfler les droits TV et faire surenchérir les distributeurs. Cela ne manque pas d’inquiéter car cela ressemble un peu à une bulle spéculative. On n’est pas à l’abri d’une sévère correction pour les droits TV.
En France, Canal+ et BeIN Sports ne sont pas rentables financièrement. Comment expliquez-vous alors que ces chaînes payent toujours plus cher ces droits ?
Jean-Pascal Gayant : C’est d’abord une logique de survie. BeIN Sports et Canal+ sont dans des positions différentes. Canal+ est un vieux diffuseur, basé sur un modèle ancien alliant cinéma et sport. Ce modèle fonctionnait bien dans les années 80-90 mais il est aujourd’hui à bout de souffle. L’offre de cinéma et de spectacle sportif peut être facilement dissociée et l’apparition de nouveaux supports comme YouTube sont devenus de véritables concurrents. Canal+ veut conserver les droits des spectacles principaux du sport car c’est dans leur ADN mais cela se fait pour l’instant à perte. La chaîne a perdu beaucoup de spectacles et de contenus. En plus, elle n’est pas du tout sûre que la Formule 1 soit un spectacle rentable au niveau des droits payés. Idem pour les différents types de compétitions achetés dans le football. Canal+ aurait perdu, a priori, 264 millions d’euros en 2015. Une des raisons de ces pertes s’explique clairement : les droits TV achetés ont été payés trop cher, avec une nuance selon les disciplines.
BeIN Sports perd aussi beaucoup d’argent. On estime ses pertes à 250 millions d’euros par an. Mais BeIN est une chaîne qui est là pour diffuser aussi le soft power qatari. Cependant, au regard des fluctuations du prix du pétrole et du gaz, je ne suis pas sûr que BeIN puisse pratiquer longtemps une politique d’offre de spectacles à pertes avec des recettes bien inférieures aux coûts.
On assiste à une surenchère pour diffuser des spectacles sportifs entre des chaînes qui, vraisemblablement, n’y retrouveront pas leur compte.
C’est donc une situation étrange : on assiste à une surenchère pour diffuser des spectacles sportifs entre des chaînes qui, vraisemblablement, n’y retrouveront pas leur compte. Lorsqu’on voit qu’Altice a dépensé 100 millions d’euros pour les droits de la Premier League, on est extrêmement perplexe… Tout cela ressemble beaucoup à une bulle financière, une fuite en avant. L’inflation de ces droits ne manque pas d’inquiéter. Il y a un vrai risque d’éclatement de la bulle.
Peut-on définir un seuil d’audience du spectacle sportif pour que celui-ci soit rentable ?
Jean-Pascal Gayant : Il est assez compliqué d’établir le niveau de ce seuil d’audience. Le diffuseur paye des droits à la ligue mais il réalise aussi des recettes publicitaires grâce aux annonceurs qui apparaissent pendant la diffusion. Et plus il a d’abonnés, plus il peut monnayer un prix élevé pour la publicité et donc faire rentrer de l’argent pour payer les droits. Et inversement. C’est donc un cycle vertueux ou vicieux. Un seuil existe certainement mais il est très difficile à définir.
La difficulté, en particulier pour Canal+, est que l’abonnement est souscrit pour de multiples raisons (cinéma, séries, rugby, football, formule 1). BeIN est lui seulement sur le sport, ce qui est beaucoup plus facile. On pourrait imaginer que d’autres chaînes et d’autres diffuseurs se concentrent sur un seul type de spectacle sportif. C’est aujourd’hui moins cher et plus rentable de ne diffuser que du football que de vouloir diffuser tous les sports y compris le basket, le volley et la gymnastique. Difficile donc d’évaluer ce seuil d’audience mais il y a, en tout cas, des seuils en-dessous desquels on peut craindre pour la capacité des diffuseurs à survivre.
Le groupe SFR lance ses 5 chaînes sportives en juin et chacune de ces chaînes est concentrée sur un type de sport. Vous semblent-elles donc viables économiquement ?
Jean-Pascal Gayant : J’ai quelques doutes sur la stratégie générale d’Altice. Il y a de la part de M. Drahi une certaine tendance à beaucoup s’endetter pour racheter des entreprises. Sa politique très ambitieuse est très risquée.
La logique économique poursuivie par Altice pourrait être un gigantesque fiasco.
Quel que soit le modèle retenu, je suis tout de même très perplexe sur les montants engagés en regard de la capacité à faire des recettes. Les droits de sports achetés concernent des audiences très confidentielles pour des montants qui me semblent élevés. Je suis donc pour l’instant dans la plus grande perplexité dans la capacité de ces investissements à être rentables. La logique économique poursuivie par Altice pourrait être un gigantesque fiasco. Elle me paraît très dangereuse.
Les géants du web s’intéressent eux aussi de plus en plus aux retransmissions sportives. Pourrait-on assister à une déportation des événements sportifs et des droits de retransmission sur ces plateformes ?
Jean-Pascal Gayant : C’est possible. Cela dépendra beaucoup du comportement des téléspectateurs. Il y a manifestement un changement qui s’opère avec une génération plus jeune qui est beaucoup moins consommatrice de programmes télévisés au sens traditionnel, qui consomme des contenus via internet sur les smartphones, PC et tablettes.
On est effectivement peut-être dans le début d’un basculement
Pour ces nouveaux diffuseurs, il y a une vraie souplesse et une vraie facilité à être des diffuseurs qui proposeront des contenus pour moins chers où le consommateur ne payera qu’à la demande ou qu’à travers de la publicité qu’il devra subir ou encore des données qu’il devra céder comme d’habitude sans s’en rendre compte. On est effectivement peut-être dans le début d’un basculement qui rendrait très difficile la vie des diffuseurs traditionnels. C’est très compliqué de mesurer ce qu’il va se passer.
On ne sait pas non plus aujourd’hui ce que le streaming va donner pour la viabilité des systèmes de télévision à péage. Le streaming est une concurrence qui peut être très dangereuse voire mortelle pour ces télévisions. Pour l’instant, c’est une lutte du chat et de la souris. Les diffuseurs tentent de fermer les sites qui font de la piraterie et une partie des jeunes consommateurs n’envisage même pas de prendre un abonnement. En cherchant un tout petit peu, on peut en effet trouver du spectacle sportif dans des conditions d’accès tout à fait bonnes. Le streaming peut donc nuire aussi énormément aux perspectives de recettes des diffuseurs traditionnels et peut-être même aussi à celles des intervenants du web.
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