Economics and Culture : la référence en la matière

Economics and Culture : la référence en la matière

L'ouvrage de David Throsby constitue une des références incontournables de l'économie de la culture.

Temps de lecture : 5 min

L'ouvrage de David Throsby constitue une des références incontournables de l'économie de la culture. Ce livre fut en effet un des premiers textes non-techniques, accessibles tant aux spécialistes de l'économie de la culture qu'aux acteurs du secteur culturel, à conceptualiser la manière dont les outils de l'analyse économique pouvaient s'appliquer au domaine de la culture et à identifier les éléments de ce champ qui résistent le plus aux outils usuels de l'économiste. Bien que présentant de manière fort didactique certains résultats essentiels de l'économie de la culture, en particulier sur le marché du travail des artistes, les musées ou la gestion du patrimoine culturel, cet ouvrage est avant tout un programme de recherche à destination des économistes et, pour les non-spécialistes, une manière de comprendre le regard que les économistes de la culture portent sur leur sujet. À ce dernier titre, un apport essentiel de cet ouvrage est de chercher à définir précisément la valeur d'un bien culturel, et dans quelle mesure les outils d'évaluation monétaire peuvent ou échouent à rendre compte de cette valeur.

Culture et valeur culturelle

La question de la définition de ce qu'est la culture et ce que sont les biens culturels constitue un passage obligé de ce type d'exercice. David Throsby a le grand mérite de ne pas se perdre dans les méandres de ce problème en proposant trois critères qui, sans constituer une définition pleine, fournissent des outils propres à délimiter à la fois le cœur des activités culturelles que sont les beaux-arts, les arts vivants ou la littérature, ses extensions que sont les industries culturelles (musique enregistrée, cinéma) ainsi que les frontières floues, comme le design ou la mode :

  • Les activités concernées impliquent de la créativité dans leur mode de production ;
  • Elles sont centrées autour de la génération et de la communication de revenus symboliques ;
  • Leur produit comprend, au moins potentiellement, une forme de propriété intellectuelle.
Ces trois critères prennent tout leur sens quand on suit la distinction que fait l'auteur entre les motifs de nature économique, qui ne concernent au final que les individus, et les motifs culturels, qui, du fait de leur caractère de transmission symbolique, impliquent toujours une dimension collective. Par conséquent, l'idée que l'économie conditionne la culture en définissant son contexte matériel, la culture constitue réciproquement le support environnemental nécessaire aux relations économiques dans la mesure où elle fixe les possibilités d'échanges symboliques entre individus.

Un bien ou un service culturel est ainsi porteur des deux types de valeur. Par définition, pourrait-on dire, sa valeur économique peut s'exprimer par le prix de marché qui lui est associé. Sa valeur culturelle est plus complexe à saisir, et David Throsby propose d'en distinguer les éléments suivants : la valeur esthétique, liée à la reconnaissance de l'œuvre comme belle, la valeur spirituelle, en tant qu'incarnation de valeurs considérées comme essentielles par un groupe, la valeur sociale, en tant qu'elle contribue à la compréhension de la société actuelle, la valeur historique, en tant que témoignage de la société qui l'a créée, la valeur symbolique et la valeur d'authenticité. Contrairement à la valeur économique, ces valeurs ne se laissent pas réduire à une mesure unique : l'opinion d'experts, l'analyse sociologique des comportements, et celle des contenus sont nécessaires à leur évaluation.

De la valeur culturelle au capital culturel

David Throsby souligne que c'est à dessein qu'il utilise le terme de valeur pour désigner ces caractéristiques des biens culturels : si elles ne s'expriment pas en unités monétaires, ces valeurs suivent le même type de dynamique que celui suivi par le capital économique : elles peuvent accumuler de la valeur (une œuvre liée à un événement ponctuel peut prendre une signification sociale, comme la Tour Eiffel) ou au contraire se déprécier, et donnent lieu à un flux de création de valeur par l'intermédiaire de ceux qui y sont exposés ou qui en ont connaissance. De ce fait, explique-t-il, les biens culturels peuvent être abordés avec les outils d'analyse du capital que sont l'évaluation de la valeur présente et du flux de création de valeur dans le futur.


L'évolution de ce capital culturel, couplée à celle du capital économique, permet de rendre compte de l'essentiel des aspects du développement des sociétés, puisqu’elle couvre à la fois leurs conditions matérielles et l'existence d'éléments symboliques fournissant l'écosystème de ces échanges. Poussant cette comparaison entre culture et écosystème dans lequel évolue la société, Throsby démontre que les questions politiques dans le domaine culturel peuvent s'exprimer dans le langage, communément accepté, de la soutenabilité des écosystèmes, et sont soumis aux mêmes problématiques d'équité entre individus, entre générations, de maintien de la diversité, de tension entre destruction créatrice et principe de précaution.

Dans ce cadre, les flux de valeur générés peuvent profiter à des individus qui ne sont pas actuellement en contact avec les biens concernés. Il est donc possible de leur associer, en termes monétaires ainsi qu'en termes culturels, des valeurs d'option, de legs et d'existence, correspondant à ce que ces individus seraient prêts à payer pour conserver la possibilité de profiter un jour de ces biens, que leurs enfants puissent faire de même ou que d'autres personnes puissent le faire également. Dans cette optique, l'ouvrage consacre un chapitre à la manière d'évaluer ces valeurs dans le cadre de décisions de préservation ou non d'éléments de patrimoine.

Politiques publiques des arts et des industrie créatives

Dans cette perspective, il arrive souvent, dit l'auteur, que les évaluations économiques et culturelles d'un projet ne soient que très partiellement alignées : un projet ayant un fort apport culturel peut avoir des retombées économiques faibles, et inversement, un projet à fortes retombées peut être culturellement pauvre. Cet avertissement, donné dans le cadre général du patrimoine, résonne avec les avertissements répétés de Bruno S. Frey, qui signale que l'étude d'impact économique seule est une mauvaise manière de défendre un projet culturel : il est souvent aisé de trouver un projet non-culturel présentant un impact plus important. Les retombées culturelles, celles précisément que Throsby nous proposent d'identifier, doivent ainsi constituer le cœur de la proposition culturelle, et non une annexe à une étude d'impact toujours méthodologiquement problématique.


Ce type d'effet s'étend par ailleurs au-delà du patrimoine, vers les autres domaines où les pouvoirs publics peuvent être tentés d'utiliser des leviers financiers pour favoriser la culture. Ainsi, il est connu que les artistes trouvent une satisfaction propre à leur travail artistique qui induit des réponses particulières aux incitations financières. Le chapitre qui leur est consacré fournit un appareil conceptuel convaincant pour comprendre la manière dont chaque artiste alloue son temps entre les activités purement artistiques, produisant à la fois, et dans des proportions inégales, de la valeur culturelle et économique, et les activités conduisant seulement à assurer un revenu monétaire. La connaissance fine des déterminants de cette arbitrage est cruciale pour définir une politique efficace d'encouragement à la création.

Le non-alignement de la valeur culturelle et économique s'étend ensuite naturellement à l'ensemble du secteur culturel et aux industries culturelles, conditionnant le fonctionnement particulier de ces secteurs, dont l’auteur s'attache à montrer la manière dont ils créent des bénéfices culturels qui ne sont que très imparfaitement reflétés par le prix des biens et services considérés. Tout cela implique que la politique culturelle a peu a gagner et beaucoup à perdre si elle accepte d'être réduite aux seuls termes économiques de son activité. Même si les retombées économiques de la culture et de la création sont considérables, dit en substance Throsby, la culture est avant tout une affaire de valeurs dépassant l'allocation de ressources rares, et c'est à mettre en évidence ces valeurs que s'attache l'ouvrage.

Un miroir et un programme de l'économie de la culture

Cet ouvrage réalise un survol très large de l'économie de la culture, survol informé d'une problématique tenue bout en bout, celle de l'applicabilité des notions de valeur aux biens culturels et à l'organisation de la création. En sus d'être un économiste de la culture, l'auteur est également un économiste cultivé, ce qui se sent tant dans son style, très agréable à lire, que dans la sélection d'exemples qui illustrent toujours utilement son propos. Ce n'est donc pas par hasard que ce livre fait partie des ouvrages incontournables pour qui veut aborder l'économie de la culture.


Assez largement d'ailleurs, cet ouvrage a servi de programme de recherche aux économistes travaillant sur la culture. À la fois reflet du champ et prescripteur, ce livre en partage certains biais, comme la prépondérance donnée aux arts traditionnels par rapport aux industries culturelles, la défiance dans la capacité de la structure de marché à susciter la production de biens culturellement intéressants, ou une vision un peu pauvre, car datée, de la capacité de l'économie en tant que science à capturer des phénomènes collectifs.

Selon la sphère d'intérêt du lecteur, il peut donc être utile de le compléter par la lecture des ouvrages de Bruno S. Frey, sur les études d'impact et les manières d'évaluer la propension à payer pour les biens culturels, de Tyler Cowen, sur la provision de biens culturels par les marchés, de Richard Caves, sur la manière dont les industries culturelles intègrent leur spécificités dans un cadre contractuel propre, et d'Alan Peacock sur les problèmes liés à l'implémentation pratique des politiques culturelles.

Pour aller plus loin

  • Bruno S. Frey, Arts & Economics. Analysis & Cultural Policy, Springer, 2003
  • Tyler Cowen, In Praise of Commercial Culture, Harvard University Press, 1998
  • Richard Caves, Creative Industries, Harvard University Press, 2002
  • Alan Peacock, Paying the Piper: Culture, Music and Money, Edinburgh University Press, 1993
  • Handbook of the Economics of the Arts and Culture + lien

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