De nombreuses séries télévisées mettent en scène les professionnels de la politique, les campagnes électorales, le fonctionnement des institutions et les coulisses du champ politique.
Entre intentions réalistes et ouvertures fictionnelles, existe-t-il un discours des séries télévisées sur ces moments de haute intensité électorale ? Si oui, que nous apprend-il ?
Esthétiques narratives : entre réalisme et fiction
Francis Laugier, candidat socialiste aux élections présidentielles, rejoint Philippe Rickwaert, député du Nord, sur le toit d’un immeuble parisien. Devant l’Arche de la Défense, symbole de pouvoir au second plan, les deux hommes discutent du prochain débat télévisé. Pour Laugier, c’est du poker : « Des centaines de milliers de kilomètres parcourus. (...) Et tout jouer en un coup. Tapis ! » La discussion est cruciale, le jeu de champ / contre-champ de la caméra le montre. La scène représente la politique du coup, en l’occurrence le coup ultime dans la conquête de l’Élysée. Elle énonce aussi une représentation de la fonction présidentielle, dans la bouche de Rickwaert : « Ce que veulent les gens, c’est un patron ! ». Par cette scène d’ouverture de la série télévisée française Baron Noir, le spectateur entre de plain-pied dans la représentation de l’élite politique en temps de campagne présidentielle.
C’est sûrement l’une des tendances les plus remarquables des séries télévisées : elles proposent des images du champ politique, au sens de Pierre Bourdieu. Elles mettent en scène les professionnels de la politique, leurs pratiques, les règles du jeu, la compétition électorale, le capital octroyé par les fonctions, la rhétorique, le rapport aux médias, les coulisses... Les exemples sont multiples. Par souci de clarté, nous utilisons ici des cas dans lesquelles les séquences électorales sont centrales : Baron Noir (Canal +, 2015), Show Me A Hero (HBO, 2015) et The Wire (HBO, 2000-2006), tout en convoquant la littérature sur House of Cards (Netflix, 2013), Borgen (DR-1, 2010-2013) et The West Wing (NBC, 1999-2006).
Ces fictions proposent des situations reconnaissables, que ce soit par les lieux (la mairie, la résidence des dirigeants...), les références (le nom des partis, les médias...), les personnages (le secrétaire général ou le chef de cabinet) et font des « clins d’œil » à des événements identifiables par les spectateurs. Ce cadre de référence a aussi pour fonction de simplifier le champ politique et d’en condenser les relations de force, selon les besoins de la narration.
En montrant différents types de campagnes dans un jeu narratif entre réalisme et fiction, les séries sur la politique donnent des clés de lecture du champ politique, tout en ouvrant des alternatives.
Pour comprendre comment la politique est montrée dans les séries télévisées, nous nous appuyons sur la notion « d’esthétiques narratives », développée avec Emmanuel Taïeb, qui questionne les relations entre fond, forme et format des séries. En montrant différents types de campagnes électorales (internes aux partis, primaires, municipales, législatives et présidentielles) dans un jeu narratif entre réalisme et fiction, les séries sur la politique donnent des clés de lecture du champ politique, tout en ouvrant des alternatives.
Plan serré sur les professionnels de la politique
Ce sont avant tout les professionnels de la politique qui ont attiré les regards de la caméra, les personnes qui vivent de la politique – selon la fameuse distinction de Max Weber entre vivre de et vivre pour la politique. Rien de très étonnant, d’ailleurs : filmer la profession est un angle scénaristique commun dans les série télévisées (policiers, médecins, avocats, publicitaires...).
Les dramas privilégient le personnel qui se trouve en haut de la pyramide, que ce soit au niveau national (Borgen, House of Cards, The West Wing) comme au niveau local (The Wire, Show Me A Hero) ou dans le jeu entre les deux échelles (Baron Noir), ou encore lorsqu’il s’agit de mettre en scène les premiers pas d’une femme politique (et de poser la question du genre en politique, comme dans Borgen au Danemark mais aussi Commander in Chief ou L’État de Grâce en France). On retrouve, d’ailleurs, une technique filmique classique pour mettre en scène ces fonctions : le plan en contre-plongée sur les dirigeants, comme pour mieux montrer leur autorité. Mais il serait réducteur de ne voir que ces marques de puissance. Le jeu du champ / contre-champ agrémente souvent les discussions entre les figures centrales et leurs conseillers.
C’est dans ce cadre filmique que l’on peut noter l’opposition récurrente entre les différents types de cursus honorum : les militants à la trajectoire ascendante et les technocrates à l’implantation descendante (dans le cas de Baron Noir, le militant Rickwaert face à l’énarque Amélie Dorendeu). Mais, c’est surtout l’hybridation entre notables et technocrates qui attire l’attention. La figure du manager est ici utile pour comprendre la représentation du professionnel de la politique : il gère les équipes et maîtrise les comptes de campagne, tout en jouant sur son capital social et son implantation locale qui lui permettent de pérenniser sa domination. C’est le sens du titre de la série française, Baron Noir, qui montre l’influence durable d’un professionnel de la politique aux traits de notable.
Cette immersion dans le quotidien des professionnels de la politique les plus hauts placés montre que les personnages sont entièrement dédiés à leur activité. C’est non seulement leur travail à plein temps et rémunéré, mais aussi leur passion. Leurs affects passent au second plan face à la mission publique, à moins que leur famille ne soit elle-même directement engagée dans la vie politique du personnage. À peine connaît-on la femme et les enfants de Tommy Carcetti, maire de Baltimore (dont on suit la campagne entre les saisons 3 et 4 de The Wire). La fille de Rickwaert est très présente (Baron Noir), mais sous le jour de la politique : elle refuse de vivre chez sa mère, en couple avec un sympathisant de droite, et elle milite au sein de la section de Dunkerque du PS. Dans House of Cards, Claire Underwood intervient quotidiennement dans la carrière de son mari, Franck Underwood, héros de la série et vice-président des États-Unis dans la saison 2. Dans Borgen, la Première ministre paie au contraire de sa vie conjugale son engagement public. Paradoxalement, c’est justement lors de scènes qui semblent relativement faibles d’un point de vue narratif, qu’émotions, sentiments et liens familiaux resurgissent et provoquent bon nombre de décisions politiquement fortes. On retrouve ici un principe relativement classique des drames et mélodrames.
La notion de carrière est au centre des séries télévisées traitant du champ politique. La plupart des personnages aspirent sans cesse à gravir une marche supplémentaire.
Ainsi, la notion de carrière est au centre des séries télévisées traitant du champ politique. La plupart des personnages aspirent sans cesse à gravir une marche supplémentaire, comme le montre très bien Carcetti (The Wire) : à peine élu à la mairie de Baltimore, il pense déjà à briguer le siège de gouverneur du Maryland. Dans les séries, les professionnels de la politique sont donc totalement dédiés à l’entreprise de conquête des suffrages. Mais c’est un premier arc de tension entre réalisme et fiction : les séries représentent avant tout la personnalisation de la vie politique.
Fondu enchaîné sur les savoir-faire politiques
Ces séries montrent des carrières où le savoir-faire politique implique la maîtrise de tout ce qui permet de conquérir une fonction, de l’exercer et d’y rester. Il y a des codes précis de comportement exposés de façon pédagogique : ainsi, l’interdiction d’entrer dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale sans porter de cravate (même si Rickwaert trouve d’autres stratagèmes pour adapter son hexis corporelle aux catégories qu’il veut représenter et incarner, comme lorsqu’il entre au Palais Bourbon en bleu de travail) ou encore le choix policé des mots dans le passage des coulisses à la scène publique. On voit, dans les séries, comment les professionnels de la politique travaillent à maîtriser leurs gestes et leurs paroles.
Une minute, c’est le temps qu’il faut pour t’habituer aux projecteurs. Là, tu baisses la tête et tu verras ton texte. Et après tu les embarques, tu reviens sur rien, tu t’excuses de rien. Tu les méprises tous, tu vas les scotcher. T’es la boss.
Prendre la parole semble, d’ailleurs, une des compétences majeures du personnel politique. À travers une campagne pour prendre la tête du PS, Baron Noir le révèle bien. Dans la scène finale du troisième épisode, Rickwaert, alors ennemi politique de Dorendeu, la « coache » sur sa prise de parole lors du congrès. À l’écran, le député avance vers celle avec qui il veut désormais s’allier. La caméra passe d’un plan large à un plan rapproché poitrine, et pousse le spectateur à se focaliser sur les intentions du personnage. Après un jeu de champ / contre-champ, la caméra se fixe sur Dorendeu, médusée : « c’est le début qui est dur » assène Rickwaert. Puis la caméra se fixe sur le député et valide sa maestria : « Quand tu te poses au pupitre. Les lumières ça t’aveugle. Tu vois rien, tu vois même pas ton texte. Mais tu t’en fous, t’as pas besoin de voir ton texte. T’as besoin d’voir un visage en face de toi, un visage dans la salle, à peu près au niveau du dixième rang. Tu le fixes, tu le lâches pas ». Sans changer d’échelle, la caméra montre le visage de Dorendeu, littéralement aspirée. L’image revient sur Rickwaert : « Tu parles qu’à lui, tu t’en fous des caméras, tu t’en fous, tu regardes pas les côtés, tu regardes pas les feuilles. Tu fais ça pendant une minute, pendant que tout le monde braille encore. Une minute, c’est le temps qu’il faut pour t’habituer aux projecteurs. Là, tu baisses la tête et tu verras ton texte. Et après tu les embarques, tu reviens sur rien, tu t’excuses de rien. Tu les méprises tous, tu vas les scotcher. T’es la boss. Avec ta p’tite tête de méchante, là ! ». La scène continue jusqu’à l’entrée en scène triomphale de l’énarque, dont la séquence confirme les consignes de Rickwaert.
La gestion du temps est aussi essentielle, du fait du rythme soutenu de l’activité politique. Une des qualités premières des personnages réside dans leur réactivité, du fait d’agendas extrêmement chargés, de l’urgence des décisions comme des pressions d’un jeu hypercompétitif. Un oubli ou une lenteur peuvent avoir des conséquences dramatiques, pas seulement sur le gouvernement mais, surtout, sur leurs carrières. Les injonctions de Laugier doivent, par exemple, être suivies « maintenant » et « tout de suite » (Baron Noir). Tout se fait sur le moment, ce qui montre en permanence de possibles fenêtres d’opportunité politique. « Avoir le coup d’œil » pour reprendre l’expression de Weber.
Apparaît un second arc de tension entre réalisme et fiction : l’héroïsation du personnel politique. Si showrunners, réalisateurs et scénaristes cherchent à montrer en quoi consiste le métier de politique, on a avant tout affaire à des personnages surhumains, infatigables (ils ne dorment pas), omniscients et dotés d’un don d’ubiquité.
Travelling arrière : de l’ordinaire du parti à l’extraordinaire des campagnes électorales
Dans les séries, les héros de la politique passent plus de temps dans les joutes de parti qu’à défendre une idéologie.
Dans les séries, les héros de la politique passent plus de temps dans les joutes de parti qu’à défendre une idéologie. On le voit dans les nombreuses représentations des primaires américaines et, maintenant, françaises. Le parti est représenté comme l’espace de sociabilité politique par excellence, là où tout se passe. La lutte fratricide prévaut sur le conflit avec les adversaires. Candidat blanc à la mairie de Baltimore, Carcetti pousse un candidat démocrate noir à se présenter aux primaires contre le maire noir sortant pour mieux diviser les votes et s’imposer (The Wire). Sans même voter pour Laugier, Rickwaert se lance dans une lutte sans merci avec le président de la République, tout en s’alliant avec ses adversaires en interne (Baron Noir). Sans parler de la vengeance du vice-président Underwood contre son président (House of Cards).
La compétition électorale entre coalitions n’est toutefois pas en reste. Les séries télévisées font alors preuve de pédagogie, en détaillant les pratiques électorales. Pour ne prendre qu’un seul exemple, on voit à la charnière du premier épisode de Show Me A Hero, la mise en scène d’une campagne municipale à Yonkers (qui a réellement eu lieu), sur fond de polarisation autour d’une politique publique du logement visant à plus de mixité ethnique (projet fédéral imposé par les tribunaux à la fin des années 1980). Les scènes se focalisent sur l’outsider, Nick Wacicsko, le candidat démocrate (le personnage central), tout en montrant l’intensité du moment politique (42’23-44’11, à la fin de la première partie de l’épisode). Dans un plan américain (à mi-cuisse), Wacicsko est filmé en contre-plongée et cadré de trois-quarts, répondant à des journalistes de télévision. Tiré à quatre épingles, il est à la fois précis et tranquille, une main dans la poche. On sent qu’il commence à compter dans la course électorale. Dans la scène suivante, le plan rapproché poitrine, le cadrage frontal et les trois journalistes rapprochés pourraient donner l’impression d’un écrasement. Mais par son regard caméra, c’est au contraire la détermination de Wacicsko à mener le débat sur la politique publique de logements qui est montrée, avec en écho le problème du pluralisme.
Le candidat apparaît ensuite en train de tracter. Il est cadré de profil dans un plan moyen. Après le travail médiatique, la scène montre ici l’entreprise électorale de communication interpersonnelle. Mais la caméra filme de loin, comme si elle ne voulait pas faire intrusion dans ces échanges rapprochés. Elle zoome seulement lors d’un dialogue du candidat avec une femme qui affirme son soutien. L’enchaînement des scènes se reproduit sur le même schéma pendant une minute encore. Les journalistes sont de plus en plus nombreux et l’usage panoramique de la caméra autour de Wacicsko montre l’ampleur électorale qu’il prend (jusqu’à être invectivé sur la nécessaire rigidité qu’il devra adopter devant les tribunaux). L’esthétique narrative renvoie ici au documentaire, tout en indiquant la direction du récit : la victoire de Wacicsko (qui intervient à peine une minute trente plus tard dans l’épisode). La caméra fonctionne suivant le mode du « suivez mon regard... »
S’il n’y a pas de débat télévisé dans Show Me A Hero (au contraire de Borgen, qui commence tous ses épisodes par un débat filmé depuis l’écran de contrôle), le rôle des médias traditionnels, par leur capacité à miser sur un cheval de course et à fonctionner comme des leaders d’opinion, apparaît. On voit aussi dans Baron Noir comment l’accès à ces médias est facilité aux élus, Laugier imposant Dorendeu à France Inter, il peut donc convoquer les médias à sa guise. L’accès à la sphère médiatique donne donc, dans les séries télévisées, un avantage aux gouvernants dans la mise à l’agenda des problèmes publics, dans la communication de crise comme dans les campagnes électorales. Les séries plus contemporaines montrent, quant à elles, le phoning des candidats, c’est-à-dire leurs appels téléphoniques pour récolter des fonds, ou même les usages des réseaux sociaux. Et le crédit apporté aux sondages est largement abordé, que ce soit durant les campagnes comme dans l’action publique. Dans ce contexte, les équipes de campagne ont acquis une place sur les écrans, à l’instar de Jim, le conseiller stratège qui pilote la campagne de Wacicsko en marquant ses différences de position autour du projet de logements (on voit aussi la mise en scène de ces personnages dans The Wire ou Borgen). Et le problème du traitement médiatique de la vie privée des professionnels de la politique devient récurrent, dans les séries (notamment dans Borgen et Baron Noir).
Dans la lignée de ces pratiques politico-médiatiques moins « nobles », les intrigues montrent avec insistance les coups bas, le contournement des règles et les pratiques de corruption. Le candidat Rickwaert soudoie un petit gangster local pour détruire des urnes, acte qui va contre la pacification historique de l’espace de vote. Puis, ministre du Travail, il organise le transfert du piano de Laugier pour couvrir de fausses dépenses électorales liées au divorce du président. Or, on peut penser qu’un ministre ne prendrait pas lui-même part à ce genre d’opération, aussi impliqué soit-il dans les pratiques frauduleuses. La narration reprend alors ses droits : tout devient chantage et pression, et le large répertoire de pratiques politiques peut aller jusqu’aux actes les plus violents (House of Cards). Avec ce troisième arc de tension, la dépolitisation du champ politique, la fiction trahit les limites de la pédagogie politique des séries télévisées. Mais ces trois dissonances ouvrent aussi des alternatives.
Cadrage : un discours politique des séries ?
Une question reste alors en suspens. Les séries télévisées jouent sur les représentations proposées de la politique, mais tiennent-elles un propos sur le champ politique ? La question trouve une première formulation dans l’idée de pédagogie. La science électorale est, par exemple, éclairée par les conseillers de Rickwaert, de Carcetti ou de Wacicsko. Et de multiples dialogues définissent en quoi consiste l’activité politique : « la politique c’est du sumo, il faut se servir de la force de l’autre » (Baron Noir). Marjolaine Boutet analyse ainsi The West Wing, dont le récit s’empare de la fonction de président des États-Unis, comme une « leçon hebdomadaire d’éducation civique ». Il y a un propos normatif et didactique dans les dramas traitant du champ politique.
Une seconde réponse est apportée par l’approche des Cultural Studies, qui se focalise sur les représentations de l’hégémonie culturelle. Le propos tiendrait alors dans la transmission de représentations supposées fidèles de l’ordre socio-politique. En synthèse, ce serait ici la représentation du champ politique comme relevant exclusivement de la culture élitiste ou celle de la plus grande propension des femmes politiques à montrer de la diplomatie (Borgen).
Les auteurs des séries peuvent participer à la dispute sur la vérité
Mais ces deux réponses négligent le caractère fictionnel des représentations proposées. Les angles de caméra, les plans, le montage, l’usage diégétique de la musique sont autant de choix qui imposent une perception des situations. La notion « d’auteur » est alors une voie à suivre. Avec la reconnaissance culturelle des séries, certains showrunners deviennent de véritables autorités portant une vision du monde. C’est le cas de David Simon, entre autres créateur de The Wire et Show Me A Hero. Lui-même issu du champ politico-médiatique (il était journaliste au Baltimore Sun), David Simon déconstruit le monde urbain pour montrer la résilience institutionnelle, l’inefficacité des politiques publiques et les inégalités croissantes aux États-Unis. Sur la base d’une forte référentialité (qui a fait parler de social science fiction), il porte un message sur la façon dont le monde évolue et les médias « réels » s’en font l’écho. Ainsi, il prend part au débat public à travers un objet télévisuel qui exprime son point de vue, dans la complexité de sa sérialité, et cherche à « provoquer l’indignation ». De la même façon,à partir d’un débat télévisé sur l’immigration, Borgen montre comment le choix de l’interlocuteur est aussi une façon de poser la question du hijab dans l’espace public et des stéréotypes associés aux musulmans. En ce sens, les auteurs des séries peuvent participer à la dispute sur la vérité.
Les séries jouent, enfin, comme des miroirs déformants qui montrent une image incomplète de ce qu’ils reflètent. Aussi, il n’est pas proposé de solutions aux problèmes soulevés, mais des possibilités qui ne sont pas – encore ? – assumées dans la réalité. Les exemples de The Wire sont particulièrement parlants : la création d’une zone de libre vente des drogues pour réguler le trafic et les problèmes sanitaires qu’il entraîne (Hamsterdam) ou l’expérimentation d’une classe de resocialisation. Dans Baron Noir, la présidence de Laugier est marquée par une réforme de l’éducation de grande ampleur et une politique de refondation du projet européen ; alors que Rickwaert voit dans le scandale politico-financier qui marque le quinquennat l’opportunité d’instaurer une VIe République.
Les propos des scénaristes sur le vivre ensemble (dans ce cas, le champ politique, les politiques publiques et les rapports sociaux) jouent entre la dénonciation de l’état du monde et des ouvertures, à travers des esthétiques narratives qui peuvent provoquer des émotions (l’indignation, par exemple) et la prise de conscience. Mais cela impliquerait un impact des séries sur les comportements politiques, ce qui reste à démontrer dans le cas des spectateurs ordinaires, même si on observe l’intervention d’acteurs politiques dans la fiction (Clinton/Obama avec House of Cards), tandis que des acteurs de série prennent position sur la base de leur légitimité fictionnelle : l’acteur qui joue Bubbles dans The Wire a ainsi multiplié les appels au calme lors des émeutes de Baltimore de 2015.
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Crédits photos :
- Ina. Illustration : Émilie Seto
- House of Cards, saison 4, service de presse Netflix