En Pologne, le numérique va-t-il plus vite que la musique ?

En Pologne, le numérique va-t-il plus vite que la musique ?

80 % des Polonais écoutent de la musique en ligne, mais le plus souvent, illégalement. L’industrie de la musique saura-t-elle bâtir des modèles économiques suffisamment solides pour mettre fin aux habitudes ancrées de piratage ?
Temps de lecture : 19 min

Longtemps, l’Europe centrale en général et la Pologne en particulier ont été négligées par les majors de l’industrie musicale. La faute à un décollage économique tardif et à l’omniprésence du piratage, qui ont longtemps plombé les ventes de disques. Mais la révolution numérique pourrait bien marquer un tournant pour l’industrie musicale de ce pays. De plus, la Pologne a vu arriver ces derniers mois plusieurs grands noms du marché de la musique en ligne tels que iTunes, Spotify et Deezer, auxquels viennent s’ajouter l’émergence de plusieurs plateformes locales. Cet engouement récent pour le marché polonais est désormais la preuve que les acteurs de l’industrie musicale sont convaincus du potentiel de croissance de la musique numérique en Pologne. Encore faut-il qu’ils trouvent le bon modèle économique, celui qui saura convaincre les Polonais de consommer légalement de la musique, tout en dégageant des marges suffisantes.

Le recul continu du disque compact, désormais cantonné au marché de niche

À l’instar de ce qui se passe dans les principaux pays industrialisés, les ventes de disques en Pologne n’ont globalement cessé de décliner depuis une dizaine d’années. C’est surtout dans la seconde moitié des années 2000 que la chute a été la plus brutale (- 10 % en moyenne en volume chaque année), alors même que les accès haut débit se généralisaient et que les équipements informatiques rentraient massivement dans les foyers polonais.
 
Les déboires de l’industrie musicale ont commencé dès le début des années 2000 avec le développement des plateformes illégales d’échange de fichiers de type Peer-to-peer (P2P), comme KaZaA, Napster, etc. qui ont remporté un franc succès en Pologne et ont contribué à généraliser les pratiques de piratage en ligne. Les internautes ont été d’autant plus enclins à télécharger illégalement de la musique que les prix unitaires des CD sont longtemps restés élevés en Pologne, surtout comparés au niveau de vie : en 2001, il fallait ainsi débourser près d’une centaine de zlotys (environ vingt-quatre euros) pour un simple album, soit 8 % du salaire moyen de l’époque. Le phénomène s’est accentué par la suite sous l’effet combiné d’une croissance exponentielle de la capacité de stockage des supports informatiques et de la baisse continue des prix.
 
L’importance du piratage en Pologne trouve également son origine dans l’esprit de « débrouille » et de « combine » qui prévalait depuis longtemps dans les anciennes républiques de l’URSS et qui a perduré après la chute du Mur de Berlin.
 Le piratage informatique reste une notion floue en Pologne.  
S’est ajoutée à cela la relative passivité des autorités polonaises qui ont tardé à s’emparer du problème, confortant ainsi le sentiment relatif d’impunité des internautes. Le piratage informatique reste une notion floue en Pologne. Avant que la Pologne ne fasse son entrée dans l’Union européenne en 2004 et que les premiers coups de filets n’aient lieu, les contrevenants ne craignaient, dans les faits, absolument rien. Encore aujourd’hui, plusieurs études montrent que le piratage informatique reste une notion floue en Pologne : une part non négligeable d’internautes – surtout parmi les plus jeunes – n’ayant même pas conscience du caractère répréhensible du téléchargement illégal de musique en ligne. Un constat qui explique en grande partie que la Pologne figure toujours dans le haut du classement des pays présentant un fort taux de piratage, même si ces chiffres sont contestés par certaines associations d’internautes.

Par ailleurs, des progrès importants ont été accomplis ces dernières années en ce qui concerne les campagnes d’information et la mobilisation des pouvoirs publics, malgré un environnement juridique qui reste incertain. Celui-ci reste tiraillé entre impératif de répression et nécessaire respect des libertés individuelles. Une notion qui – compte tenu du passé douloureux de la Pologne – est prise très au sérieux dans ce pays, comme l’ont prouvé les manifestations début 2012 contre l’accord commercial anti-contrefaçon ou Anti-Counterfeiting Trade Agreement (ACTA).
 
Le CD fait désormais office de marché de niche, même s’il est intéressant de noter que les ventes
 Le CD n’est pas tout à fait mort en Pologne et pourrait même connaitre un léger regain. 
semblent se stabiliser depuis deux ans. S’il reste largement présent dans les réseaux des enseignes spécialisées telles que Empik, sa place dans les enseignes de la grande distribution a quasiment été réduite à la portion congrue. Toutefois le CD n’est pas tout à fait mort en Pologne et pourrait même connaitre un léger regain dans les années à venir, si l’on en croit les dernières analyses : la multiplication des éditions collectors conjuguée à une baisse significative des prix (on trouve désormais dans les bacs des CD à prix cassé) semblent porter leur fruits et limitent l’attrait du piratage. Surtout le CD conserve en Pologne une certaine valeur affective et reste parmi les idées de cadeaux les plus prisées, un avantage non négligeable dans un pays où la tradition de s’offrir de petits cadeaux reste forte.
 
Enfin le regain d’intérêt des mélomanes pour certains supports qu’on croyait disparus à jamais – on peut notamment citer le cas des disques vinyles – prouve qu’on aurait tort d’enterrer définitivement le disque, même si les ventes ne renoueront jamais avec l’apogée des années 1990.

Les modes de consommation les plus prisés des Polonais

Un premier constat s’impose
 80 % des internautes polonais écouteraient ainsi régulièrement de la musique en ligne. 
 : la consommation de musique numérique est désormais un phénomène de masse en Pologne. 80 % des internautes polonais écouteraient ainsi régulièrement de la musique en ligne, selon les résultats d’une étude conduite par le cabinet OMD pour le quotidien Rzeczpospolita. Ils sont également 60 % à regarder fréquemment des vidéos sur Internet, un chiffre à rapprocher du succès rencontré par le portail YouTube, le troisième site le plus consulté en Pologne derrière Google et Onet.pl, avec plus de 12 millions de visiteurs mensuels.
 
Si l’on prend en compte que huit des dix vidéos les plus consultées sur YouTube sont des clips musicaux, on en déduit aisément que les portails vidéos sont une source d’écoute musicale importante pour les consommateurs polonais.
 
Les webradios rencontrent également un franc succès en Pologne puisque plus de 3,5 millions de
 La consommation de musique au format numérique est définitivement entrée dans les mœurs en Pologne. 
Polonais écouteraient désormais la radio par le biais d’Internet(1). Ils étaient encore moins de 3 millions un an plus tôt, alors que le nombre d’auditeurs utilisant un poste analogique reste stable à 22  millions. Si l’on en croit les instituts de mesure d’audience, ce sont surtout les plateformes de webradios qui réunissent le plus d’internautes (23 % selon la dernière étude Megapanel PBI/Gemius de février 2013).
 
On le voit donc : la consommation de musique au format numérique est définitivement entrée dans les mœurs en Pologne, en particulier pour les jeunes consommateurs, puisqu’elle concernerait un peu plus de 13 millions de personnes. Là où le bât blesse, c’est que les internautes polonais semblent pour l’heure très peu enclins à payer pour du contenu : toujours selon l’étude d’OMD, 57 % des internautes polonais qui consomment régulièrement de la musique et de la vidéo sur Internet déclarent ne pas vouloir payer pour ce type de contenu, alors que 28 % affirment au contraire avoir déjà acheté de la musique en ligne. Et ils ne sont que 15 % à se déclarer prêts à franchir le pas, un chiffre qui n’incite pas vraiment à l’optimisme.
 
D’ailleurs, les dirigeants de Spotify estiment à l’heure actuelle que près de 9 millions d’internautes
 63 % des internautes qui paient pour du contenu achètent encore les chansons à l’unité. 
consomment de la musique sur des plateformes non autorisées, c’est-à-dire des sites qui ne rémunèrent pas les artistes et les maisons de disques, un chiffre qui semble plus que crédible.  Ce n’est pas le cas de YouTube qui a signé en janvier 2011 – après plusieurs années de bataille juridique – un accord global avec la ZAIKS(2), l’organisme polonais pour la défense des droits d’auteurs (l’équivalent de la SACEM en France).
 
Pour l’heure, les sites de streaming commencent tout juste à décoller en Pologne, puisqu’une majorité écrasante d’internautes (63 %) qui paient pour du contenu achètent encore les chansons à l’unité. Ils ne sont que 10 % à opter pour la musique dans le cloud. De ce point de vue, la Pologne se range davantage du coté des pays anglo-saxons et de l’Allemagne, qui continuent à privilégier le téléchargement individuel, ce qui n’est pas le cas de la Suède ou de la France. Il faut toutefois préciser que contrairement à ces pays, l’apparition des opérateurs de streaming est relativement récente et il y a tout lieu de penser que ce rapport de force devrait rapidement évoluer dans l’avenir. D’ailleurs, Wimp et Spotify affirment déjà compter environ 70 000 fans chacun en Pologne après quelques mois d’activité seulement.
 
À noter, la mobilité progresse en Pologne  : de plus en plus d’internautes consomment de la musique depuis un terminal portable (baladeur MP3, smartphone ou tablette). Il s’agit là d’une tendance de fond qui a débuté dans la seconde moitié des années 2000 lorsque les ventes de smartphones ont commencé à décoller en Pologne. En 2008, respectivement 50 % et 42 % des fichiers musicaux étaient lus sur des baladeurs audio et des téléphones portables alors même que les tablettes étaient encore très peu répandues.

Le profil type des consommateurs de musique numérique en Pologne

Sans surprise, les études s’accordent sur le fait que les consommateurs de musique numérique en Pologne sont plutôt jeunes (situés dans la tranche d’âge 20 – 30 ans) et diplômés (la majorité d’entre eux ayant terminé des études secondaires). Fait plus surprenant, en Pologne les femmes semblent consommer plus de musique que les hommes (57 % contre 43 %). Surtout le consommateur moyen semble davantage résider dans les zones rurales que dans les villes, ce qui peut paraître surprenant au premier abord.
 
Il faut toutefois noter que ce profil type varie quelque peu en fonction des genres musicaux : si l’on prend le cas de la musique classique, c’est davantage la tranche d’âge supérieure (30 – 40 ans) qui est concernée, puisqu’elle représente 36 % des consommateurs de musique numérique. Elle se caractérise également par un niveau d’instruction plus élevé (plus de 50 % ayant achevé des études supérieures) et des revenus plus importants que la moyenne nationale.
 
En revanche, les études démontrent que les auditeurs plus jeunes (10 – 20 ans) sont davantage enclins au piratage que le reste de la population polonaise. 62 % des utilisateurs de réseaux P2P auraient ainsi entre 15 et 24 ans, les hommes étant ici majoritaires (64 %).
De ce point de vue, le profil type de l’audiophile numérique recoupe peu ou prou celui de l’internaute, à la différence près que les ruraux y sont mieux représentés. Ce constat paraît du reste logique dans la mesure où un accès Internet est, par définition, requis pour acquérir de la musique au format numérique.

Le développement tardif d'une offre légale de musique en ligne

Si le piratage a pu prospérer si longtemps, c’est aussi en grande partie en raison de l’arrivée très tardive des acteurs de la musique numérique en Pologne. Il aura ainsi fallu attendre 2008 et le lancement du portail Muzodania par l’opérateur de téléphonie mobile Plus pour voir un acteur de poids débarquer sur ce marche, mettant fin à près d’une décennie de disette. C’est d’autant plus vrai que les acteurs mondiaux du secteur, comme Apple, ont très longtemps bloqué aux consommateurs polonais l’accès à leurs plateformes globales de vente. Désintérêt flagrant pour les marchés d’Europe centrale ? Négociations sur les droits d’auteur enlisées ? Peur du piratage et incompréhension face à la passivité apparente des pouvoirs publics ? C’est vraisemblablement pour toutes ces raisons que les majors ont tergiversé.
 
Un autre facteur d’explication est sans doute à chercher du côté des goûts musicaux des Polonais. La Pologne est en effet un marché qui reste largement dominé par les artistes nationaux, ce qui n’est pas le cas de tous les pays industrialisés. Qui plus est, certains genres bien particuliers y rencontrent un succès important : c’est par exemple le cas du rap ou encore du fameux disco polo, une invention typiquement polonaise et héritée de la musique dance des années 1980. Preuve de la vitalité du genre, pas moins de deux chaînes musicales – Disco Polo et Polo TV – ont d’ailleurs été créées ces deux dernières années et réalisent désormais les meilleures audiences devant des ténors internationaux tel que VIVA ou MTV.
 
On recense actuellement en Pologne une vingtaine de plateformes de distribution de musique numérique. Parmi ces sites, deux grands modèles économiques se détachent :
 
  • Les offres payantes ou semi-payantes (freemium)
- Le téléchargement à l'unité :
C’est le mode de distribution le plus ancien et celui qui se rapproche le plus des circuits de distribution traditionnelle. Les fichiers sont généralement encodés en format MP3 ou en WAV et induisent parfois l’usage de verrous numériques (DRM en anglais) qui restreignent l’utilisation des fichiers : c’est par exemple le cas lorsque l’internaute dispose d’un nombre limité de transferts de copie d’un ordinateur à l’autre. Les principaux acteurs sont Apple avec son iTunesStore, Empik.pl, Muzodajni, iPlay.pl. D’autres sites marchands ont adopté ce modèle économique, parmi lesquels OVI Muzyka, Twoja Nuta, T-Mobile Muzyka, Soho, Nuplays.pl. Plusieurs sites ont mis la clé sous la porte ces dernières années, et notamment les boutiques développées par les grands portails Internet polonais. C’était notamment le cas de Melo.pl (Interia) ou encore Mp3.pl (Wirtualna Polska). Depuis quelques mois, les opérateurs polonais mettent davantage l’accent sur l’achat de packs mensuels de chansons à télécharger afin de rendre leurs offres plus attractives et de mieux fidéliser la clientèle. Certains ont même franchi le pas des forfaits dits « illimités » : les internautes peuvent alors télécharger un nombre illimité de titres qui restent lisibles pendant toute la durée de l’abonnement.
 
 
- Le streaming (musique dans le cloud) :
Apparues récemment en Pologne, les plateformes de musique dites « dans le cloud » fonctionnent différemment des boutiques de musique numérique de première génération. Ici point de téléchargement requis : tous les morceaux sont lus en streaming depuis les serveurs de l’éditeur.
Cette solution technique induit de nombreux avantages puisque le client n’a plus à se soucier de l’espace de stockage. Il favorise également la mobilité des internautes qui peuvent utiliser librement leur smartphone ou leur tablette pour se connecter au service. Les principales offres sont Muzo.pl, Spotify.pl, Wimp.pl, Deezer.pl. Tous les éditeurs polonais ont opté pour une offre de type freemium  combinant une option de base gratuite et des options premium payantes. Web 2.0 oblige, ces services incluent également de nombreuses fonctions communautaires afin que les internautes puissent aisément partager leurs playlists ou leurs goûts musicaux. Fait remarquable : la plupart se sont alliés à un opérateur de téléphonie mobile pour commercialiser leur offre sur portable. C’est notamment le cas de Deezer avec Orange Polska et de Wimp avec Play. En revanche, la filiale polonaise de T-Mobile traîne toujours des pieds, alors même que Spotify a signé un accord global avec le géant allemand des télécoms. En cause, les prix trop élevés de l’opérateur qui seraient encore au-dessus des attentes du marché. Il est en revanche très probable que Muzo.pl s’allie rapidement avec l’opérateur polonais Polkomtel car les deux groupes ont en commun la même maison mère. Un quatrième acteur est également présent sur ce segment : il s’agit de la plateforme Mood mais cette dernière ne distribue de la musique que par l’intermédiaire des bouquets satellite, des fournisseurs d’accès Internet et des câblo-opérateurs. À ce jour, elle est déjà présente dans l’offre du Français Cyfra + ainsi que de Vectra, Netia, Toya et Dialog.
 
 
 
  • Les offres gratuites
- Les webradios thématiques :
L’apparition en Pologne des premiers portails de webradios remonte à 2007. Ces plateformes proposent gratuitement aux internautes d’écouter de la musique sur plusieurs dizaines de stations regroupées par genre musical (rock, pop, chanson polonaise, française etc) et accessibles en streaming. En règle générale, la qualité de son est excellente, sous réserve que la connexion de l’internaute suive. La plupart des grandes radios généralistes polonaises (Eska, Radio Zet, RMF FM) possède désormais leur propre plateforme, même si on compte également quelques éditeurs indépendants. Les éditeurs se rémunèrent généralement sur les publicités qui apparaissent lorsque l’internaute lance le player ou bien durant l’écoute. Voici les principales plateformes : Polska Stacja,
Polskie Radio, Open FM, Tuba FM, RMF ON, ESKA GO.  
 
- Les portails de clips vidéo :
Ici le concept est quelque peu différent puisque l’internaute bénéficie, en plus, de l’image et choisit directement les clips vidéo qu’il souhaite visionner. En règle générale, le catalogue proposé est plutôt restreint et compte surtout des nouveautés même si certains sites proposent également de visionner d’anciens succès. Le modèle économique est sensiblement le même que celui des webradios thématiques mais plus rémunérateur puisqu’une publicité s’ouvre systématiquement à chaque fois qu’un clip est demandé. À noter que la plupart de ces sites sont l’œuvre des grands portails Internet polonais (Onet, Wirtualna Polska, Interia) ou des stations de radio. Les principaux portails sont :
Onet, Wirtualna Polska, ESKA GO, Radio Zet, Clipy 24, Dzentelman, N Teledyski, Teledyski Info.

 

 

- Les webTV musicales :
On trouve dans cette catégorie deux types d’acteurs : les « pure-players » et certaines chaînes musicales, qui émettaient déjà sur le câble et le satellite, et ont opté pour une diffusion simultanée sur Internet. Pour autant, toutes les chaînes musicales polonaises ne diffusent pas sur Internet, certaines, telles que MTV, étant liées par des accords d’exclusivité qui limitent leur liberté d’action. En revanche les stations plus récentes – et donc moins connues – font systématiquement le pari d’une diffusion multi-support et investissent massivement dans le web. Voici la liste des chaînes musicales polonaises qui diffusent également sur Internet : 4FunTV, Eska TV, Polo TV, TV Disco, Rebel TV, Stars TV. À côté des chaînes musicales traditionnelles, on trouve certains acteurs du web qui proposent également leurs propres Web TV musicales, sur le modèle des webradios. Une série de clips vidéo est alors diffusée en boucle avec parfois une programmation par genre. 
 

- Les portails vidéo généralistes :
En Pologne, un pourcentage non négligeable d’internautes « consomment » directement de la musique depuis les principales plateformes vidéo telles que l’Américain YouTube ou le Français Dailymotion.
Longtemps honnie par les majors qui l’accusaient de contrefaçon, la filiale de Google semble désormais être prisée par certains labels qui publient délibérément les clips de leurs artistes dans l’espoir de capter une partie de la manne publicitaire. Le projet VEVO, auquel se sont associées les maisons de disques Universal Music Group et Sony Music, illustre parfaitement cette stratégie qui a déjà fait ses preuves outre-Manche. Il n’en reste pas moins qu’une partie des clips disponibles sur YouTube ou d’autres plateformes est toujours diffusée sans l’accord des ayants-droit, générant ainsi un manque à gagner évident pour les éditeurs. Les principaux portails sont : YouTube PL , Dailymotion PL, Wrzuta.pl.

Les opportunités et les faiblesses du marché polonais pour la musique en ligne

Lorsqu’on interroge les professionnels du secteur, les avis divergent quant au poids réel du numérique dans les ventes totales de musique en Pologne.
 La musique numérique représente désormais le principal vecteur de croissance du secteur. 
Selon des estimations d’EMI Music Polska, les ventes numériques pèseraient seulement pour 18 à 20 millions de zlotys contre 400 millions de zlotys pour l’ensemble du secteur. À l’inverse, le cabinet d’audit PwC se montre plus optimiste en estimant que la musique numérique en Pologne représenterait déjà un marché de 31 millions de zlotys, avant de franchir le cap des 55 millions de zlotys d’ici 2015(3).
 
Tous soulignent néanmoins que la musique numérique représente désormais le principal vecteur de croissance du secteur avec des ventes de CD qui, dans le meilleur des cas, devraient se stabiliser dans les années à venir. Pendant ce temps, les ventes du segment numérique ont quasiment doublé l’an dernier en Pologne, en particulier suite à l’arrivée des sites de streaming. Chez les professionnels, l’optimisme semble donc de rigueur, d’autant que le marché polonais présente un certain nombre d’atouts indéniables :
 
- amélioration continue de la couverture en haut débit qui améliore l’expérience utilisateur des internautes (téléchargements plus rapides, streaming fluide). Si le déploiement du très haut débit est désormais en cours dans les grandes agglomérations polonaises (plus de 50 Mb/s), les campagnes ne sont pas en reste avec le développement des accès mobiles LTE et 4G ;
 
- forte croissance des ventes de smartphones et tablettes qui assurent une compatibilité parfaite avec les nouveaux services de distribution de musique numérique. Une très forte majorité de jeunes polonais possède désormais un smartphone de type iPhone ou Android, qui fait office de véritable « couteau-suisse » numérique pour visionner des vidéos dans le métro ou écouter de la musique ;
 
- la croissance exponentielle du e-commerce en Pologne qui atteste un changement de perception du media « Internet ». L’achat en ligne devient ainsi de plus en plus un réflexe pour une population qui perçoit l’internet comme un véritable centre de loisirs numériques où l’on peut accéder facilement à des vidéos, des programmes TV, des livres et de la musique ;
 
- la baisse des tarifs pratiqués par les distributeurs qui place désormais la musique à la portée de toutes les bourses. Avec des forfaits mensuels plafonnant à 20 pln par mois (environ 4,80 euros), les sites de streaming sont désormais accessibles au plus grand nombre, qui plus est dans un pays où le pouvoir d’achat progresse ;
 
Pour autant, les acteurs devront batailler ferme pour imposer leurs offres et surtout détourner les jeunes internautes du piratage car les difficultés ne manquent pas :
 
- une pratique ancrée : contrairement à d’autres pays industrialisés tels que la Suède, le lancement des portails de streaming n’a pas encore entraîné une réduction drastique du téléchargement illégal en Pologne. Ce dernier se maintient à un niveau élevé, preuve qu’il faudra beaucoup de temps pour que les mentalités évoluent ;
 
- un catalogue de titres encore trop restreint : les sites marchands ont beau se targuer de plusieurs millions de titres, leurs catalogues restent encore très incomplets et toutes les maisons de disque n’y sont pas représentées. C’est d’autant plus préjudiciable que selon plusieurs études, les internautes polonais qui se tournent vers les offres légales recherchent davantage des titres « confidentiels » que les hits du moment ;
 
- des artistes polonais sous-représentés : certes des progrès incontestables ont été faits dans ce domaine mais les artistes polonais sont encore trop peu référencés sur les plateformes légales. Pourtant leur présence est une condition indispensable au développement de l’offre légale car ce sont eux qui enregistrent les plus fortes ventes de CD, preuve d’une véritable spécificité du marché polonais ;
 
- une ergonomie faillible : malgré la présence systématique d’un moteur de recherche et une classification par genre, il n’est pas toujours aisé de naviguer à travers les sites marchands et surtout de trouver les interprètes que l'on souhaite. Une recherche sur Google s’avère souvent beaucoup plus efficace pour mettre la main sur un titre, au risque de tomber sur une source illégale ;
 
- des moyens de paiement souvent inadaptés : c’est la une autre particularité du marché polonais car l’usage des cartes bancaires reste beaucoup moins répandu en Pologne qu’en Europe de l’Ouest, surtout pour les adolescents. Outre le paiement par virement et par CB, les sites marchands doivent absolument proposer des modes de paiement alternatifs plus adaptés à cette population tels que PayPal ou encore les cartes prépayées et les bons d’achat disponibles en magasin ;
 
- l’usage des verrous numériques, qui restreignent la liberté d’utilisation : c’est l’éternel dilemme des professionnels. Comment d’un côté obliger le consommateur à s’acquitter d’un abonnement sans, pour autant, trop lui compliquer la tâche et imposer des restrictions d’usage qui deviennent à la longue rédhibitoires (impossibilité de graver les titres, connexion Internet requise, etc...) ? À noter que l’usage des Digital Rights Management (DRM) ou de la Gestion des droits numériques (GDN) entraîne également des problèmes de compatibilité puisque dans certains cas, seuls les systèmes Windows sont compatibles (cas du format WMA). Un handicap certain dans un pays ou les systèmes alternatifs (Mozilla et Chrome pour les navigateurs Internet, Android et Safari Mini pour les mobiles) ont depuis longtemps la cote.
 
- l’abondance de l’offre gratuite : avec plus d’une dizaine de chaînes musicales, la Pologne est plutôt bien lotie. Si l’on y ajoute le fait que la plupart des chaînes sont disponibles gratuitement sur Internet ou par satellite, on comprend vite que les occasions d’écouter de la musique sans payer ne manquent pas. Sans compter que les webradios thématiques ont depuis longtemps investi la Toile et proposent une offre très fournie pour un minimum de contraintes. Et c’est désormais au petit écran qu’elles s’attaquent en développant des applications spécifiques pour les téléviseurs connectés à l’internet, à l’instar de Tuba TV.
 
- les limites du modèle YouTube : le succès de VEVO en Pologne ne doit pas faire oublier la fragilité de ce nouvel écosystème. Au-delà des millions de clips visionnés chaque jour sur YouTube, plusieurs questions restent en suspens, tant sur le montant des gains que leur répartition. Surtout, ce modèle n’est pas à l’abri des méfaits du piratage car des plugins existent désormais pour la plupart des navigateurs Internet qui permettent de capturer le flux vidéo et donc d’enregistrer les vidéos directement sur le disque dur. Ces pratiques vont bien évidemment à l'encontre des intérêts des industriels puisqu’elles réduisent de facto considérablement le volume de publicités visionnées.

Comment faire du numérique une opportunité ?

De l’avis général des experts, l’industrie musicale en Pologne doit relever plusieurs défis pour espérer sortir de la crise : elle doit tout d’abord parvenir à juguler – ou du moins limiter – le fléau du piratage informatique.
 
Si la voie du tout-répressif a clairement montré ses limites, il reste encore beaucoup à faire quant aux
 Il faut investir massivement dans la promotion de l’offre légale existante. 
politiques de prévention : insister bien évidemment sur le caractère répréhensible du téléchargement illégal et ses conséquences néfastes sur l’ensemble de l’écosystème (à commencer par la création artistique) mais pas seulement. Il faut surtout investir massivement dans la promotion de l’offre légale existante. Or les plateformes sont trop souvent méconnues du grand public et en particulier des plus jeunes. Ce déficit de notoriété s’explique notamment par l’absence de campagnes publicitaires d’envergure, tant à destination des adolescents que des parents.
 
Mais les campagnes de promotion ne feront pas tout : encore faut-il que l’offre légale soit, dans les faits, plus attractive que l’offre illégale de musique. Force est de reconnaître qu’à l’heure actuelle, c’est loin d’être le cas : pour toutes les raisons évoquées précédemment, les sites marchands polonais manquent encore beaucoup d’arguments pour convaincre les internautes d’abandonner le téléchargement illégal.

Ce n’est désormais pas tant un problème de prix – en demandant 20 pln par mois, les tarifs pratiqués par les sites de cloud sont plus que raisonnables et presque à la portée de tous – qu’un problème d’ergonomie et de confort d’utilisation. On pense notamment aux verrous numériques qui limitent
 Les jeunes Polonais qui sont nés avec la génération Internet ne perçoivent pas toujours la musique comme un service « payant ». 
fortement le confort d’utilisation et l’interopérabilité ou encore aux modes de paiement trop restreints. Mais c’est surtout sur la richesse du catalogue de titres que les acteurs doivent se concentrer, en particulier sur les titres plus rares ou anciens que les internautes recherchent avant tout. De ce point de vue, aucune plateforme, et même au niveau mondial, n’est encore en mesure de rivaliser avec l’incroyable richesse des réseaux P2P ou des portails vidéo.
 
Reste enfin le cas des jeunes Polonais qui sont nés avec la génération Internet et ne perçoivent pas toujours la musique comme un service « payant ». C’est désormais un changement total de paradigme qui s’impose pour espérer séduire cette frange de la population et c’est sans doute là que le vrai défi pour l’industrie musicale polonaise réside. D’autant que changer les mentalités prendra du temps et que l’industrie musicale, en proie à de sérieuses difficultés, ne peut se permettre de patienter pendant 10 ou 20 ans.
 
Ici le salut passe clairement par l’invention d’un nouveau modèle économique qui reste encore à définir et où la musique jouera un rôle différent. Quelques pistes méritent toutefois d’être signalées.
L’exemple du site marchand polonais NuPlays est, à ce titre, instructif : contrairement aux boutiques traditionnelles, le site fait la part belle aux « packages » et propose ainsi plusieurs lots d’articles. Ainsi les internautes n’achètent pas seulement de la musique numérique, mais bien un « univers musical » qui trouve son prolongement dans toute une série de produits dérivés associés aux fichiers musicaux : tee-shirts personnalisés, places de concerts, CD collector signé de la main de l’artiste... La plupart des packs proposés n’excèdent pas 60 pln et ce type de combinaison offre une réelle valeur ajoutée par rapport aux seuls fichiers MP3. D’ailleurs le site se targue de « vendre de la musique d’une autre façon ».
 
D’une manière générale, il est très probable qu’avec la révolution numérique et l’explosion de l’offre gratuite – qu’elle soit légale ou non – la musique soit en passe de devenir un simple produit d’appel qui ne génèrera pas à lui seul des revenus suffisants : elle sera en revanche « le point de chute » d’une communauté d’internautes de plus en plus ciblés et à qui on pourra proposer des articles (des produits dérivés pour l’essentiel) plus rémunérateurs et ne souffrant pas de la concurrence du piratage.
 Les internautes polonais consomment de plus en plus de musique au format vidéo. 
C’est déjà la voie empruntée avec succès par certaines maisons de disque avec VEVO sur YouTube. Avec ce nouveau paradigme, la musique devient une source de trafic importante et qu’il est possible de monétiser sous différentes formes (vente de sonneries, livres dédiés à l’artiste...)

Il faut également garder à l’esprit que les internautes polonais consomment de plus en plus de musique au format vidéo, ce qui induit de nouvelles opportunités : insertion de publicités en début de vidéo bien entendu, mais aussi développement du « product placement » (le fait d’exposer discrètement des produits commerciaux dans les clips) ou encore la retransmission en direct de concerts sur Internet.
 
Quoiqu’il en soit, les raisons d’espérer existent comme le prouve le succès de Spotify en Suède – son pays de naissance – ou la plateforme représente désormais la moitié du chiffre d’affaires du secteur. La Pologne suivra-t-elle cette voie ? C’est l’espoir formulé par l’industrie musicale locale, même s’il faudra sans doute beaucoup de temps et de persévérance pour y parvenir.

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Crédits photos :
PolandMFA / Flickr
Page musique d'Empik.com
Page d'accueil de Wimp.pl
Clip vidéo sur Teledyski.info
Vidéo sur Eska TV
(1)

Source : Millward Brown SMG/KRC 

(2)

Zwiazek Autorow i Kompozytorow Scenicznyk. 

(3)

Soit respectivement environ 7 millions et 13 millions d’euros. 

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