Montage de capture d'écran des JT de 20 h de TF1 et France 2, ainsi que de BFM TV et CNews.

Dans l'information télévisée, et en particulier pendant la crise sanitaire, les femmes sont très souvent reléguées au placard. 

© Crédits photo : TF1 / France 2 / BFM TV / CNews / Capture d'écran. Montage : Laszlo Perelstein / La Revue des médias.

ÉTUDE INA. En période de coronavirus, la parole d’autorité dans l’info télé reste largement masculine

La crise provoquée par la Covid-19 a logiquement mis la santé au cœur des sujets d’information télévisée. Alors que le secteur de la santé est très féminisé, la parole d’autorité est, dans ce secteur comme dans les autres, restée principalement masculine.

Temps de lecture : 7 min

Qui s’est exprimé à la télévision pendant l’épidémie de Covid-19 ? Et quelle a été la place des femmes parmi les personnes intervenant pour commenter ou analyser cette crise sanitaire inédite ? A-t-elle été renforcée par l’importance qu’occupent au cours de la pandémie les professions largement féminisées de la santé et de l’éducation ? Début avril, la « Une » 100 % masculine du Parisien avait suscité d’innombrables réactions, conduisant le Premier ministre à confier à la députée Céline Calvez une mission sur « la place des femmes dans les médias en temps de crise » auprès de la secrétaire d'État chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, Marlène Schiappa, et du ministre de la Culture et de la Communication, Franck Riester.

À la télévision, les informations articulent les propos des journalistes, en studio et sur le terrain, avec ceux de personnes extérieures, venues d’horizons différents et qui sont la plupart du temps présentées par des « synthés » — appelés plus communément « bandeaux » —, qui contiennent généralement les nom et prénom de la personne, un statut (« malade atteint de COVID ») ou un titre (« docteur », « maire »,…), voire une description plus ou moins détaillée du locuteur ou de la locutrice. Leur étude permet donc de cerner « le sexe de la parole » et de la catégoriser en fonction du statut de celui et de celle qui parle.

C’est pourquoi nous avons analysé de cette façon, au cours de huit journées comprises entre le 17 mars et le 11 avril, les journaux télévisés de TF1, France 2 et France 3, ainsi que la diffusion de CNews et BFM TV, à l’aide d’un système inédit combinant traitement d’image et intelligence artificielle (LCI et franceinfo: n’ont pu être intégrées à l’étude ; voir les précisions méthodologiques en bas de l’article).

Capture d'écran du JT de 20 h sur TF1 montrant la professeure en infectiologie Karine Lacombe. Elle se tient assise et regarde la webcam de son ordinateur. Elle porte une blouse blanche.
Exemple de synthé lors du journal télévisé du 24 mars sur TF1. La personne est présentée avec un titre (Pr pour professeure), un prénom (Karine) et un nom de famille (Lacombe). Sa description à l’écran est « Infectiologue, cheffe de service - Hôpital Saint-Antoine (AP-HP), Paris (12e) ». Le travail de catégorisation en domaine d’intervention (Santé) et autorité (Autorité +) est réalisé en se fondant uniquement sur le contenu textuel du synthé. De cette manière, il est possible de référencer l’ensemble des personnes faisant l’objet d’un bandeau, et ainsi traiter la même quantité dinformations avec une économie de travail humain très substantielle.

Un tiers des personnes intervenant à la TV issues du secteur de la santé

Sans surprise en temps de crise sanitaire, la santé est le domaine de compétence le plus représenté parmi les personnes invitées à s’exprimer dans l’information télévisée pendant la crise de la Covid-19. Près d’une personne présentée sur trois (29,8 %) relève de ce domaine.

Ces 30 % peuvent paraître modestes au regard de l’omniprésence de la pandémie dans les médias. Mais cette crise touchant tous les secteurs de la vie sociale, toutes les compétences ont été mobilisées pour en parler (sécurité, éducation, politique…), sous des angles et à des degrés divers.

Comment se répartissent les autres domaines d’expertise ? Le deuxième groupe le plus important est constitué par les journalistes (17 % des synthés). Ensuite, les intervenants issus des secteurs « politique » ou « économique » représentent chacun environ 15 % des bandeaux. On notera la faible place des « témoins » (6 %), soit les personnes dont le métier n’est pas indiqué et qui sont qualifiées par leur statut familial ou leur état médical : micro-trottoirs, père/mère de famille, malade… La sécurité — malgré le contrôle des autorisations de circulation — et l’éducation — quelle que soit la place qu’elle a occupée dans la vie des familles confinées — n’ont amené que peu de personnes intervenant dans l’information télévisée (environ 3 % pour l’une comme l’autre).

Les informations télévisées privilégient la parole d’autorité

Si l’on excepte les journalistes, près des trois quarts (70 %) des personnes intervenant dans l’information télévisée ont une autorité forte (« autorité + » ; voir précisions méthodologiques) qu’elle soit de nature scientifique, médicale, politique, sociale, culturelle… Cela n’est pas surprenant compte-tenu du matériau et de la spécificité du dispositif journalistique, qui plus est en période de confinement. Ce pourcentage est maximal pour BFM TV (78 %) et moindre pour France 3 (62 %).

On rejoint là des observations sur le dispositif même de l’information télévisée, qui conforte la légitimité de celles — et surtout de ceux — en disposant déjà. L’information télévisée fonctionne de manière éminemment circulaire : elle dote de plus de pouvoir et rend davantage visible les individus qui l’étaient déjà, tandis que celles et ceux à la légitimité faible sont réduits à la portion congrue. C’est ce que révèlent les bandeaux qualifiant les individus codés « témoins », en particulier ceux qui ne sont désignés que par leur statut de parent de malade, époux — et surtout épouse — de soignant, mère d’écolier confiné…

Les femmes largement minoritaires dans l’info télé

Les femmes apparaissent largement minoritaires (28 %) dans l’information télévisée, avec des pourcentages d'intervenantes représentées dans les synthés qui varient de 26,3 % pour TF1 à 30,4 % pour France 3. Le résultat est sans surprise conforme aux observations effectuées dans l’ensemble des études sur la place des femmes dans les médias(1) .

Si l’on exclut les journalistes qui ne sont pas l’objet de cette analyse — les femmes représentant entre 28 et 37 % de l’ensemble des professionnels de l’information ici repérés —, les disparités entre les chaînes se font plus fortes, variant entre 23,9 % pour BFM TV et 30,1 % pour France 3.

Même si les femmes peuvent paraître plus visibles sur BFM TV — en raison d’une proportion de journalistes femmes plus importante, sans toutefois égaler la part des hommes —, c’est aussi sur cette chaîne qu’elles sont le moins représentées comme intervenantes externes. C’est sur les chaînes publiques (France 2, France 3) que l’on observe la plus grande proportion de femmes invitées (journalistes non prises en compte) — la parité reste néanmoins loin d’être atteinte.

Les hommes ont plus souvent un statut d’autorité que les femmes

Les femmes intervenantes sont majoritairement (55 %) dotées d’une forme d’autorité, ce qui est dans la logique du dispositif même des informations télévisées, mais aussi du système des bandeaux. Cependant, la comparaison avec les intervenants masculins donne des résultats plus frappants : 43 % des femmes apparaissent dépourvues d’autorité (2 % NSP, ne sait pas — personnes pour lesquelles seul le nom ou le prénom est affiché, et dont la notoriété faible ainsi que l’absence de description ne permettent pas de déterminer un domaine d’intervention), contre seulement 20 % des hommes. Cette forte asymétrie est révélatrice des rapports de domination genrée et des choix journalistiques.

Même si, sur l’ensemble des chaînes, la part d’hommes ayant un statut d’autorité (77 %) est plus importante que pour les femmes (55 %), leurs pratiques propres conduisent à des résultats contrastés. C’est sur CNews que la part des femmes ayant un statut d’autorité est la plus importante (63 %), et sur France 2 et TF1 que cette part est la plus faible (49 %). Les différences d’autorité observées entre les femmes et les hommes sont les plus fortes sur TF1 (28 points) et les plus faibles sur France 3 (14 points). La place accordée à des femmes détentrices d’une forme d’autorité ne tient donc pas au statut public ou privé de la chaîne.

La télévision, amplificateur des inégalités

L’analyse de la répartition des femmes et des hommes par domaine d’intervention et position d’autorité montre de forts déséquilibres. Les femmes ne sont davantage représentées que les hommes que dans deux catégories : les professionnelles de santé disposant d’une autorité faible (aide soignantes, infirmières…), et les personnes intervenant dans le domaine de l’éducation disposant d’une autorité faible (étudiantes, professeures des écoles).

Nous avons dénombré en moyenne, sur l’ensemble des synthés, presque trois fois plus d’hommes que de femmes. Voyons à présent la part que chaque secteur professionnel — hors journalistes et individus dont le domaine professionnel est inconnu — représente pour chaque sexe et la répartition, pour chacune, entre les personnes en situation d’autorité forte et celles en position d’autorité faible. Cette opération permet par exemple de mesurer la part des femmes à compétence économique parmi l’ensemble des intervenantes et non par rapport à la totalité des individus sollicités par l’information télévisée, qui leur laisse une si faible place.

La santé représente le domaine d’intervention principal aussi bien chez les femmes (41 %) que chez les hommes (36 %). On y constate cependant une disparité très importante en ce qui concerne le statut d’autorité des personnes invitées. Les hommes sont davantage représentés dans des positions d’autorité (médecin, chef de service), avec 32 % de l’ensemble des hommes présents dans les synthés qui sont dans ce cas, contre 27 % de l’ensemble des femmes. En revanche, les femmes sont quatre fois plus représentées dans des positions d’autorité faible (infirmière, aide-soignante) que les hommes (14 % de l’ensemble des femmes contre 3,5 % de l’ensemble des hommes).

Ces chiffres sont à contextualiser en prenant en compte les déséquilibres observés chez les personnes exerçant ces métiers. Les métiers du care sans autorité forte (aide-soignante, infirmières, aides ménagères, etc.) sont en effet massivement féminins (entre 88 % et 98 % de femmes), mais ce n’est plus le cas des médecins, presque à parité désormais (enquête de la Drees Santé, 2016). Or la télévision renforce la partition inégalitaire des responsabilités en privilégiant la parole des médecins hommes.

L’analyse des disparités relatives de présence des femmes et des hommes dans l’information télévisée fait apparaître un certain nombre de catégories pour lesquelles on observe un écart fort. Dans le domaine de la sécurité, il y a 2,2 fois plus d’hommes que de femmes. Dans le domaine économique, les hommes sont 2,7 fois plus représentés dans des positions d’autorité (chef d’entreprise), tandis que les femmes sont davantage représentées dans des positions d’autorité moindre (vendeuse, employée).

En revanche, les femmes dominent dans la catégorie « témoins », où elles sont deux fois plus nombreuses que les hommes. Sans surprise, il s’agit là de personnes dépourvues d’autorité (suivant notre codage), et donc faiblement légitimes.

Pour le domaine politique, on observe une représentation assez homogène des hommes et des femmes (la part de femmes avec une autorité « forte » ou « faible » est à peu près similaire à celle des hommes). Celle-ci est toute relative, puisqu’on dénombre, en valeur absolue, 3 fois moins de femmes politiques que d’hommes politiques, ce qui confirme le fait que les lois sur la parité n’ont guère produit d’effets sur les plateaux.

De très forts écarts selon les jours

L’analyse de l’évolution de la part des femmes représentées sur les bandeaux ne montre pas de tendance globale statistiquement significative à l’augmentation ou à la diminution pendant la période étudiée. On peut cependant noter de forts écarts selon les journées prises en considération : sur France 2, 9,4 % des synthés faisaient référence à des femmes le 4 avril, contre 54 % le 11 avril. Ces fortes variations rappellent les limites qu’il y a à focaliser les études sur une seule journée par exemple, et montrent qu’il est essentiel de couvrir un large périmètre pour décrire au mieux la réalité du paysage audiovisuel.

Au niveau des chaînes, les écarts de représentation les plus forts sont mentionnés pour les catégories (domaine et autorité) correspondant à un minimum de 20 personnes.

La proportion de femmes présentées dans l’information télévisée peut faire l’objet de fortes fluctuations quotidiennes et varier entre 10 et 55 % pour une même chaîne. Ces variations peuvent être liées aux différents sujets abordés tout au long de la crise tels que les prises de parole officielles des représentants de l’exécutif, les annonces de traitement de la Covid-19 du professeur Raoult, ou encore l’annonce de la mission ordonnée par l'exécutif le 5 avril pour rendre compte de la visibilité des femmes dans les médias en période de crise. Des approches exhaustives, rendues possibles par une automatisation partielle des méthodes d’analyses, semblent particulièrement pertinentes pour permettre l’analyse d’un échantillon temporel large et ainsi limiter les risques de généralisation excessive de cas particuliers. Chaque journée contient son lot de micro-événements, et la sélection de journées réputées neutres au sein d’une crise semble particulièrement risquée, voire illusoire. Il y a donc un compromis essentiel à trouver entre la quantité de programmes analysés et la finesse des analyses proposées.

Au cours de la période étudiée, on ne voit représentées sur CNews que 4 femmes en position d’autorité dans le domaine économique, contre 43 hommes (2 % des femmes contre 7 % des hommes). Le nombre absolu de femmes présentées sans profession est à peu près similaire à celui des hommes (18 femmes et 15 hommes), mais correspond à 3 % des représentations de femmes contre 0,3 % des représentations d’hommes.

Sur France 2, une seule femme est présentée en position d’autorité dans le domaine économique contre 22 hommes (1,25 % des femmes contre 11,8 % des hommes). Les femmes travaillant dans le domaine médical et ayant une autorité faible sont plus nombreuses que les hommes (15 contre 10).

Sur BFM TV, on voit 20 femmes catégorisées dans des professions de santé et dépositaires d’une autorité faible (7,5 %) contre 9 hommes (1,3 %). Pour les personnes représentées comme ayant une faible autorité dans le domaine de l’éducation (étudiants et étudiantes), le nombre absolu de personnes représentées est équivalent (12 femmes pour 10 hommes).

En dépit de son caractère sanitaire, la crise n’a pas remis en cause le déséquilibre entre hommes et femmes dans l’information télévisée ; elle a même conforté la place dominante accordée par les informations aux intervenants masculins. La parole d’autorité reste également un monopole largement masculin, y compris dans un secteur comme celui de la santé où les femmes sont pourtant majoritaires.

Remerciements

L’auteur et les autrices souhaitent remercier chaleureusement Boris Jamet Fournier, Julian Merer et Valérie Gauffreteau. Leurs conseils et leur implication dans la correction manuelle des textes des synthés obtenus automatiquement ont été d’une aide précieuse, sans laquelle la réalisation de cette étude n’aurait pas été possible.

La captation des flux télé fait partie des missions de l’INA au titre du dépot légal. Ces données sont rapidement disponibles pour effectuer des analyses, notamment grâce à l'équipe du DLWeb de l'INA et à leur logiciel Collgate : Thomas Drugeon, Jérome Thièvre et Fabien Larrieu.

Cette étude a été réalisée dans le cadre du projet GEM (Gender Equality Monitor) qui a reçu des financements de l’Agence nationale de la recherche (ANR-19-CE38-0012).

Méthodologie

Périmètre temporel de l’étude

Huit journées ont été analysées, correspondant aux mardis et aux samedis entre le 17 mars (date de début du confinement) et le 11 avril. La date du 17 mars n’a pas été analysée sur France 3, car en raison d’une édition spéciale de début de confinement, l’aspect des bandeaux diffusés lors de cette édition était différent de leur aspect habituel.

La quantité totale de programmes analysés dans le cadre de cette étude correspond à environ 400 heures de contenu, ce qui est un volume nettement supérieur à ce qui a pu être abordé dans d’autres études portant sur les bandeaux.

Périmètre médiatique de l’étude

L’analyse des synthés a été effectuée pour les trois JT du soir associés aux plus fortes audiences : TF1 (20h), France 2 (20h) et France 3 (19h). Dans le cas de France 3, la première partie du JT correspond au décrochage régional Île-de-France. Les chaînes d’informations en continu sélectionnées (BFM TV et CNews) ont été analysées exhaustivement par tranches de 24 heures. Elles occupent respectivement la première et la troisième place des plus fortes audiences. L’analyse de LCI (deuxième plus forte audience pour l’information en continu) ou de France info n’ont pas été réalisées car les spécificités techniques et colorimétriques d’affichage des synthés sur ces chaînes rendent beaucoup plus faillible leur détection que pour les autres chaînes ; leur analyse aurait donc nécessité davantage de travaux de recherche et développement.

Détection et analyse des synthés

Pour la réalisation de cette étude, le service de la recherche de l’INA a conçu un système combinant traitement d’image et intelligence artificielle, apte à détecter automatiquement l’ensemble des bandeaux texte diffusés sur plusieurs chaînes TV et à en extraire le texte. Pour chaque chaîne, les zones où les synthés présentant des personnes sont susceptibles de s’afficher sont isolées, puis analysées séparément à la fréquence d’une image par seconde.

À la différence des images naturelles, les bandeaux sont des images de synthèse: leur aspect ne varie que très peu d’une image à l’autre, ce qui permet d’identifier les segments temporels contenant peu de variations colorimétrique, où sont contenus les synthés. Des profils colorimétriques sont extraits de ces segments temporels dans un second temps à l’aide de modèles de mixture gaussiens (GMM), permettant de représenter les couleurs dominantes, ainsi que les variations éventuelles rencontrées dues aux effets de transparence de certains bandeaux. Les profils colorimétriques correspondant à chaque aspect sont appris séparément à l’aide d’exemples de manière à pouvoir les identifier. Les synthés détectés sont ensuite regroupés (clustering) afin d’obtenir une image représentant l’ensemble des occurrences. Enfin, le contenu texte est obtenu à l’aide d’un système de reconnaissance optique de caractères (OCR). Les titres, noms, prénoms et description des personnes sont ensuite repérés automatiquement en se fondant sur leur position au sein des synthés, ou encore sur les codes couleur des caractères utilisés.

Les textes obtenus automatiquement sont tout d’abord corrigés manuellement puis analysées dans un second temps en ajoutant trois critères : le sexe apparent de la personne, son domaine d’intervention et son autorité. Ces critères permettent de produire des statistiques décrivant la représentation des femmes et des hommes dans les contenus qui comprennent des bandeaux. L’automatisation partielle du processus permet d’envisager l’analyse intégrale des chaînes d’informations en continu avec un investissement en temps limité. 24 heures de contenu diffusé sur BFM TV produisent en moyenne 130 synthés et réclament environ une heure d’analyse manuelle ; ainsi le travail humain nécessaire pour un tel travail, sans être négligeable, est considérablement accéléré.

L’analyse des bandeaux présentés dans les l’information télévisée complète d’autres méthodes utilisées pour décrire la représentation des femmes dans les médias, telles que le temps de parole ou encore le décompte manuel et la catégorisation des participants, comme dans les rapports annuels du CSA ou le Global Media Monitoring Project.

Ce matériau apporte, comme tout corpus de recherche, une représentation particulière des personnes invitées à s’exprimer dans les émissions d’information dont on pourrait signaler quelques limites : l’affichage des synthés dépend des pratiques des chaînes, des demandes des intervenants, du temps disponible, voire des compétences de l’employé en charge de l’opération. Cependant, le bandeau donne une indication sur les intervenants auxquels les chaînes accordent une forme de légitimité. Le bandeau nominatif qui s’affiche sous une personne qui parle signale que celle-ci mérite d’être nommée et située, ce qui n’est pas nécessairement le cas de l’ensemble des personnes qui parlent dans les émissions d’information.

Ces remarques pourraient être considérées comme des biais : elles sont le prix à payer pour automatiser la recherche et permettre ce faisant l’analyse de corpus étendus, ce qui réduit d’autres biais inhérents à l’étude de corpus restreints.

Cette étude propose ainsi une méthode d’analyse des bandeaux efficiente et semi-automatique qui permet l’analyse à grande échelle des personnes qui interviennent au cours des émissions. On mesure l’intérêt qu’il y a à mettre au point un tel système d’analyse pour évaluer qui parle au journal télévisé, et donc quelles paroles sont légitimées par le discours informationnel.

Qualification des du domaine d’intervention et de l’autorité des personnes

Un travail d’analyse manuelle des synthés détectés a permis de catégoriser les personnes présentées en fonction d’un domaine d’intervention et d’un degré d’autorité.

Les domaines d’intervention ont été codés selon neuf catégories: Économie, Éducation, Politique (élus, hommes politiques et hauts fonctionnaires), Santé, Sécurité, Témoins (personne désignées par leur statut de témoin: malades, père de, ...), Autres (artistes, écrivains, associatifs, sportifs, clercs…), Journaliste et NSP.

Les degrés d’autorité ont été représentés (Autorité+ et Autorité-). Pour l’évaluer, on a pris en compte l’autorité de pouvoir, de savoir ou de notoriété, quelle qu’en soit l'échelle (locale comme internationale, dans un pays, une entreprise, une municipalité — y compris petite…). Un homme ou une femme médecin, un ou une interne, un ingénieur ou une ingénieure, un chef ou une cheffe d’entreprise, un officier ou une officière, un ou une maire, un représentant ou une représentante syndical(e) sont codés Autorité A+. Une (ou un) aide-soignante, un infirmier ou une infirmière, un ou une kinésithérapeute, un ou une membre d’association, bénévole, vendeur ou vendeuse, membre du syndicat ou du parti X l’ont été Autorité A-. Les cas ambigus, assez peu nombreux, ont été discutés au cas par cas.

Du fait de leur statut particulier, l’autorité des journalistes n’a pas été codée. Notre analyse repose sur l’étude des « synthés », or certains présentateurs tout comme nombre de journalistes de télévision n’en ont pas. D’autres types de mesures sont donc susceptibles de leur attribuer une proportion plus importante.

Ce codage a été fait à partir du texte de synthé. Pour une vingtaine de cas (sur 2 500 environ), lorsque les informations étaient difficiles à interpréter, le travail d’analyse des personnes présentées a été complété par des recherches sur le web. Le fait d’avoir une page sur Wikipédia a ainsi conduit à coder la personne A+.

Chaque bandeau a fait l’objet d’une analyse réalisée indépendamment par deux personnes différentes, afin de diminuer les effets liés à la subjectivité des personnes en charge de cette analyse. Les différences d’appréciation ont fait l’objet d’une analyse des incohérences, qui a donné lieu à un recodage après discussion permettant d’obtenir un accord presque parfait. L’accord est mesuré à l’aide du Kappa de Cohen K. Pour le domaine d’intervention, K=0,988 et pour l’autorité K=0,985.

Dans cette étude, chaque personne est donc identifiée par ses prénom(s), nom (sous réserve que ceux-ci soient précisés), sexe et son codage en domaine d’intervention et autorité. Les différences de description textuelle des personnes ont été ignorées dans le décompte, car il est fréquent que la description d’une même personne change plusieurs fois au cours d’une même journée sur les chaînes d’information en continu.

Exemple de bandeau diffusé lors d'un JT contenant le même nom et une description différente
Exemple de bandeau contenant le même nom et une description différente, qui ont fait l’objet d’une même catégorisation (Économie - Autorité +) et qui ont été utilisées le même jour sur CNews (11 Avril). Ces différentes variantes n’ont été comptabilisées qu’une seule fois malgré des différences de description mineures

Décompte des synthés

Le temps d’affichage des synthés peut varier fortement d’une chaîne à l’autre. Sur TF1, ils ne sont affichés que quelques secondes au début de la prise de parole d’un intervenant, tandis que sur CNews ou BFM TV, ils tendent à rester à l’écran pendant toute la durée d’une intervention. En conséquence, la règle de décompte consiste à ne comptabiliser qu’un synthé par personne, par jour et par chaîne. Si un synthé apparaît plusieurs jours différents, ou sur des chaînes différentes, il est comptabilisé une fois par date et chaîne d’apparition.

Un total de 2 802 synthés correspondant à 1 867 personnes différentes ont été comptabilisées. Les bandeaux sont majoritairement répartis sur BFM TV et CNews qui sont analysées 24 h/24. Dans cet article, les statistiques sont calculées de manière à ce que les chaînes d’information en continu (pour lesquelles le nombre d’heures de programmes et donc de synthés est beaucoup plus important) aient une représentativité équivalentes aux autres chaînes dans les résultats (procédure de normalisation par chaînes).

À titre de comparaison, l’analyse des bandeaux avait été abordée dans une étude du CSA parue en 2018. Les analyses présentées étaient réalisée manuellement permettant un degré de finesse plus élevé: pourcentage de personnes ne faisant pas l’objet de synthés, place et rôle des personnes perçues comme « non blanches »... Ces analyses avaient porté sur un total de 10 heures de programmes pour 8 chaînes, soit un peu plus d’une heure par chaîne. L’approche proposée dans notre étude a permis, au prix d’un investissement humain modéré, d’analyser plus de 400 heures de programme : environ 6 heures par chaîne généraliste, et 192 heures par chaîne d’information en continu.

La réalisation de cette étude a été riche en enseignements et pose un certain nombre de défis scientifiques et technologiques qui pourront faire l’objet de futurs travaux. Ainsi, il semble essentiel d’étendre davantage la couverture temporelle des analyses, afin de pouvoir caractériser davantage les différences observées dans l’information télé entre les périodes de crise et les autres périodes. Une approche envisagée pour répondre à ce besoin d’exhaustivité pourrait être d’utiliser les résultats de catégorisation produits manuellement dans le cadre de cette étude pour entraîner et concevoir des systèmes automatiques fondés sur des intelligences artificielles, ce qui pose d’autres questions d’ordre technologique et éthique. Est-il possible et souhaitable de concevoir des programmes dotés de capacités d’analyse sémantique que l’on substituerait à celles des humains.

    (1)

    BISCARRAT, Laetitia., COULOMB-GULLY, Marlène., MÉADEL, Cécile. « Ce que soulèvent les chiffres. La place des femmes dans les médias : retour sur enquêtes », Le Temps des médias, 2017/2 (n° 29), p. 193-207.

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