Le plateau du Mistral, quartier fictif où se déroule Plus belle la vie.

© Crédits photo : Justine Rodier

Plus belle la vie : comment se dire adieu ?

C’est la plus longue série de l’histoire de la télévision française : dix-huit ans. Mais Plus belle la vie va s’arrêter, après 4 665 épisodes. Comment conclure ? Scénaristes et dialoguistes ont planché sur le clap de fin, prévu pour le 18 novembre.

Temps de lecture : 6 min

Le 17 février, sur le plateau de Touche pas à mon poste, l’actrice Fabienne Carat (personnage de Samia Nassri) et Pauline Rocafull, scénariste depuis cinq ans, écoutent, sans parvenir à y croire, l’exposé très affirmatif que leur fait Cyril Hanouna : Plus belle la vie, le feuilleton phare de France 3, va s’arrêter. Au même moment, dans les bureaux de Newen France, Vincent Meslet, directeur général de la société de production de Plus belle la vie, comprend que le couperet va tomber. La rumeur courait depuis février, il se doutait que la fin était proche, mais en l’absence d’annonce officielle… « On ne voulait pas informer les équipes sans avoir de certitudes », se souvient-il.

Quand finalement la décision tombe, les contours des conditions de l’arrêt sont encore floues. Pierre Monjanel, directeur de collection (la partie éditoriale de la série) depuis une dizaine d’années, n’avait « rien suspecté ». Tout de suite, il alerte la chaîne et la production sur les délais : « Nous étions en mars et nous venions de boucler les diffusions de l’été. » Environ trois mois sont nécessaires entre l’écriture et la diffusion d’un épisode et « les gens n’ont pas forcément ce décalage en tête. Il était primordial d’avoir une date fixe pour imaginer la fin en fonction. » Ce sera le 18 novembre. « Les premières décisions annonçaient l’arrêt pour septembre. Nous avons négocié plus de temps, mais c’est resté très court pour gérer cette crise sans impacter le côté artistique », explique Vincent Meslet. Entre les congés déjà posés, les obligations personnelles, les absences des scénaristes, des acteurs et des actrices, il a fallu aller vite. Les ultimes épisodes ont été écrits mi-juillet et les dialogues mi-août. Le dernier jour de tournage est prévu fin septembre.

Dernières mises en place avant le tournage d’une scène de Plus belle la vie dans l’hôtel du Zéphyr.
Dernières mises en place avant le tournage d’une scène dans l’hôtel du Zéphyr. Crédit : Justine Rodier.

La grande majorité des trente scénaristes travaille à distance. Vincent Meslet et Pierre Monjanel en convoquent une dizaine pour un séminaire de fin. Mais l’objectif est avant tout de se réunir pour se soutenir. « La décision a été très brutale et difficile à accepter pour les membres très soudés de la famille "Plus belle" », souligne le directeur de collection. « Il fallait surmonter le choc pour être efficaces et offrir une fin digne de ce nom », raconte le directeur général de Newen France qui s’est soucié de « mettre les inquiétudes et rancœurs à la porte » pour qu’elles ne transparaissent pas dans le scénario. Avec ses dix-huit années de diffusion, « Plus belle », est presque une institution. Elle détient le record de longévité des séries françaises. Elle a son identité bien à elle.

Premières grandes orientations scénaristiques

Le séminaire doit décider des grandes orientations scénaristiques. « Pour restreindre le périmètre, on a d’abord défini ce qu’on ne pouvait pas faire », explique Pierre Monjanel. Deux décisions sont prises. La première : la fin ne doit pas être triste. Pas de drama, même si les scénaristes promettent un lot « d’émotions et de rebondissements » — mariage et autre reconstitution de couple — pour rendre la fin « mémorable ». On annonce un « festival de happy ends, sans verser dans l’utopie », sourit Marc Roux, co-directeur des dialogues.

La seconde : il n’y aura pas de fin à proprement parler. « Dans un film, la fin sonne comme la morale de l’histoire, le point final qui donne du sens à l’intégralité du récit», estime le directeur de collection. Mais après 4 665 épisodes et 3 290 personnages (hors figurants) « ça n’a pas de sens ». La fin sera donc « douce » : « La vie va continuer… et les personnages continueront de vivre des aventures au Mistral. Sauf qu’on ne sera plus là pour le voir », résume Émilie Alibert, co-directrice des dialogues et à l’œuvre sur la série depuis neuf ans. Ne pas clôturer la série tout net, c’est aussi une manière de garder une porte ouverte à une suite éventuelle… « Mais ce n’est pas ça qui nous guide », précise Vincent Meslet.

À part ces deux obligations, « on ne s’interdit rien, et on s’autorise tout ». Un nouveau personnage, un prêtre, le Père Luc, a fait son entrée dans la série et a débuté une relation amoureuse avec l’une des figures historique de la série, Mirta Tores. « Un gros sujet de société qu'on tenait à traiter », commente Pierre Monjanel.

« Faisons-nous plaisir, le public le sentira »

Une fois le cadre posé, les scénaristes optent pour des « cadeaux » aux téléspectateurs et téléspectatrices, en récompense à leur fidélité. De nombreux « clins d'œil », références à des histoires passées, sont prévus. « J’ai dû me plonger dans les archives pour me remettre à la page de personnages ou trames que je ne connaissais pas et proposer, à partir de là, des histoires et flash back », confie Émilie Alibert. Spoiler : un personnage emblématique doit aussi faire son come back. Pour que tout le monde soit heureux, il a aussi été décidé de réunir de façon inédite la cinquantaine de personnages actuels dans une scène finale sur la place du Mistral. « Il y a des destins que j’avais prévu de développer en 2-3 ans et qu’on va comprimer en 2-3 mois », explique Pierre Monjanel. Il a donc fallu « condenser » le scénario pour que tous y trouvent une place. Pas question pour autant de toucher à la « patte de "Plus belle" » en faisant courir seulement trois ou quatre intrigues parallèles, explique Pierre Monjanel. Chaque scène des vingt-six minutes d’épisode quotidien a été mûrement pensée.

Un des réalisateur de la série et sa script contrôlent le retour vidéo des deux caméras en plateau.
Un des réalisateur de la série et sa script contrôlent le retour vidéo des deux caméras en plateau. Crédit : Justine Rodier.

L’ultime épisode du 18 novembre mettra fin au quotidien du Mistral. Il sera toutefois suivi d’un prime à partir de 21h10, « un bonus » comme l’équipe sait en mijoter, où les personnages reviendront pour une dernière intrigue inédite. 

En attendant, au cours des dernières semaines d’écriture, la philosophie de Pierre Monjanel et des scénaristes a été la suivante : « Faisons-nous plaisir, ne nous brimons pas : le public le sentira. » Ainsi, les équipes ont imaginé des scènes encore « jamais vues » comme la réunion de tous les personnages sur la place du Mistral au même moment.

« Éteindre les lumières »

Malgré la tristesse qui saisit les scénaristes comme les quelque 600 personnes gravitant autour de la série (costume, maquillage, décor, son et lumière), « c’est un exercice assez stimulant de penser la fin d’un feuilleton de près de vingt ans, livre Pierre Monjanel. À l’échelle d’une carrière, c’est unique et il y a quelque chose de très spectaculaire à éteindre les lumières ». D’autant que la charge de travail diminue au fur et à mesure que l’écriture se termine puisqu’il n’y a pas de suite à prévoir. Une grande première pour des équipes travaillant sans relâche et « toujours à fond ».

Sur le plateau, entre deux scènes, une actrice reproche aux scénaristes de ne pas avoir su rester dans l’ère du temps, en n'évoquant pas la pandémie, ou en mettant en scène le bac 2021 dont les épreuves ont été annulées. « La série a toujours collé au quotidien des gens, c’est ce qui faisait sa force ! », regrette-t-elle. Au sein des équipes, tout le monde ne partage pas son avis et d’autres soutiennent le parti pris d’offrir une « bulle d’air » au moment où le Covid-19 angoissait les foyers.

Plus de 600 personnes travaillent sur le feuilleton, dont environ 80 aux départements coiffure, maquillage et costume.
Plus de 600 personnes travaillent sur le feuilleton, dont environ 80 aux départements coiffure, maquillage et costume. Crédit : Justine Rodier.

Quoi qu’il en soit, l’aventure Plus belle la vie restera gravée dans la mémoire de celles et ceux qui l’ont faite. Marc Roux parle de « cerveau collectif », d’une « ambiance de troupe » et de « rencontres importantes tant sur le plan professionnel que personnel ». « Avec l’impératif de productivité quotidienne, "Plus belle" a imposé une importante répartition des tâches, ce qui poussait au travail d’équipe et à la coopération », salue Pauline Rocafull qui s’est sentie bien plus « isolée » sur d’autres séries. Sur "Plus Belle", plusieurs dizaines de personnes travaillent sur chaque épisode. « Elle a aussi démocratisé les ateliers d’écriture où les scénaristes fonctionnent de manière collaborative, poursuit Marc Roux. En cela, la série a eu un impact sur la formation des auteurs et autrices en France et a changé l’état d’esprit des scénaristes ».

Mise à jour du 06/09/2022 : précisions sur le nombre d'acteurs présents lors de la scène finale.

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