2013 et 2014 : vers une modernisation du système
En organisant, en janvier 2013, les « Assises pour la diversité du cinéma français », le CNC et le ministère de la Culture ont créé les conditions nécessaires pour un débat constructif à la suite des critiques de plus en plus discordantes. Dans
son discours d’introduction, Éric Garandeau, alors président du CNC, insistait sur les bons résultats du cinéma français en salles, dans les box offices étrangers, en Europe et pour le financement du cinéma d’auteur du monde entier. Pour lui, le CNC a toujours fait figure de bon élève pour soutenir la diversité de notre cinéma national : en redistribuant les taxes perçues par les gros films vers les productions plus fragiles, en augmentant les soutiens destinés aux auteurs et aux compositeurs, en soutenant de nombreux films financièrement précaires pour trouver un public en salles : ainsi, si le nombre de films distribués en salles augmente toujours un peu, la part de ceux qui font moins de 50 000 entrées n’a cessé de diminuer depuis 20 ans, passant de 60 % à 40 % de la production. Et tout cela grâce à des taxes certes de plus en plus abondantes, mais dont la croissance suit un rythme moins rapide que la hausse du chiffre d’affaires de tout l’audiovisuel.
Quelques mois plus tard, Pierre Lescure remettait au gouvernement son rapport «
Acte II de l’exception culturelle ». Comment adapter les outils de notre système d’aide à la culture, et notamment pour le cinéma, à l’ère du numérique ? Au moins trois mesures importantes étaient préconisées pour ce secteur : assouplir
la chronologie des médias en avançant les fenêtres VàD (ou VOD) et SVOD à 3 mois et 18 mois ; élargir la taxe VàD aux services dont le siège est situé à l’étranger comme iTunes ou
Netflix, et taxer les appareils connectés pour accroître les financements au secteur. Finalement, si la taxe sur les appareils connectés a été repoussée à 2015, les deux autres mesures ont été actées depuis : le CNC a proposé en juillet 2014 plusieurs propositions aux organisations professionnelles pour assouplir la chronologie des médias en abaissant la plupart des fenêtres, et notamment celle des services de SVOD s’ils contribuent au financement de la création, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent pour des services comme iTunes et Netflix puisque leurs sièges sociaux sont situés à l’étranger (le CNC prévoit d’ailleurs de
taxer ces services en 2015).
Mais le rapport qui pour le moment a eu le plus d’impact est peut-être
celui de René Bonnell, commandé par le CNC à la suite des « Assises pour la diversité ». Il lui a été notamment demandé de clarifier les relations entre les différents acteurs de la chaîne de valeur, d’évaluer les pratiques d’autorégulation du secteur pour les moderniser et d’analyser les dispositifs d’encadrement et de soutien publics pour les moderniser à l’heure du numérique. René Bonnell fait lui aussi le constat d’un secteur sous tension, avec une production de plus en plus concentrée et fragmentée, une distribution dans la même situation et de plus en plus coûteuse, un déclin continu de la vidéo physique, un ralentissement de celui de la VàD concurrencé par des services en ligne prometteurs (
télévision de rattrapage, SVOD), un effondrement pour les chaînes en clair, et des exportations pas assez soutenues. Que faire alors dans un contexte aussi tendu ? René Bonnell propose de nombreuses mesures pour moderniser le financement du cinéma : réduire dans les devis de fabrication le nombre de postes occupés par des « talents » et limiter les salaires des stars en les intéressant au succès commercial des films, multiplier les audits sur les budgets de production et de distribution pour améliorer la transparence dans la filière, instituer une obligation d’intervention des chaînes historiques dans un certain nombre de premiers et deuxièmes films, renforcer l’aide automatique à la production pour les « films du milieu » (entre 500 000 et 1,5 million d’entrées) ainsi que le financement
des SOFICA et des fonds d’investissement pour ces films, accroître
les soutiens automatiques aux distributeurs indépendants tout en les encourageant à co-investir dans les films, relancer l’offre légale en baissant la TVA de 20 % à 10 % sur la vidéo physique et la VàD, rendre l’offre de SVOD disponible à 18 mois sous conditions, et mettre en œuvre la taxe sur les matériels connectés déjà proposée par Pierre Lescure.
Tandis que le CNC réfléchissait aux recommandations de René Bonnell, la Cour des Comptes a émis
un nouveau rapport qui va dans le même sens. Il s’agit cette fois non plus d’une critique en règle du CNC, mais de la trop grande dépendance du secteur aux soutiens. Le constat est le suivant : une expansion de tous les types de soutien avec une hausse des investissements imposés aux chaînes TV, une inflation du nombre de films – et de leurs coûts pour les plus gros d’entre eux – sans réflexion en amont sur leur amortissement, une fréquentation des salles certes élevée mais concentrée sur quelques succès seulement et une saturation de la fenêtre télévisuelle. La Cour des Comptes préconise donc de réduire le nombre d’aides tout en augmentant leur montant, afin de limiter les dérives inflationnistes du système. Par voie de conséquence, les rémunérations les plus élevées ne devront plus être autorisées pour obtenir ces aides.
Le 27 novembre 2014, le CNC a imposé une nouvelle mesure qui s’inscrit dans le sens des précédents rapports, et même de la tribune de Vincent Maraval : un encadrement inédit pour les cachets des vedettes. Le nouveau système des aides sélectives sera conditionné à des plafonds plus ou moins élevés selon le budget du film
Cette mesure, certes très médiatique, en masque d’autres
tout aussi importantes et en phase avec la réflexion menée par le gouvernement, le CNC et les professionnels du secteur : une amélioration de la transparence dans la filière par des contrats plus standards et des rendus de compte adressés au CNC avec l’état d’amortissement du film, une règle de capital minimum pour fonder une société de production afin de limiter la fragmentation de la production et de la renforcer, et enfin
une nouvelle aide automatique pour la VàD (en plus
de l’aide sélective déjà en place) mais seulement pour les éditeurs dont le siège social est situé en France. Le monde du cinéma français a donc conscience que son système se trouve dans l’impasse, et fait ses premiers pas vers une adaptation au monde de demain. Affaire à suivre…