L’enjeu de la pérennisation du financement par le public
Les travaux de Rodney Benson de l’université de New York apportent un éclairage précieux sur le sujet. S’appuyant sur une enquête large qui concerne le panorama des médias ne recherchant pas le profit et leur financement par le mécénat ou les fondations, il souligne l’absence de pérennité de celui-ci. La principale exception concernerait ProPublica appuyé par la Sandler Foundation. Rodney Benson s’inquiète d’ailleurs que l’intérêt porté par lesdites fondations à l’égard des médias fragilisés ne soit éphémère et relève d’une sorte d’effet de mode. Dans une communication lors des Assises du journalisme à Tours en 2016, il soulignait la plus grande disponibilité du mécénat ou des fondations à l’égard d’approches journalistiques ponctuelles : un reportage, une enquête, un dossier, alors qu’ils ne permettraient pas de financer une rédaction dans la durée.
La situation française n’accorde que peu de place au mécénat et aux fondations
Au regard d’une telle observation la situation française est encore plus fragile puisqu’elle n’accorde que peu de place, ou exceptionnellement au mécénat et aux fondations. Pour comprendre cela, il faut sans doute prendre en compte un contexte culturel et social, propre à la France, où les fondations interviennent très modestement dans le financement d’activités d’intérêt public, telles que l’enseignement, la santé, voire nombre de domaines de solidarité qui reviendraient d’abord à l’action étatique. Dans chacun de ces domaines lorsqu’interviennent des problèmes cruciaux de moyens et de financements, l’opinion se tourne directement vers l’État, afin que celui joue son rôle.
L’absence de fondations dans le financement des médias, ou dans leur capital, contrairement à l’Allemagne
, par exemple (Bertelsmann, FAZ, etc.) revêt également, et peut-être surtout, une dimension juridique. En France, la création d’une fondation est complexe (niveau de capital, passage devant le Conseil d’État, etc.). En outre celle-ci doit comprendre dans son conseil d’administration un représentant du ministère de l’intérieur. Une telle obligation la disqualifie, de fait, pour jouer un rôle en matière d’information indépendante. L’observation n’est pas nouvelle, Ouest-France devait renoncer à cette formule au profit d’une forme associative assez complexe, pour se protéger d’un rachat hostile à la fin des années 1980. Ne pourrait-on imaginer une forme de fondation de presse qui échapperait à cette obligation, garantissant mieux son indépendance ? Force est de constater que le sujet est loin d’être prioritaire dans le débat concernant les structures et les modalités d’évolution du modèle économique de la presse, fut-il aussi durement fragilisé qu’il l’est en France depuis plus d’une décennie.
Faut-il y voir une raison de l’engouement pour les plateformes de
crowdfunding, notamment, pour les créations de médias de dimensions modestes, soucieux de leur indépendance ? Le revers est cependant évident, car même lorsque les sommes collectées sont « importantes », elles restent très loin de ce qu’il faut pour lancer et faire vivre dans la durée, un média, une rédaction de dimension significative. Il reste dès lors un chemin à parcourir pour imaginer les formes d’un accompagnement dans la durée de l’activité journalistique par le public. Cela passe par des innovations en matière de statut juridique de l’entreprise de presse,
comme le souligne Julia Cagé
. À cet égard la France, souffre sans doute ici aussi d’un déficit de motivation dans ce domaine, les attentes à l’égard de l’État étant plus souvent formulées en termes d’aides à la presse.