Une stratégie médiatique à finalité politique
Loin de faire émerger un quelconque embryon de diversité médiatique, la chaîne Future TV ainsi que les autres télévisions libanaises, ont plutôt aggravé le confessionnalisme, augmentant le doute sur leur crédibilité.
Mais la véritable rupture dans le paysage médiatique libanais se situe au lendemain de l’adoption de la résolution 1559. Adoptée par une majorité des membres du Conseil de Sécurité de l’ONU afin de forcer la Syrie à cesser son ingérence dans la politique libanaise, elle a eu pour effet de diviser radicalement les médias libanais selon leur opposition ou non à cette résolution.
En effet, pour une partie des Libanais, l’attentat suicide qui a coûté la vie à Rafic Hariri représentait une conséquence de cette crise politique engendrée par la décision onusienne. La mort de l’ancien Premier ministre a ainsi aggravé la division des médias libanais, devenus de véritables organes de propagande des deux camps qui se sont constitués après le renouvellement -imposé par la Syrie- du mandat de l’ancien Président de la République Emile Lahoud. Cette crise, qui a duré plus de trois ans, a été marquée par un discours médiatique propagandiste tenu par les médias appartenant aux divers protagonistes libanais.
Future TV a subi de plein fouet cette nouvelle donne politique qui a changé radicalement sa ligne éditoriale. Elle est devenue hostile à la Syrie et aux partis politiques libanais qui soutenaient le régime syrien accusé d’être responsable de la déstabilisation du Liban. Ne tenant pas compte du principe de la présomption d’innocence, la chaîne n’a pas hésité à accuser le Hezbollah et ses alliés de complicité dans les attentats qui ont secoué le pays.
Par ailleurs, il convient de noter que le traitement partial de l’information par les chaînes libanaises a été un vecteur de développement du secteur audiovisuel. Les bailleurs de fonds libanais, leaders politiques qui cherchent traditionnellement à augmenter leur crédibilité auprès de l’opinion publique, ont développé plusieurs initiatives en ce sens. Le Courant Patriotique Libre du Général Michel Aoun a créé sa propre chaîne, Orange TV (OTV). D’autres projets présentés comme des initiatives privées ont vu le jour, mais ils ont toutefois été assimilés par leurs détracteurs à des supports partisans. Ce sera d’ailleurs le cas du quotidien Al-Akhbar, qui assume clairement sa ligne éditoriale proche de l’opposition, ainsi que du site Internet d’information Now Lebanon, qui soutient l’alliance de 14 Mars. Quant à la famille Hariri, elle a profité de l’élan populaire provoqué par l’assassinat du Premier ministre pour asseoir son hégémonie sur la communauté sunnite et créer une nouvelle chaîne d’information en continu : Ekhbariat Al-Moustaqbal. Créée à la fin de l’année 2007 et surfant, comme les autres chaînes libanaises, sur le rejet de l’autre « libanais », celle-ci est devenue une arme de propagande au service du Courant du Futur et plus largement de l’alliance de 14 Mars.
La création de la nouvelle chaîne répondait à un double objectif financier et politique. Malgré la rareté des recettes publicitaires sur le marché de l’audiovisuel libanais, le caractère confessionnel des médias et l’ingérence régionale et internationale dans les affaires politiques du pays ont permis une abondance des fonds destinés à créer des outils de communication. Selon un militant d’un parti de l’opposition, d’importantes sommes d’argents sont allouées aux partis politiques pour créer des sites Internet d’information, des radios et des télévisions. L’arrivée du nouveau-né de la famille Hariri dans le paysage audiovisuel libanais pourrait alors être le fruit de cette nouvelle donne d’autant que la famille dispose d’un appui financier régional de taille : l’Arabie Saoudite. Quant à l’objectif politique, il est intimement lié à la polarisation de la vie politique libanaise entre l’Alliance de 14 Mars dirigé par les sunnites et le mouvement du 8 Mars dominé par le Hezbollah. Cette tension, qui peut être assimilée à une guerre civile silencieuse, a atteint son point culminant lors des événements du 7 mai 2008.
On a pu assister à un conflit armé entre sunnites et chiites dans la capitale et dans le nord du pays couvert avec la subjectivité totale des médias des deux camps, à savoir Al-Manar d’un côté, Future TV ainsi que sa nouvelle sœur, Ekhberiat Al-Moustaqbal de l’autre. C’est dans ce contexte que les locaux de la chaîne Future TV, propriété de la famille Hariri, ont été attaqués le 9 mai 2008 par des miliciens de l’opposition. Cet acte a suscité de vives critiques, même dans la presse écrite de l’opposition comme Assafir et Al-Akhbar, et a eu pour effet d’accroître les tensions entre les communautés, notamment sunnites et chiites.
L’accord de Doha a mis fin à cette crise en permettant l’élection à la magistrature suprême de l’ancien chef d’état majeur de l’armée libanaise. Cet événement a marqué un bouleversement politique qui a amené l’appareil médiatique du Courant du Futur à se confronter à un dilemme financier et politique. Le rapprochement de l’Arabie Saoudite, financeur majeur de la machine de propagande sunnite libanaise avec la Syrie a privé la chaîne de subsides, d’autant plus qu’elle cumulait alors une dette chiffrée à 18 millions de dollars. Pour sortir de cette impasse financière, le directeur d’Ekhberiat Al-Moustaqbal, Nadim Al-Maoula, également ancien directeur de Future TV et un de ses actionnaires, aurait proposé à Saad Hariri une fusion de la chaîne Future TV et de la chaîne d’information. Mais cette décision a été suspendue pour une raison familiale : selon la presse libanaise, la veuve du feu Premier Ministre Rafic Hariri, qui détient une partie de Future TV, aurait posé des conditions sur la ligne éditoriale de la nouvelle entité.
Après la première visite de Saad Hariri à Damas en décembre 2009, les responsables de la chaîne, dont la ligne éditoriale était le développement d’un discours hostile contre la Syrie, se sont retrouvés contraints d’arrêter toute critique envers celle-ci. En effet, lors d’une réunion avec les cadres de la chaîne à son retour de Damas, Saad Hariri a non seulement demandé d’arrêter tout discours hostile envers la Syrie, mais encore de réserver au régime syrien le même traitement que celui réservé à l’Arabie Saoudite. Ce changement dans la relation liant la formation sunnite au régime syrien va probablement provoquer des changements dans la programmation de la chaîne. On parle déjà d’un audit présenté par l’un des conseillers de Saad Hariri préconisant la suppression de certains programmes et qui aurait comme conséquence le départ d’une centaine de journalistes.