Game of Thrones, le transmédia couronné de succès

Game of Thrones, le transmédia couronné de succès

Les débuts de la saison 4 de Game of Thrones confirment le succès de la série de HBO. Comment expliquer ce phénomène ? Que doit-il à la stratégie transmédia déployée par la chaîne ? Entretien avec Mélanie Bourdaa.

Temps de lecture : 6 min
Mélanie Bourdaa est maître de conférences à l’université Bordeaux Montaigne, et chercheure au MICA. Ses recherches sont principalement consacrées aux stratégies de production transmédiatique et aux fans des séries TV. Elle vient de créer un réseau francophone consacré aux études de fans, le GREF, et a récemment publié un article consacré à la stratégie transmédia de HBO ainsi qu’un entretien avec Mike Monello, directeur artistique de Campfire, agence qui a élaboré les campagnes Transmedia pour promouvoir les saison 1 de True Blood et de Game Of Thrones.
 
 
La diffusion des débuts de la 4e saison de Game of Thrones a suscité un engouement renouvelé auprès du public. Le premier épisode est, dit-on, devenu l’épisode le plus piraté de l’histoire avec plus d’un million de téléchargements illégaux en une demi-journée. La série avait déjà été, selon TorrentFreak, la série la plus téléchargée en 2013 et en 2012. Comment expliquer un tel phénomène ? Quels sont les dispositifs mis en place par HBO pour attirer à la fois les fans du livre de George R. R. Martin et/ou d’Heroic Fantasy, et des personnes moins familières de cet univers parfois mal considéré ?
 
Mélanie Bourdaa : Avec Game Of Thrones, HBO a réussi à développer une stratégie à la fois transmédiatique, d’extension de son univers, et numérique, qui engage ses fans et suscite un énorme engouement autour de la série. Javier Lozano Delmar appelle ce phénomène le « fanadvertising », un mélange de promotion officielle et de contenus générés par les fans.
 Pour HBO, l’enjeu était double : attirer les fans de la saga livresque vers le format série TV et promouvoir un univers fantasy qui n’est pas un genre de prédilection pour la chaîne et a plutôt la réputation d’être un genre camp 
Quelques exemples les plus pertinents. Pour le lancement de la série, ils avaient demandé à Campfire – une  société américaine de marketing – de promouvoir la série et son univers de façon originale et immersive. L’enjeu était double pour la chaîne : attirer les fans de la saga livresque vers le format série télévisée et promouvoir un univers fantasy qui n’est pas un genre de prédilection pour la chaîne et a plutôt la réputation d’être un genre « camp ». Campfire a donc décidé d’axer sa stratégie sur une promotion transmédiatique en s’appuyant sur les cinq sens : à chaque sens sa plateforme et la découverte d’un pan de l’univers. Pour la promotion du DVD / Blu Ray, Campfire a mis les fans au cœur du dispositif en mettant à contribution leurs activités et leurs créations. Ils ont créé un générateur de bannières et ont favorisé le partage des créations sur les réseaux sociaux, développant ainsi une circulation des contenus. Le neuvième épisode de la saison 3, avec sa fin sanglante, a généré de nombreuses réaction sur twitter avec le hashtag #RedWedding, en faisant l’épisode le plus commenté de la télévision américaine sur ce réseau social. La chaîne a alors demandé aux fans de filmer leur propre réaction à l’épisode et a inclut les meilleures réactions dans les bonus DVD. Enfin, pour la saison 4, un site Internet intitulé beautifuldeath lancé 30 jours avant le premier épisode de la saison résumé les 30 morts les plus marquantes façon fanart dans un tumblr, outil social particulièrement apprécié des fans.
 
À travers toutes ces actions promotionnelles, nous pouvons constater que la chaîne HBO déploie des stratégies numériques qui s’inspirent des activités de fans (live-tweeting, fanvidéo, fanarts, tumblr, créativité) et s’appuie sur la capacité des fans à créer des contenus et à les partager dans la communauté, le fandom, et dans la sphère publique.
 HBO déploie des stratégies qui s’inspirent des activités de fans et s’appuie sur leur capacité à créer des contenus et à les partager 
 
Cette stratégie peut-elle être dupliquée sur d’autres types de séries, ou est-elle vraiment liée au genre de l’Heroic Fantasy ? L’implication des fans de Game of Thrones présente-t-elle des spécificités ? Vous avez notamment travaillé sur le dispositif établi pour la série True Blood.
 
Mélanie Bourdaa : Dans un environnement concurrentiel de plus en plus grand pour les séries américaines, et particulièrement pour celles qui sont diffusées sur les networks (ABC, NBC, CBS, Fox et CW), les producteurs et diffuseurs cherchent à développer leurs univers narratifs pour immerger les fans et les publics et favoriser l’engagement dans la réception.
 
Il existe à mon sens deux manières d’utiliser les stratégies transmédiatiques autour des séries télévisées. La première est d’utiliser cette stratégie d’extension narrative pour promouvoir la série et ainsi présenter les personnages, les lieux, l’ambiance et l’univers en amont de la diffusion du premier épisode. C’est ce qu’a fait HBO avec Game Of Thrones ou True Blood.
 
La deuxième option pour les chaînes, et c’est celle-ci qui est la plus utilisée, est de déployer des stratégies transmédiatiques afin de fidéliser les publics et particulièrement les fans. C’est ce que j’appelle le principe de narration augmentée : les chaînes s’assurent d’avoir une solide base de fans autour de la série pour ensuite déployer des extensions narratives sur différentes plateformes médiatiques, numériques ou non numériques. Fox et ABC ont usé de cette stratégie autour de Fringe et Lost, en proposant des compléments narratifs sur les intrigues ou les personnages sous forme de comix (The Fringe Comix), de site Internet (Massive Dynamic), de jeux en réalité augmentée (The Lost Experience, Find 815), ou de cours en ligne (The Lost University) par exemple. Syfy a déployé tout un univers augmenté autour de Battlestar Galactica sous forme de comix, romans, webisodes, jeu de plateau et MMORPG, pendant la diffusion et après la diffusion de la série sur la chaîne pour maintenir les fans dans l’univers fictionnel.
 Les stratégies transmédia ne sont pas réservées aux séries de genre  

Ces stratégies ne sont pas seulement réservées aux séries de genre bien entendu. Les sitcoms, ces séries comiques de format court, utilisent elles aussi le transmedia pour développer leurs univers narratifs. Par exemple, les producteurs de How I met Your Mother ont mis en ligne le blog du personnage de Barney Stinson et ont publié ses deux livres, The Bro Code et The Playbook. NBC a également mis en place sur stratégie transmédiatique autour de Parks and Recreation, en favorisant les interactions avec les fans. Ils ont demandé aux fans de voter pour l’affiche de campagne de Leslie Knope sur le site de cette dernière, qui s’est ensuite retrouvée dans la série. Les exemples sont nombreux, je ne vais pas tous les développer ici bien sûr.
 
Ces stratégies sont particulièrement visibles aujourd’hui, principalement grâce aux partages et à la diffusion et circulation des fans via les réseaux sociaux. Mais il ne faut pas oublier que ces extensions narratives existaient déjà à l’époque de Twin Peaks au début des années 1990. Les producteurs avaient créé le journal intime de Laura Palmer (The secret diary of Laura Palmer), qui permettait de mieux connaître le personnage, que nous découvrons morte au début de la série. Ils avaient aussi développé un guide touristique de la ville de Twin Peaks avec ses hôtels, ses commerces et ses sites à visiter. Enfin, ils proposaient de décuvrir l’enquête de Dale Cooper à travers ses notes et ses enregistrements.
 
 
HBO se distingue-t-elle par rapport à ses concurrentes en matière de stratégie transmédia ?
 
Mélanie Bourdaa : HBO est une chaîne du câble payante aux États-Unis soucieuse de ses valeurs et de sa culture de marque. Son slogan « This is not TV. This is HBO » témoigne déjà d’un souci de se démarquer des autres chaînes et des autres programmes télévisuels en proposant des programmes de qualité. Ils ont participé au renouveau des séries télévisées en développant le principe de narration complexe (sérialité, personnages fouillés, anti-héros, délinéarisation) avec des séries comme The Sopranos et The Wire à la fin des années 1990. Aujourd’hui, HBO est concurrencé par les chaînes du câble basique (AMC, FX par exemple) qui proposent des séries télévisées ambitieuses (Mad Men, Breaking Bad, Justified, The Americans). Leur objectif est donc de promouvoir leurs séries de façon originale tout en conservant les valeurs qui font la marque HBO aujourd’hui, et cela passe pour eux par le développement de stratégies transmédiatiques promotionnelles, immersives et participatives.
 L'objectif pour HBO est de promouvoir leurs séries de façon originale tout en conservant les valeurs qui font la marque HBO aujourd’hui 

Pour les networks, NBC avait eu cette ambition en lançant la plateforme interactive NBC 360 qui leur permettait de déployer leurs univers sériels sur Internet. Ils avaient testé cette stratégie avec la série Heroes, en proposant un jeu interactif, une fanfiction collaborative, des webcomix et des sites satellites pour chaque personnage renforçant ainsi le Monde Heroes et donnant de l’épaisseur aux personnages.
 
 
Un autre élément intéressant est le fait qu’HBO semble « flatté » de l’appétit suscité par la série, fut-il satisfait par des pratiques illégales. Cette attitude étonne, car elle va à rebours du discours traditionnel des industries de contenu victimes du piratage. Comment expliquer cela ?
 
Mélanie Bourdaa : En effet, le piratage est souvent accusé par les chaînes de télévision. Les téléspectateurs se transforment en usagers d’Internet pour regarder leurs séries télévisées via la VOD, le P2P, le streaming ou la télévision de rattrapage. D’ailleurs, il est intéressant de constater deux choses par rapport à cela. Tout d’abord, Nielsen, l’agence de mesure de l’audimat aux USA, a inclut dans ses calculs les audiences en TV de rattrapage à +3 jours et +7 jours. Cela a sauvé quelques séries de l’annulation, notamment Fringe qui doublé ses taux d’audience grâce à ce système de calcul. Ensuite, au niveau de la diffusion française, de nombreuses chaînes comme TF1 avec son service de VOD, Canal Plus avec son système « à l’heure américaine » et OCS, proposent des diffusions des épisodes américains en VOSTFR le lendemain de la diffusion sur la chaîne américaine, s’adaptant ainsi aux modes de visionnage des fans.
 HBO a compris la valeur des fans  

Pour HBO, nous l’avons vu, la chaîne s’appuie sur les fans, sur leurs créations et sur leurs partages pour promouvoir leurs contenus. Ils ont compris la valeur des fans et le rôle d’évangélisateur qu’ils pouvaient avoir. De plus, ces téléchargements massifs sont pour eux le symbole de la qualité de leurs programmes et de l’engouement qu’ils peuvent susciter. Enfin, ces téléchargements entraînent forcément des discussions sur les réseaux sociaux, les blogs et les sites de fans et permettent encore une fois aux contenus de la chaîne d’être connus et reconnus.

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Crédit photo : Mélanie Bourdaa
 

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