gérald kierzek le docteur de l'info

© Crédits photo : Illustration : Lucile Farroni

Gérald Kierzek : la fabrication d’un « docteur de la télé »

Il rêvait d’être le nouveau Michel Cymes. « Bon client » devenu chroniqueur omniprésent, Gérald Kierzek s’est fait une place à la télé en répondant exactement aux besoins de ce média.

Temps de lecture : 12 min

Ce serait comme un épisode de Grey’s Anatomy sans larmes, ou une chronique de Michel Cymes sans blague de cul : pour le docteur Gérald Kierzek, une semaine sans passer à la télé manquerait cruellement de saveur. Il aime l’ambiance des plateaux. Il adore s’adresser à la caméra. Il est devenu accro à l’adrénaline que procure « un petit direct », qu’il compare à celle que produisent les urgences médicales. « Je suis un urgentiste de l’info », formule-t-il.

« Éditorialiste médical » du groupe TF1, il s’exprime tous les deux ou trois jours sur LCI, livrant sur l’épidémie de Covid un discours rassurant qui lui vaut sur les réseaux les applaudissements du public et les critiques de ses pairs. Ces derniers le jugent « vendeur d’espoir » et « rassuriste ». « Gérald a le courage d’exprimer ses opinions. Mais le seuil entre le courage et la bêtise est parfois très ténu », cingle Enrique Casalino, directeur médical à l’AP-HP.

« Rassurer, c’est le début du soin »

Gérald Kierzek ne veut pas répondre à ces « attaques », qu’il met sur le compte de « la jalousie ». Il est sûr de son fait : « Quand vous allez voir le toubib, c’est pas pour entendre “C’est terrible, vous allez mourir”. Il faut commencer par rassurer, c’est le début du soin. » Il est sûr aussi de sa position dans les médias : « Contrairement à tous ces professeurs qui me font la leçon, j’étais à la télé avant le Covid. Et j’y serai après. »

Sa première apparition à l’écran date de l’été 2003. Le week-end du 15 août, en pleine canicule, une équipe de TF1 se rend à l’Hôtel-Dieu, sur l’île de la Cité. Le lieu est central, facile d’accès pour les tournages. Comment cet hôpital parisien s’est-il organisé pour faire face à l’afflux de « personnes atteintes d’hyperthermie » ? Le département d’ophtalmologie a été reconverti en service d’hospitalisation d’urgence, et une partie du personnel « a accepté d’écourter ses vacances ». C’est le cas d’un jeune chef de clinique assistant. Il a des mèches sculptées au gel et le regard un peu fuyant. Gérald Kierzek est encore timide. Il a 29 ans.

« Beau gosse »

Le 1er janvier 2004 — encore un jour férié — le 19/20 de France 3 lui offre sa deuxième télé. Pendant quelques secondes, on l’y voit soigner un cuisinier qui s’est brûlé la main. La troisième fois est la bonne : Gérald Kierzek devient un personnage principal le dimanche 18 avril 2004. Le 20 Heures de France 2 propose « une page médecine » à l’occasion du congrès des anesthésistes. « Si on a davantage l’habitude de les voir à l'œuvre dans les blocs opératoires, il faut savoir qu’ils exercent aussi dans l’urgence et travaillent sur le terrain avec le Samu », expose Béatrice Schönberg, avant de lancer le portrait de « Gérald ».

Pourquoi Gérald Kierzek ? « C’est l’AP-HP qui m’avait orienté vers lui », se souvient Laurence Delleur, l’auteure du reportage. Désireuse de suivre un anesthésiste, la journaliste avait contacté le service de presse de l’institution. « Je comprends qu’ils aient choisi de le mettre en avant, dit-elle. Il était vivant, il faisait des phrases courtes, il s’exprimait clairement. » Pendant le tournage, les collègues du jeune homme charrient « le beau gosse » tellement à l’aise devant la caméra. Gérald Kierzek réalise qu’il adore ça. « C’était vraiment un bon client, insiste Laurence Delleur. Je me suis dit que ce ne serait pas son dernier sujet télé. »

Punchlines

Un an et demi plus tard, à l’automne 2005, Magali Einig est elle aussi frappée par les talents de communicant de Gérald Kierzek. Journaliste au « Magazine de la santé », elle passe une semaine à filmer le quotidien des urgences de l’Hôtel-Dieu. « Il était très conscient de nos impératifs. Il savait parler en punchlines et reprendre les termes des questions dans ses réponses. Beaucoup de médecins ont tendance à employer des mots très compliqués pour asseoir leur sérieux. Lui savait rester simple et précis. » Surtout, il se rend totalement disponible. Et évoque très vite son « envie de devenir chroniqueur télé ».

« Quand Magali est rentrée à la rédac, raconte sa collègue Diana Rapuch, elle nous a dit : “Si vous cherchez un urgentiste, j’en ai eu un bon.” C’est comme ça qu’on a commencé à le faire venir en plateau. Au départ, c’est un invité récurrent. » Face à Michel Cymes et Marina Carrère d’Encausse, Gérald Kierzek devise sur les dangers de l’alcool, la peur de l’anesthésie, les effets du Taser, et donne des conseils pour prévenir les chutes — mieux vaut attendre d’être en bas d’un escalier pour rédiger un SMS, sachez-le.

« Avec lui, je jouais la sécurité »

Est-ce dans cette émission qu’elle l’a repéré ? Véronique Lafont ne saurait plus le dire avec certitude. Mais lorsqu’à l’été 2006 une nouvelle canicule fait craindre un manque de lits dans les hôpitaux, cette journaliste de TF1 choisit de contacter Gérald Kierzek. « Avec lui, résume-t-elle, je jouais la sécurité. C’était pour le 20 Heures, on était très pris par le temps, je ne pouvais pas me permettre de tomber sur un interlocuteur qui n’aurait pas su calibrer ses réponses. »

En plein montage dans le camion de diffusion garé devant l’Hôtel-Dieu, Véronique Lafont reçoit un appel de sa rédaction en chef : elle doit boucler son sujet « en quatrième vitesse », il fera l’ouverture du journal ; mais plutôt que d’avoir un médecin dans le reportage, ce serait plus événementiel si Harry Roselmack pouvait l’interviewer en duplex. Véronique Lafont prévient Gérald Kierzek, qui se prête de bonne grâce à l’exercice. « Il était vraiment très à l’aise », souligne-t-elle.

La Clinique de la Forêt noire

« Un jour, rapporte Gérald Kierzek, un journaliste m’a dit : “Avec vous, c’est pratique, on appuie sur on, vous parlez, on appuie sur off, c’est plié.” Mais je n’ai jamais fait de media training. Je suis naturel. » Au sortir d’une nuit de garde, j’ai demandé à Gérald Kierzek d’où venait son sens de la vulgarisation qui, avec sa disponibilité à toute épreuve, constitue sa principale qualité selon les professionnels des médias qui recourent à ses services. Fatigué, jaugeant ses « valoches » sous les yeux avant de rejoindre la tour TF1, il m’a répondu : « La vulgarisation, j’ai toujours aimé ça. Au collège, je lisais Santé Magazine. J’ai beaucoup regardé “Santé à la Une”, j’ai beaucoup regardé Cymes. Je vois bien que je suis devenu une sorte d’Hubert Reeves de la médecine, mais expliquer, c’est d’abord une obligation déontologique. Je parle aux téléspectateurs comme à mes patients. »

Il raconte la naissance de sa vocation en deux anecdotes. La première : « J’étais en quatrième, je sortais du cabinet de mon généraliste, il y a eu un grave accident, l’intervention du Samu. J’ai ressenti la montée d’adrénaline. Je me suis vu dans ce monde de l’urgence. » La seconde : « Le jour des résultats du bac, devant le panneau des admis, j’ai su que je serais médecin. » Son imaginaire, précise-t-il, a aussi été façonné par d’intenses séances de visionnage de La Clinique de la Forêt noire (« Il n’y avait pas encore Urgences à l’époque ») et de Chips (« pour le côté pin-pon »).

Justin Bieber

Jeune médecin, il ouvre un blog sur le site du Monde. Il y relate parfois ses gardes, et prend l’habitude de rebondir sur une actualité people — des maux de tête post-partum de Tori Spelling à la sciatique de François Fillon en passant par le nodule au poumon de Juan Carlos — pour préciser une notion et faire passer un message de prévention. Hyperactif et réseauteur, il multiplie aussi les engagements associatifs et s’investit dans la campagne présidentielle de François Bayrou en 2007, avant d’effectuer « un post-doc » à Toronto.

À son retour du Canada, il est réinvité au « Magazine de la santé ». « À l’époque, il n’était pas spécialement “pushy”. C’est nous qui l’appelions. Il avait toujours plein d’idées », retrace Camille de Froment, alors rédactrice en chef adjointe de l’émission. Il devient chroniqueur régulier en 2011. Tous les quinze jours, il débarque sur sa moto. À l’antenne, il s’en tient scrupuleusement au texte validé par la production avant le tournage. L’équipe le trouve « super sympa ». Lui est « fier » de côtoyer Michel Cymes, son idole, qui, en raison d’un nouveau style capillaire marqué par une longue frange effilée, le surnomme « Justin Bieber ».

« Comme dans des pubs pour dentifrice »

Conscient que chaque expérience réussie est un marchepied pour des programmes plus exposés, il est d’accord pour tout. Pour disserter sur les piqûres d’insectes, la morve de cheval et autres « maux de l’été » à 5 h 34 du matin sur France Inter. Pour papoter à l’heure du déjeuner avec Roselyne Bachelot, Audrey Pulvar et Laurence Ferrari sur D8.

Casté à l’origine pour une chronique hebdomadaire (« Quoi de neuf docteur ? ») dans « Le Grand 8 », il n’est pas rare de le voir deux ou trois fois par semaine dans les studios de la chaîne, à Boulogne-Billancourt. « Pendant son année au Canada, il avait dû voir ces émissions médicales anglo-saxonnes avec des médecins en blouse comme dans des pubs pour dentifrice. Ça l’amusait de se mettre en scène de cette façon, témoigne Myriam Weil, la rédactrice en chef. Ce n’est pas si fréquent chez les gens qui ont bac +10. »

Combat

Il n’est pas si fréquent non plus d’entendre des médecins critiquer publiquement leur hiérarchie. Alors que la direction de l’AP-HP veut regrouper des services et déménager son siège à l’Hôtel-Dieu, Gérald Kierzek met sa notoriété naissante au service d’un combat contre ce projet. La défense de son poste enrobée dans une noble cause, le voilà militant de l’hôpital public de proximité.

La mobilisation a entraîné une révision du projet de la direction. Cependant, le sauvetage des  urgences de l’Hôtel-Dieu est surtout de façade : désormais, elles ne reçoivent plus de patients conduits par des pompiers ou des ambulanciers ; il faut pouvoir s’y rendre par ses propres moyens.

Auto-hypnose

Cette prise de position a « flingué » sa carrière hospitalo-universitaire, ressasse-t-il. Mais elle a dopé sa carrière médiatique. Les journalistes adorent les frondeurs et les martyrs. À ceux qu’il rencontre, Gérald Kierzek confie son sentiment d’être victime d’une forme de « racisme social », lui qui n’est « pas issu de l’aristocratie médicale » mais de la classe moyenne stéphanoise. Ce discours fait mouche. Dans les rédactions, les transfuges de classe éprouvent une forme de solidarité à son égard ; les autres ont l’impression de faire une bonne action en lui tendant le micro. « C’est à ce moment-là que Thomas Sotto m’a repéré, indique Gérald Kierzek. Il m’avait invité à la radio comme défenseur de l’hôpital public. Il m’a réinvité. On a sympathisé. Un jour, dans les loges de « Capital », sur M6, il m’a proposé d’intégrer la matinale d’Europe 1. »

Pour pouvoir « tout faire », il rationalise son agenda : à l’Hôtel-Dieu, il assure deux gardes par semaine, de 18 h 30 à 8 h 30. Le reste du temps, il fait don de son corps aux émissions qui le sollicitent (et encaisse des droits d’auteur pour ses chroniques régulières). Il assume : « Je suis à mi-temps à l’hôpital et à mi-temps dans les médias. » Il écrit aussi des bouquins « en un week-end », qui sont autant d’occasions d’être invité sur les plateaux. Il tient le rythme à coup de micro-siestes et de séances d’auto-hypnose.

« Je suis le Waze de la médecine »

On commence à le comparer avec le grand urgentiste médiatique du moment, Patrick Pelloux, et cette comparaison tourne à son avantage. On le juge moins brouillon, moins incontrôlable, moins politique. Et surtout : plus neuf. Quelques semaines après son quarantième anniversaire, baskets jaunes aux pieds, il pose en « der » de Libé. Il évoque l’explosion de son couple (un « dégât collatéral ») et sa nouvelle compagne, une journaliste rencontrée lors d'une interview. Lorsqu’il débarque à la fête de 17 Juin Média, la société qui produit le « Magazine de la santé », il se fait engueuler par le patron. Christian Gerin l’exhorte au ressaisissement : « On peut être un médecin connu sans être un people qui expose sa vie privée ! »

Disons qu’il est devenu un demi-people, grisé d’échanger des SMS avec des célébrités télévisuelles. Ses collègues urgentistes peuvent bien s’amuser de son côté bling-bling, smartphone de luxe et collection de montres, ils peuvent bien commenter « la revanche sociale trash de Kiki », lui se fait une place dans un microcosme où les amitiés pèsent plus lourd que les CV. Hapsatou Sy, l’une des chroniqueuses du « Grand 8 », témoigne de sa « générosité » : « Je l’ai sollicité très régulièrement pour des conseils. Il ne laisse pas un message sans réponse. Il prend toujours le temps de poser un diagnostic et d’orienter vers le bon spécialiste. » Lui dit : « Les journalistes ont tendance à être hypocondriaques. Comme ils ont tous mon numéro de téléphone, je suis un peu leur Waze de la médecine. Mais si un SDF m’appelle, c’est pareil. J’aime rendre service. »

« Un doigt de pied à l'hôpital »

Sur Europe 1, il intervient chaque matin à 6 h 55. Mais aussi dans l’émission « Questions de Santé » et dans « Le Grand Direct de la Santé » de Jean-Marc Morandini. « Fabien Namias [le directeur de la station, NDLR] me disait que j’avais une écriture très radiophonique », glisse Gérald Kierzek. Lorsque « Le Grand 8 » s’arrête, à la fin de la saison 2016, il rejoint une autre bande, celle constituée autour de Daphné Bürki pour « Bonjour la France » (le matin, sur Europe 1) et « Je t’aime, etc. » (l’après-midi, sur France 2). Télé 7 jours — où il est aussi chroniqueur — s’interroge : « Serait-il le nouveau médecin-star de la télé ? »

Pour Gérald Kierzek, la réponse ne fait aucun doute. Voix candide et regard compassionnel, il lui arrive, entre deux émissions, d’interpeller des journalistes au sujet du duo de présentateurs du « Magazine de la santé » : « Tu ne trouves pas que Michel et Marina ont vieilli ? » Ou encore : « Michel n'est plus vraiment médecin, il n’a plus qu’un doigt de pied à l'hôpital… »

Lorsque Michel Cymes officialise son départ de France 5, au printemps 2018, Gérald Kierzek croit son heure venue. L’équipe du « Magazine de la santé » considère pourtant que Marina Carrère d’Encausse n’a pas vocation à être toute sa vie « la numéro deux d’un mec qui prend toute la place ». Désormais, c’est décidé, trois médecins interviendront en alternance à ses côtés. Gérald Kierzek fait « évidemment » partie du casting. Mais cette nouvelle formule le désespère. Les négociations sont tendues.

Koh-Lanta

Revenu à LCI après avoir été chassé d’Europe 1, Fabien Namias offre à Gérald Kierzek une porte de sortie à la hauteur de ses ambitions : une chronique hebdomadaire dans la matinale et une émission le week-end sur la chaîne du canal 26. Dans la foulée, il devient « le doc de TF1 » et le directeur médical de Doctissimo, le site santé du groupe. Tant qu'à faire, il « adorerai[t] devenir le médecin de Koh-Lanta ». En attendant, il aime par-dessus tout intervenir au 20 Heures, le dimanche soir. Avant d’entrer sur la plateau d’Anne-Claire Coudray, il fait « un peu de cohérence cardiaque ». Puis il livre une chronique dans un décor en 3D. Dans cet exercice, il est le fils qu’auraient pu avoir Michel Chevalet et Mac Lesggy. Le lendemain,  « les gens me reconnaissent dans la rue, ils me disent : “S’il nous arrive quelque chose, on aimerait bien que vous soyez notre docteur”, c’est beau, non ? »

« Je veux un médecin légitime sur le terrain », avait exigé Fabien Namias. Alors, pendant ses gardes, Gérald Kierzek poste des vidéos « en direct des urgences » sur les réseaux sociaux. « Il est là, dans sa salle de déchoquage vide, pendant que nous vivons un enfer avec les urgences Covid, déplore un collègue d’un autre hôpital parisien. Il est dans une bulle, il ne voit pas la réalité de l’épidémie. » Gérald Kierzek sait que le petit monde des urgentistes considère son service comme « de fausses urgences », une plaisanterie en somme, et lui comme un plaisantin. Il répond que ce n’est pas de sa faute si l'AP-HP est organisée ainsi. Que les collègues qui le débinent ne représentent rien par rapport à « la majorité silencieuse ». Et puis il a ce cri du cœur :  « Je ne suis pas qu’un commentateur, je suis un vrai docteur ! »

Ne passez pas à côté de nos analyses

Pour ne rien rater de l’analyse des médias par nos experts,
abonnez-vous gratuitement aux alertes La Revue des médias.

Retrouvez-nous sur vos réseaux sociaux favoris