L'ancienne « gilet jaune » Jacline Mouraud pose devant un panneau « Stop » le 13 novembre 2018.

L'ancienne « gilet jaune » Jacline Mouraud pose devant un panneau « Stop » le 13 novembre 2018.

© Crédits photo : DAMIEN MEYER / AFP.

 « Gilets jaunes » : Jacline Mouraud, étincelle médiatique

Anonymes et inconnus des médias avant les premières occupations de ronds-points le 17 novembre 2018, ils et elles sont devenus au fil de l’an passé des figures emblématiques de la protestation des « gilets jaunes ». Comment ces personnes ont-elles vécu leur médiatisation ? Épisode 2 de notre série avec Jacline Mouraud, à l’origine d’un coup de gueule aux millions de vues.

Temps de lecture : 6 min

Elle est l’une des premières personnalités à avoir émergé à la veille du 17 novembre et des premières mobilisations des « gilets jaunes ». Avec sa vidéo coup de gueule mise en ligne sur Facebook le 18 octobre 2018, Jacline Mouraud, 52 ans, a vu son visage affiché un peu partout. Elle réfute avoir lancé le mouvement et préfère dire que la vidéo a été une étincelle. « Je n'ai organisé aucun groupe. La vidéo a fédéré d’elle-même et c'est pour cela que j'ai été médiatisée. » Une vidéo face caméra où la quinquagénaire interpelle le président de la République sur, entre autres, la hausse du prix de l’essence, la chasse aux véhicules diesel et plus globalement aux automobilistes.

En une semaine, la vidéo réalise près de trois millions de vues, ce qui attire tout d’abord l’attention de la presse locale. « Ça a été fulgurant », souffle-t-elle. « Ma médiatisation a réellement commencé avec un article de La Gazette du Centre Morbihan ». Aujourd’hui la vidéo cumule plus de 6,3 millions de vues sur Facebook. « Une journaliste m’a contacté alors que la vidéo avait déjà pas mal monté », relate Jacline Mouraud. Une fois l’article publié, Ouest France l’approche, avant que « Paris » et les médias nationaux ne lui « tombent dessus ». France 3 Bretagne et RMC le 5 novembre, C à vous le lendemain « Avec le recul, je peux vraiment dire « me tomber dessus », car ça a été une avalanche de coups de fil de journalistes. Comme des abeilles autour d’un pot de miel. »

La Bretonne a mis à profit sa médiatisation pour parler des sujets évoqués dans sa vidéo, estimant notamment que ces invitations prouvaient l’intérêt et la cohérence de ses propos. « J'ai trouvé ça bien la première semaine, mais après ça a tourné au harcèlement, c'est le meilleur terme, je ne peux pas dire autre chose. Certains journalistes ne se gênent pas pour vous appeler à 5 h du matin ! » Entre le moment où elle a commencé son activité le 18 octobre et la première mobilisation des « gilets jaunes » le 17 novembre les médias parisiens se sont employés à lui « casser la tête », à la décrédibiliser, et à lui expliquer que ce qu’elle disait « était faux », tempête-t-elle.

Une médiatisation mal vécue

Aujourd’hui sortie du mouvement des « gilets jaunes », elle estime qu’on lui a fait payer sa médiatisation, qu’elle explique avoir mal vécue. « Vous n’imaginez pas une seule seconde ce qu’il m’est tombé sur la tête. S’ils avaient pu me mettre sur un échafaud, ils l’auraient fait. Il n’en est ressorti que de la jalousie. » Quant aux réseaux sociaux, « ça a été un enfer et ça l’est encore aujourd’hui ». Chaque jour, des proches de Jacline Mouraud s’occupent de modérer sa page Facebook et suppriment de nombreux commentaires. « Ce n’est que de la haine, de la vulgarité. » Pour elle, tout a changé, et pas qu’au niveau numérique. « Je ne peux pas sortir de chez moi toute seule », clame-t-elle.

Son regard sur les médias a définitivement évolué suite à la façon dont le mouvement a été couvert. Cette année lui a permis de confirmer son hypothèse que « l’information peut être manipulée », l’exemple le plus flagrant étant selon elle BFM TV. « C’est une chaîne orientée, pro-Macron. Lorsque vous voyez qui anime, qui est invité, ça se sent ». Cependant, Jacline Mouraud continue de regarder la chaîne. « Il faut absolument regarder et écouter les gens avec lesquels on n'est pas d'accord. C'est comme ça que l'on aiguise sa position. Peut-être que l'on se trompe, mais enfin, si on ne discute qu'avec des gens qui sont d'accord avec nous, ça ne fait pas avancer le schmilblick. » Durant l’entretien, l’ex-« gilet jaune » évoque une chaîne qui coche les bonnes cases : franceinfo. « Je les trouve objectifs, ils n’essayent pas de tortiller les choses dans tous les sens pour ramener les gens à leur point de vue. Ils ne sont pas dans le business de BFM, ce ne sont pas les mêmes journalistes. »

En parlant de la profession, elle confie d’ailleurs avoir « pris la mesure du travail qu’il y a derrière. » « Une journaliste est venue il n’y a pas longtemps, elle était toute seule pour la prise de son, la lumière, la caméra. J’ai par ailleurs remarqué que les femmes sont souvent laissées toutes seules ». La cinquantenaire ne s’estime pas « très critique » envers les journalistes. Cependant, selon elle, « ils parlent de choses qu'ils ne connaissent pas. Et quand on ne connaît pas... Ils auraient peut-être dû par moment faire preuve de réserves. Mais c'est le propre du journaliste, il faut du biscuit ».

Des journalistes qui trouvent grâce aux yeux de Jacline Mouraud, il y en a :

Jean-Jacques Bourdin tout d’abord. « C'est le seul qui m'ait impressionné. Parce qu'il a quand même une stature, ce n'est pas n'importe qui parmi les journalistes, il est assez unique. » La Bretonne explique s’être même demandée ce qui avait pu « l’alerter à ce point-là » dans sa vidéo pour qu’il la contacte.

David Pujadas : « C'est quelqu'un qui ne juge pas, qui ne prend pas parti, et il est le seul dans toute cette année qui s'est écoulée à avoir réuni sur son plateau Ingrid Levavasseur, Maxime Nicolle, Éric Drouet et moi-même. »

Capture d'écran de l'émission La grande explication diffusée sur LCI avec Jacline Mouraud en invitée
Jacline Mouraud dans l'émission La grande explication du 28 novembre 2018, présentée par David Pujadas sur LCI. 

Audrey Crespo Mara : « Il y a du bon travail dans son émission ».

Laurence Ferrari : « Elle est très sympa à chaque fois que j'y vais et elle essaie vraiment de ne pas prendre position. Elle le fait parfois mais elle lutte pour rester objective ».

Sonia Mabrouk : « Une journaliste exceptionnelle, une véritable professionnelle. »

D’autres lui ont laissé un ressenti très négatif, à l’image de ce journaliste de CNews, « irrespectueux en plateau, vindicatif, incapable de mener un débat sans que ce soit la foire d'empoigne…c'est affreux. »

Paris déconnecté des régions

Au-delà des journalistes et de leur compétence, se pose la question du traitement plus global du mouvement des « gilets jaunes » par les médias. « Juste ? Pas juste ? Je ne dirais pas ça en ces termes. Cela tenait plus de l'incompréhension. Lorsque l'on est enfermé dans un bureau à Paris, on ne peut pas s'imaginer une seule seconde ce que c'est de vivre dans nos petites ruralités. » Selon l’ancienne figure du mouvement, cette « incompréhension » a duré jusqu’à la mi-décembre, les évènements de l’arc de Triomphe ayant l’effet d’un révélateur, d’une certaine manière. « Les journalistes se sont dit que si on en était arrivé là, c’est qu’il y avait un vrai problème et qu’il fallait écouter. » À partir de ce moment, les médias se sont montrés compréhensifs, Jacline Mouraud en veut pour preuve les invitations de « gilets jaunes » sur de nombreux plateaux ainsi que dans les émissions de Cyril Hanouna. « Ça n'était jamais arrivé que l'on donne la parole à des gens du peuple comme ça, tout le temps. Et encore on donne la parole à des gens du peuple qui sont sous un uniforme, le gilet jaune. J'espère que ça continuera sans que l'on ait besoin d’en porter un. Il faut que l'on continue de donner la parole à des gens lambda pour savoir un petit peu ce qu'il se passe en dehors de Paris. »

Elle estime notamment que si « on en est arrivé là », c’est parce que les médias parisiens ne s’intéressent pas aux « réels problèmes des provinces ». « La vie d'un Français, aujourd'hui, elle n'est pas parisienne, elle n'est pas de rouler en trottinette à travers la ville. » Il y aurait aussi une problématique géographique dans l’exposition des « gilets jaunes », certaines régions n’étant pas du tout représentées. « Tout étant très centralisé à Paris, il est plus simple et moins coûteux de faire venir les « gilets jaunes » qui ne sont pas trop éloignés. » Par ailleurs, comme l’a établi l’INA, la couverture médiatique du mouvement s’est essentiellement concentrée à Paris, ville la plus citée, avec un rapport de un à six par rapport à Bordeaux, deuxième dans le classement. 

Lorsqu’on lui demande si elle a tiré une leçon de cette médiatisation, Jacline Mouraud commence par parler de son parcours. « J'ai 52 ans, trois enfants qui sont déjà grands, j'ai un peu roulé ma bosse, je suis une personne très curieuse et j'ai fait plein de choses dans ma vie, parce c'est ça qui nous enrichit intellectuellement. Quand je suis descendu dans la rue le 17 novembre, j'avais écrit sur mon gilet « Unis, forts et fiers ». Depuis cette médiatisation, je m'applique une règle des quatre D : dialogue, discipline, discernement, décision. C'est ce qui me meut, je n'interviens jamais à chaud sur des évènements. Pour faire preuve de discernement il faut déjà connaître tous les tenants et les aboutissants. »

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