Gilles Van Kote au journal Le Monde en 2014.

Gilles Van Kote dans les locaux du journal Le Monde en septembre 2014.

© Crédits photo : Thomas Samson/AFP

En 2021, Le Monde mise sur la transparence et la proximité avec les lecteurs

Le Monde vient de créer un poste de directeur délégué aux relations avec ses lecteurs. C’est à Gilles van Kote qu'est confiée la mission de garder le lien avec ces derniers. Mais comment s’y prendre, alors que la défiance d’une partie des publics à l’égard des médias n’en finit plus de s’intensifier ?

Temps de lecture : 8 min

« Projet Trust ». On pourrait croire qu’il s’agit du nom de code d’un projet secret issu du cerveau d’un méchant de James Bond. Lancé en septembre 2019, le projet vise à approfondir la relation du journal avec ses lecteurs. La première fois que j’entends ces deux mots, c’est en janvier 2020, lors de la journée des professions du journalisme, organisée chaque année à la Sorbonne. C’est Gilles van Kote, alors directeur délégué au développement du groupe, qui les prononce, après que nous avons posé une question sur l’importance des médiateurs dans les médias. J'apprends alors que Franck Nouchi n’est plus, depuis quelques mois, médiateur du Monde, et décide d'en savoir plus. Après un premier échange avec Cécile Prieur, alors en charge du projet au sein du quotidien et devenue depuis directrice de la rédaction de L'Obs, je retrouve Gilles Van Kote dans le courant du mois de novembre 2020, investi depuis quelques mois d'un nouveau rôle.

En quoi consiste la mission du directeur délégué aux relations avec les lecteurs, et en quoi diffère-t-elle de celle du médiateur, poste occupé jusqu'en novembre 2019 par Franck Nouchi ? (Voir notre article « A-t-on encore besoin des médiateurs ? », publié en octobre 2017)

Gilles van Kote : Le périmètre de mon poste est sensiblement différent, il comprend ce que faisait Franck Nouchi, mais intègre plus globalement tout ce qui ressort de la relation aux lecteurs. Cela comprend notamment la supervision du courrier des lecteurs — à peu près 150 par jours, en grande partie des courriels. Je regarde aussi les commentaires sur les réseaux sociaux — on pourrait y passer sa vie. J’ai aussi cette mission de dialoguer avec les lecteurs, comme le faisait Franck Nouchi. Pour le moment je le fais plutôt de manière individuelle, en répondant à certains courriers. Nous n'avons pas pour le moment remis en place un format visible sur le site qui me permettrait de m'exprimer, mais c'est prévu dans le projet Trust. S’il m'arrive d'écrire dans le journal, il n'existe pas encore de format spécifique de dialogue avec les lecteurs. Quand je parle de lecteurs, c’est par ailleurs extrêmement large. Dans nos chiffres d'audience, nous comprenons comme « lecteur » aussi bien l'abonné papier qui lit son journal tous les jours que l'internaute qui vient en zone gratuite après avoir reçu un post sur sa page Facebook, même s'il n’y passe que trois secondes. Notre objectif, c'est de capter son attention et d'en faire un lecteur plus régulier, donc nos efforts s'adressent tout autant à lui. 

Je reprends également tout le travail lancé par Cécile Prieur pour la mise en place de « Trust », avec les trois journalistes qui étaient à ses côtés. Nous souhaiterions dans un premier temps expliquer aux lecteurs ce qu'est le quotidien, quelle est sa gouvernance et son modèle économique, pour faire un peu de pédagogie. Le documentaire Hold-Up a relayé le fait que nous avions un partenariat avec la fondation Bill & Melinda Gates, ce qui est exact, mais il en tire des conclusions fantaisistes. Nous avons été apostrophés à de nombreuses reprises sur ce sujet. Il est important que nous soyons plus transparents et que nous affichions clairement ce que nous sommes. Beaucoup de gens se posent des questions. Le Monde a toujours été un média qui focalise l'attention. C'est vrai aujourd'hui au moins autant que par le passé, et nous n’avons rien à gagner à ne pas assumer ce que l'on est.

Il y a également un focus sur le développement de points de rencontre, d'échange, de dialogue entre la rédaction du Monde et ses lecteurs, qui étaient un peu au point mort depuis quelques temps. Nous avons notamment relancé les visioconférences en profitant du confinement, qui permettent aux internautes et aux lecteurs de dialoguer pendant une heure avec deux ou trois journalistes de la rédaction sur un sujet précis. Nous devions lancer en novembre des rencontres réservées aux abonnés avec des journalistes du Monde à Paris et en région, ainsi que des visites de la rédaction pour les abonnés — dix chaque mois, assistant notamment à une conférence de rédaction et au bouclage du journal. Tout cela a finalement été remis à plus tard par le confinement. Mais ce sera lancé en 2021, dès que nous le pourrons.

Deux événements nous permettent plus particulièrement d'interagir avec nos lecteurs. Tout d’abord le Festival du Monde, que vous connaissiez sous le nom de « Monde Festival », mais qui va changer dans sa formule et dans son implantation puisqu'il aura lieu, si tout va bien, l'an prochain, dans le nouvel immeuble. L'idée de ce festival est que ce soit vraiment la rédaction du Monde qui reçoive ses lecteurs pendant le weekend. Ce sera quelque chose de beaucoup plus ouvert et horizontal que le festival dans son ancienne formule, qui était plus institutionnel, puisqu'il se déroulait dans des lieux comme l’Opéra Bastille, le Palais Garnier ou les Bouffes du Nord.

L’autre événement très important pour nous du point de vue de l'interaction avec nos lecteurs est Le Festival international du journalisme, destiné au grand public, organisé par le groupe et qui a lieu en juillet à Couthures-sur-Garonne. Je m'en occupe depuis maintenant quatre ans et il est ouvert à tous les types de journalistes. C'est un lieu très privilégié d'échanges.

Il y a enfin les relations avec la Société des lecteurs du Monde, qui est en pleine effervescence avec l'initiative de sa présidente Julia Cagé, qui a lancé « Un bout du Monde », une association qui a pour but de permettre aux lecteurs et aux journalistes de jouer un rôle dans la gouvernance des médias et pourquoi pas, du groupe Le Monde en particulier.
 

Le projet Trust et votre poste sont donc complémentaires.

Mon poste n'était pas compris dans le projet Trust, mais effectivement les deux se sont parfaitement rencontrés. D'ailleurs quand j'ai pris mes fonctions, et que Cécile [Prieur, NDLR] m'a expliqué ce qu'elle était en train de faire avec le projet Trust, c'était très rassurant, car je pouvais l'endosser sans y changer une ligne ou une virgule, nous étions complètement raccord. Il y avait dans le projet Trust des choses auxquelles j'avais pensé et que j’avais évoquées lors de mes discussions avec Jérôme Fenoglio pour définir mon poste, ainsi que d’autres éléments auxquels je n'avais pas forcément pensé. Le projet Trust, finalement, est devenu aussi beaucoup plus ambitieux au fur et à mesure qu'il s'est élaboré. Ce qui explique en partie le retard en raison de contraintes techniques qui nécessitaient davantage de temps de développement que prévu.

Un exemple tout bête, mais tout à fait essentiel : lorsque vous voulez vous rapprocher de vos lecteurs, il faut qu'ils puissent vous contacter facilement. Or aujourd'hui, si vous allez sur le site du Monde, bon courage pour trouver l'adresse à laquelle il vous faut écrire. Les gens ne savent pas s'ils doivent écrire au médiateur, au courrier des lecteurs, et s’adressent parfois aux carnets ou au service client. De toute manière, ces adresses sont à peu près toutes cachées dans notre site. Nous avons donc ajouté en cours de route l‘idée d’un formulaire de contact très facilement accessible sur le site. Ce qui est, techniquement, assez exigeant car il faut garantir que les courriers arrivent aux bons destinataires. On ne peut pas revendiquer la transparence et l'ouverture si les lecteurs ne trouvent pas où s'adresser à nous.

« On ne peut pas revendiquer la transparence et l'ouverture si les lecteurs ne trouvent pas où s'adresser à nous »

La création d'un poste de directeur délégué laisserait supposer la constitution d’une équipe dédiée à cette mission de dialogue, mais si j’ai bien compris, ce ne sera pas forcément le cas ?

Nous verrons une fois que tout sera lancé quels seront les besoins. L'idée est d'impliquer la rédaction, il ne faut pas que ce soit juste deux, trois ou quatre personnes dans nos services qui communiquent avec les lecteurs et les abonnés. Cela passe par les visioconférences dont je vous ai parlé, ainsi que par les futures rencontres qui impliqueront des journalistes de la rédaction. De la même façon, nous les sollicitons pour participer aux textes qui vont enrichir au fur et à mesure le futur espace lecteurs du site Internet, qui s’intitulera « Le Monde&Vous ». Cette nouvelle verticale contiendra tous les contenus que j’ai déjà évoqués, expliquant qui nous sommes, ce que nous faisons, etc.

Il y a un deuxième versant à ces contenus, qui tient plus du making-of, où nous raconterons, au jour le jour, les coulisses de notre travail. Nous ferons appel aux journalistes de la rédaction. Nous avons par exemple déjà sollicité les éditorialistes du Monde, et en particulier Philippe Bernard, pour nous raconter dans un article comment on rédige un éditorial. Nous demanderons à un journaliste qui vient de terminer de couvrir un conflit armé de raconter l'exercice de son métier pendant ses reportages. Il m’appartiendra de commander des articles pour l'actualiser au fur et à mesure, il ne faut pas que ce soit un espace figé. La partie plus pédagogique, sur qui nous sommes, comment nous sommes gouvernés, ne changera évidemment pas tous les deux jours, mais les chiffres des comptes seront actualisés, ne serait-ce qu’une fois par an. Si je constate que c'est vraiment beaucoup trop de travail à coordonner, nous renforcerons cette section-là. Aujourd'hui j'ai une assistante à temps plein qui gère le courrier des lecteurs, et c'est un travail important. Pour le reste, je coordonne les éléments que nous avons déjà évoqué.

Les visioconférences sont gérées par l'équipe événement, qui est plutôt une équipe de logistique et qui travaille aussi avec moi pour mettre en place la technique. De la même façon, sur les conférences rencontre et visites des abonnés, c’est le service abonnement qui est impliqué. Il y a donc des équipes qui travaillent avec moi, mais ce ne sont pas forcément des équipes dédiées. Ce sont des moyens qui sont mis en œuvre à travers la rédaction, mais également à travers les services transverses qui nous accompagnent.
 

Quels ont été vos modèles, vos inspirations, pour réfléchir à ce système ?

L'équipe de Trust a beaucoup regardé ce que font le New York Times avec le reader center, le Guardian avec Inside the Guardian, ou encore le Temps, avec Hyperlien. Mais très vite, nous nous sommes détachés de ces influences afin de déterminer notre spécificité.
 

Les investissements dans le développement du projet Trust ont-ils été importants ?

Si vous ne comptez pas le « temps homme », ça reste raisonnable. Le projet Trust a surtout été construit par des gens de l'équipe, en interne. Un graphiste externe est intervenu car il y avait toute une identité graphique à inventer. Mais oui, en dehors de l'équipe que Cécile [Prieur, NDLR] avait constitué, une dizaine de personnes, des représentants de services non rédactionnels, doivent travailler dessus, pas forcément à temps plein. Ce sont surtout des moyens humains qui ont été mis en place, afin de faire vivre cette relation avec les lecteurs. Les investissements financiers n’ont pas été si importants, même s’il faut y être attentifs. Le Festival du Monde, que nous espérons pouvoir tenir en septembre, doit par exemple être équilibré financièrement. C’est pourquoi nous cherchons des partenaires économiques, comme nous le faisions déjà sur les précédentes éditions, afin de financer le projet.

Nous devons engager une partie de nos forces dans cette reconquête. Nous sommes tous persuadés qu'il est temps que les gens arrêtent de fantasmer sur ce métier et d'imaginer que nous avons des agendas politiques — ils n’existent pas. Mais pour ça, il faut ouvrir les portes de nos rédactions et être plus présents sur le terrain du débat.
 

Comment jugerez-vous de la réussite ou non de toute cette construction, de cette transformation ?

Il n'est pas évident de trouver des outils pour mesurer ça. Nous nous appuierons d'abord sur les retours de lecteurs, sur leur présence, ainsi que sur celle des citoyens lors des événements que nous organiserons. Un public nombreux sera l’indicateur de réussite le plus important.

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