Le procès : droit américain ou droit français ?
Très vite, il apparaît que les questions posées par l’existence de Google Books sont loin d’être simples à trancher pour le tribunal. L’application d’un droit conçu et rédigé bien avant l’apparition du Web – et qui par conséquent ne tient pas compte de ses spécificités – est une gageure pour les magistrats, et du pain bénit pour les avocats des deux parties.
Les avocats de Google adoptent deux lignes de défense qui peuvent surprendre ceux qui ne sont pas familiers avec le droit. La première consiste tout simplement à nier la titularité des droits numériques des ouvrages aux éditeurs. En effet, la plupart des contrats signés avec les auteurs l’ont été avant l’arrivée des nouveaux médias numériques. Ils ne contiennent donc pas de référence à l’exploitation des œuvres au format numérique. Cette demande n’aboutit pas, les magistrats considérant comme titulaire des droits numériques celui qui exploite commercialement l’œuvre, quelque soit son support – tant que les auteurs n’ont pas manifesté leur désaccord. La deuxième contre-attaque des avocats de la firme californienne consiste à tenter de faire appliquer la loi américaine, spécifique en matière de droit d’auteur.
Cette « astuce » leur a déjà permis de sortir vainqueurs d’une affaire similaire portant sur l’indexation des images (
Affaire SAIF c. Google, 20 mai 2008). L’argumentation repose sur le fait que la numérisation, l’indexation et le stockage sont fait aux États-Unis. L’enjeu est de taille, puisqu’une telle décision permettrait à Google de justifier ses actes en invoquant le
fair-use, qui définit des exceptions au copyright sous certaines conditions. En particulier, l’usage fait de l’œuvre protégée doit être utile au public et loyal («
fair »). Cet usage peut même être fait avec des objectifs commerciaux, à condition qu’il ne remette pas en cause la position de l’éditeur sur ses marchés d’origine. Cette position semble défendable concernant Google Books, où les ouvrages sous droits apparaissent sous la forme de 3 courts extraits, sélectionnés en fonction de la recherche de l’internaute (voir ci-dessous).
Extraits d'un ouvrage sous droits sur la plateforme Google Books
Le droit français, que souhaite bien évidemment faire appliquer La Martinière et le SNE, est beaucoup plus restrictif. Alors que le fair-use permet une large palette d’interprétations, le droit d’auteur en France liste des exceptions très précises à son application. Parmi elles, aucune ne stipule que l’indexation sur les moteurs de recherche est légitime. Ce qui n’est guère étonnant, puisqu’une grande partie du droit français est hérité du Code Napoléon, conçu et rédigé au début du XIXème siècle.
C’est finalement la loi française que le juge français décide de faire appliquer. Trois ans après la plainte déposée par La Martinière, un premier jugement est rendu par le Tribunal de grande instance (TGI) de Paris le 18 décembre 2009. Ce jugement condamne Google pour atteinte à la propriété intellectuelle. La firme de Mountain View se voit sommer de cesser immédiatement la numérisation des ouvrages des plaignants, mais aussi de détruire les fichiers des œuvres déjà indexées. En outre, Google est condamné à verser 300 000 euros au groupe La Martinière à titre de réparation, et 1 euro symbolique au SNE et à la SDGL.