la page d'accueil de Google le 11 septembre 2001

La page d'accueil de Google.com le 11 septembre 2001.

© Crédits photo : Matt Haughey/FlickR.

Comment le 11-Septembre a donné naissance à Google News

C'est un ingénieur de la firme californienne qui, ne trouvant pas sur Google toutes les informations qu'il cherche au moment des attaques terroristes, va mettre au point un outil de veille et donner naissance par hasard à Google News.

Temps de lecture : 9 min

Les événements tragiques du 11 septembre 2001 ont aussi marqué, symboliquement, une période fondatrice pour le journalisme en ligne. L’apparition des sites d’information, aux États-Unis comme en France, est largement antérieure à cette date, mais les attentats ont contribué à la constitution d’un public de masse pour l’information en ligne. L’audience des sites d’information au niveau mondial a augmenté de façon ponctuelle, mais cela a marqué le passage à une étape quantitativement et qualitativement supérieure en ce qui concerne la consultation de l’information en ligne dans son ensemble. Les attentats ont aussi initié une série de conflits géopolitiques : l’invasion de l’Afghanistan et de l’Irak par les États-Unis, la multiplication des attentats islamistes de par le monde. Enfin, c’est aussi là que la pénétration du secteur du journalisme par des logiques algorithmiques a commencé, avec le lancement de Google News en 2002, faisant naître un problème fondamental : celui de l’organisation algorithmique de l’actualité.

Pic d’audience

Première incidence des attentats du 11 septembre sur l’actualité en ligne : selon une étude du Pew Institute, le pourcentage des internautes étatsuniens qui consultaient des sites d’information durant une journée moyenne est passé de 22 % à 27 %. Dans l’ensemble, plus de la moitié des internautes américains (environ 53 millions de personnes à l’époque) se sont informés par internet sur ces événements dramatiques. Les sites d’information étatsuniens ont connu une explosion de leur audience, notamment depuis l’étranger. Ainsi entre le 11 et le 12 septembre 2001 la consultation de Cnn.com a augmenté de 680 % pour atteindre 12 millions de visiteurs uniques, celle de Msnbc.com de 236 % (9,5 millions de visiteurs), celle du Cbs.com de 819 % (1,7 million de visiteurs) et celle du Washingtonpost.com de 225 % (1,2 million des visiteurs).

D'un point de vue qualitatif, les usagers ont diversifié les contenus consultés, 15 % d’entre eux ayant regardé des vidéos ou des reportages sonores, ce qui à l’époque a constitué une relative nouveauté. Ils ont également effectué de la veille d’information autour de l’événement, puisque 7 % d’entre eux ont souscrit à une alerte par courrier électronique. Les consultations des sites d’information ont été faites principalement depuis les lieux de travail, consacrant ainsi l’usage du média pendant le temps professionnel (1) . On a observé le même engouement dans d’autres pays comme la France, où de nombreux sites n’ont pas supporté l’augmentation soudaine du trafic et ont été hors service dans les heures qui ont suivi les attentats.

Dans l’ensemble, l’internet n’a pas constitué la première source d’information pour la majorité de la population au moment des attentats du 11 septembre, ce qui était encore le rôle de la télévision, mais un moyen complémentaire pour rechercher, approfondir et mettre en perspective les informations disponibles. Pour beaucoup d’internautes, la principale motivation a été la recherche d’un traitement différent de celui des médias audiovisuels dominants. Une étude effectuée en Grande Bretagne (2)  a montré que suite aux événements du 11 septembre l’internet est devenu une source très importante pour les internautes de religion musulmane. Ils recherchaient une information alternative en raison de leur mécontentement à l’égard du traitement télévisuel, perçu comme reproduisant des stéréotypes sur l’Islam.

Par ailleurs, 65 % des internautes étatsuniens interrogés ont déclaré avoir été interpellés par une nouvelle au hasard d’une séance de « surf ». L’effet du 11 septembre 2001 sur l’audience des sites d’information au niveau international s’est quelque peu estompé dans les mois qui ont suivi. En 2002, 25 % des internautes étatsuniens en moyenne se sont connectés au réseau expressément dans l’objectif de consulter les actualités, une petite augmentation par rapport aux 23 % de 2000. Mais parmi les personnes interrogées âgées de moins de trente ans, l’internet a occupé pour la première fois la deuxième source d’information la plus importante, juste derrière la télévision.

Un tournant pour les éditeurs de médias

Du point de vue des éditeurs de médias, le 11 septembre a constitué un tournant. D'une part ils ont été confrontés à des difficultés techniques et ont du se préparer à des affluences massives et ponctuelles d’audience. D'autre part, au niveau éditorial, le traitement d’une actualité très forte et à rythme soutenu a conduit certains d’entre eux à modifier progressivement leur fonctionnement interne dans le sens d’une plus grande disponibilité des journalistes et des rédacteurs afin qu’ils puissent mettre à jour les sites avec les dernières nouvelles.

En résumé, les attentats du 11 septembre 2001 et la séquence géopolitique qui a suivi ont accéléré et confirmé un certain nombre des tendances de l’information en ligne, tant du point de de vue de l’offre que de la demande : l’internet est devenu un média d’information important pour une partie croissante de la population — notamment les plus jeunes — à la recherche d’un traitement davantage pluraliste que celui des médias dominants, combinant des formats différents en temps quasi-réel.

Pour les médias, les sites internet sont apparus comme des relais de croissance et des supports d’innovation éditoriale importants. Mais ils ont nécessité des investissements accrus et une organisation industrielle tournée vers l’accroissement et la diversification de leur production. Ces nouveaux usages et l’offre d’information pléthorique qui les a accompagnés a mis en évidence le besoin d’organiser et de hiérarchiser efficacement les contenus. C’est dans ce contexte qu’est lancé Google News, la première « plateforme » d’envergure spécialement dédiée à l’actualité.

La naissance de Google News

Krishna Bharat est ingénieur chez Google. Après les événements du 11 septembre 2001, Bharat souhaite suivre toutes les informations relatives aux attentats. Or, le moteur de Google à l’époque n’est pas adapté à l’actualité. Une recherche sur le World Trade Center le jour des attentats du 11 septembre ne donne pas de résultats pertinents et ceci pour une raison simple : par définition, un nouveau sujet génère peu de liens dans un premier temps. 

capture d'écran recherche world trade center 11 septembre
Capture d’écran de résultats de Google pour une recherche avec les termes « world trade center » le 11 septembre 2001.

Au lieu de consulter tous les sites d’information les uns après les autres pour s’informer sur les suites du 11 septembre, Krishna Bharat préfère utiliser un robot de recherche pour mettre en place un outil de veille. Ce robot visite une vingtaine de sites d’information de façon périodique et recherche les contenus relatifs aux événements du 11 septembre. Le résultat est un ensemble de liens sur le thème en question qui lui permet d’avoir rapidement un aperçu de l’actualité. Il suffit alors de cliquer sur un lien pour accéder à l’intégralité de l’article sur le site source. Progressivement, le prototype que Bharat a créé pour son usage personnel est diffusé parmi les employés de Google, qui commencent à l’appliquer à d’autres thèmes d’actualité et à le perfectionner en augmentant progressivement le nombre de sources prises en compte. Ils mettent en œuvre un algorithme spécifique, baptisé StoryRank, pour hiérarchiser les contenus. C’est ainsi qu’en septembre 2002, une version test grand public du service est lancée aux États-Unis (jusqu'en janvier 2006), suivie par d’autres notamment en français en 2003 (jusqu'en mai 2009).

« Après le 11 septembre, tous les journaux parlaient de qui, quand, où, mais il y avait une grande question qui était le pourquoi. Pourquoi est-ce que c’est arrivé ? Qu’allait-il se passer dans le futur ? Beaucoup de gens passait du temps à chercher des informations et j’étais l’un d’entre eux. Tous les serveurs étaient lents et ça prenait beaucoup de temps pour trouver le contenu. Fondamentalement, je voulais créer un outil qui automatiserait tout ça : voilà un nouvel événement, allons trouver les articles qui en parlent. Je ne pensais pas aux usagers, je pensais au contenu. Je voyais du contenu arriver des sources différentes et j’essayais de comprendre qu’est-ce qu’il y avait en commun entre tel et tel article. Parlaient-ils du même événement ? Comment est-ce que je pouvais vérifier qu’ils parlaient bien de la même chose ? », témoignait, en 2003, Krishna Bharat dans une interview au site Online Journalism Review [traduction de l'auteur, NDLR].

Les créateurs de Google News ont dès le départ mis en avant l’aspect automatique du traitement de l’information et l’absence, supposée, de médiation humaine. De leur point de vue, Google News est objectif et neutre puisqu'il ne comporte pas les biais médiatiques traditionnels comme une ligne éditoriale engagée ou un positionnement politique explicite. L’algorithme particulier mis en œuvre dans la sélection et la hiérarchisation des contenus d’actualité est censé être exclusivement fondé sur des critères de pertinence objectifs et n’implique pas des choix éditoriaux, par définition subjectifs, comme ceux des journalistes : « L’originalité de Google Actualités tient à ce que nos résultats sont compilés uniquement à l’aide d'algorithmes informatiques, sans intervention humaine. De ce fait, les sources d’information sont sélectionnées sans aucun parti pris politique ou idéologique, ce qui vous permet de déterminer comment différentes sources traitent un même sujet. »

L’objectif du service a été, selon eux, d’apporter le plus grand nombre d’informations possible à un public de masse qui autrement n’y aurait pas accès. Il s’agissait d’une tentative de renforcement de la démocratie par le biais de la libre circulation de l’information, ouvertement assumée comme telle dans les discours des dirigeants de Google. Ce discours est constant de la part des acteurs de la Silicon Valley, et il est repris notamment par Mark Zuckerberg qui d’une part refuse d’endosser le rôle d’éditeur, préférant définir Facebook comme plateforme supposément « neutre », et, d’autre part, revendique le fait de renforcer la communauté humaine et la démocratie.

Logique de productivité

Les ingénieurs de Google sont confrontés à un problème lorsqu'ils tentent d’améliorer le fonctionnement de Google News. Comment traduire les logiques complexes du domaine de l’actualité dans un langage algorithmique compréhensible par le moteur de recherche ? La méthode choisie consiste à transformer un certain nombre de critères d’évaluation sous forme de variables chiffrées. Mais ce choix privilégie des critères quantitatifs, comme l’audience et la productivité, facilement identifiables par une machine, au détriment des critères qualitatifs traditionnellement reconnus dans le champ journalistique (qualité du reportage, originalité, investigation etc.). Le service a contribué ainsi à installer une logique de productivité conduisant à la pratique aujourd'hui répandue du « bâtonnage » (3) .

Google News a été lancé en France en 2003 et a connu un succès rapide. Dès septembre 2008, l’audience de la version française de Google News dépasse les 3,2 millions d’utilisateurs uniques. Son intégration dans le moteur générique en fait progressivement la principale source de trafic pour les sites d’information (4) . Or, la manière dont le service a été lancé en Europe a généré des conflits avec les éditeurs notamment en France mais aussi en Belgique, en Espagne, en Allemagne et en Italie. La décision de lancer Google News en France a été prise directement depuis les États-Unis sans aucune consultation préalable ni avec ses représentants locaux, qui ne disposaient que des prérogatives commerciales, ni avec les acteurs impliqués, en l’occurrence les éditeurs. À cette époque, l’équipe de Google France était constituée uniquement de commerciaux chargés de vendre les offres publicitaires de la société. Les responsables n’avaient aucune prise sur le service d’actualité et ne connaissaient pas les modalités de son fonctionnement, puisque celui-ci était géré directement par les équipes américaines. Il n’y avait pas en France d’interlocuteur en situation de responsabilité pour répondre, au nom de Google, aux interrogations des éditeurs de presse.

Le conflit provoqué par le lancement de Google News en France a abouti dès 2003, au retrait temporaire du service d’un certain nombre d’éditeurs français, notamment ceux qui sont regroupés au sein du Geste (Groupement des éditeurs de services en ligne) comme Le Monde et Les Échos, mais aussi à une menace de procès de la part de l’AFP. Hormis les différends secondaires (accès en cache à des articles payants, reproduction d’images sans autorisation des auteurs et/ou avec des références erronées), l’essentiel du désaccord portait sur la reconnaissance des droits d’auteur des éditeurs sur leurs contenus. Malgré les récents accords annoncés entre les éditeurs français et australiens et le géant californien, ce différend perdure.

    (1)

    À titre de comparaison, l’audience cumulée des dix sites d’information les plus populaires aux États-Unis en août 2020 a dépassé un milliard de visiteurs uniques.

    (2)

    Gillespie Marie et Cheesman Tom, « Les informations télévisées et les téléspectateurs multiethniques », in Marc Lits (sous la dir.), Du 11 septembre à la riposte, De Boeck, Bruxelles, 2004, pp.86-104.

    (3)

    Sophie Eustache, Bâtonner. Comment l'argent a détruit le journalisme, Éditions Amsterdam, 2020.

    (4)

    Quand un internaute effectue une recherche avec un mot clé que Google considère comme étant lié à une question d’actualité, les premiers résultats affichés sont issus de l’algorithme particulier de Google News.

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