Journée mondiale de la télévision - épisode 1/5
Histoire de la télévision : une exception française ?
L'histoire de la télévision française révèle plusieurs spécificités qui font d'elle un cas à part dans le paysage audiovisuel européen.
L'histoire de la télévision française révèle plusieurs spécificités qui font d'elle un cas à part dans le paysage audiovisuel européen.
Encore trop souvent considérée en vase clos, l’histoire de la télévision française n’est que rarement resituée dans son contexte européen. À partir d’éléments de comparaison avec nos principaux voisins (Royaume-Uni, Allemagne, Italie), plusieurs spécificités fortes peuvent pourtant être dégagées : tout d’abord, un retard certain dans le développement de la télévision ; ensuite, une emprise de l’État plus forte qu’ailleurs ; enfin, un paysage audiovisuel hertzien relativement fermé, où le câble et le satellite ne sont pas parvenus à s’imposer pleinement.
La télévision a traversé à partir des années 1920 une longue phase de mise au point expérimentale, loin des regards du public. Au cours de cette période pionnière, la France affiche d’emblée un retard certain par rapport aux autres grandes puissances industrielles. C’est d’ailleurs suite à un voyage en Angleterre qu’Ernest Chamon, directeur général de la Compagnie des compteurs, décide en 1928 de créer au sein de sa société un laboratoire dédié à la télévision, confié à l’ingénieur René Barthélémy.
Alors que les recherches ne font que commencer en France, l’Écossais John Logie Baird a fait dès 1926 la démonstration de son « televisor » devant les scientifiques de la Royal Institution, avant de réaliser deux ans plus tard la première liaison télévisée entre Londres et New York par ondes radio (les premiers prototypes de téléviseur utilisaient une transmission par câble à faible distance). En Allemagne, les travaux de l’ingénieur de Telefunken August Karolus et du Hongrois Dénes von Mihály sont également bien avancés et suscitent l’intérêt de la Reichspost, qui lance des émissions expérimentales en 1929, en même temps que la BBC épaulée par Baird. C’est également outre-Rhin que Manfred von Ardenne réalise une avancée décisive en présentant en 1931 le premier système de télévision électronique à tube cathodique.
En 1950, on ne dénombre encore en France que 3794 postes, alors qu’on s’approche déjà du million au Royaume-Uni. Mais ce chiffre va bientôt croître de manière spectaculaire. Tout y concourt : en novembre 1948, François Mitterrand, alors secrétaire d’État à l’Information, a fixé la définition des émissions françaises à 819 lignes horizontales. Si ce choix isole la France des autres pays d’Europe, qui choisiront le standard de 625 lignes préconisé par le CCIR (Comité consultatif international des radiocommunications), il n’en impose pas moins une norme technique stable favorable au développement du nouveau média. Suite à l’arrivée de Jean d’Arcy, ancien collaborateur de Mitterrand, à la direction des programmes en 1952, l’offre d’émissions s’étoffe elle aussi considérablement, rendant la télévision plus attractive.
Confronté dès son élection à un nouveau mouvement de grève, Valéry Giscard d’Estaing décide d’en finir avec l’ORTF, considéré comme une organisation tentaculaire et ingouvernable. La loi du 7 août 1974 est un véritable séisme. L’ORTF est supprimé au profit de sept nouvelles entreprises publiques, dont trois chaînes de télévision : TF1, Antenne 2, FR3, Radio France, TDF, la SFP et l’Ina. Pour le nouveau pouvoir, ce démembrement est d’abord l’occasion d’affaiblir les corporatismes et l’influence des syndicats, tout en procédant à des suppressions d’effectif. Mais il s’agit aussi de rénover le fonctionnement même de la télévision publique.
Alors que le libéralisme giscardien avait choisi de maintenir le monopole public, c’est paradoxalement le nouveau pouvoir socialiste qui va ouvrir la télévision aux intérêts privés, par la loi du 29 juillet 1982 proclamant en son article 1er que « la communication audiovisuelle est libre ». Deux ans plus tard, Canal+ commence à émettre le 4 novembre 1984, bientôt suivi par La Cinq et TV6 en 1986. Le gouvernement de cohabitation de Jacques Chirac achèvera le travail en 1987 en privatisant TF1 et en remplaçant TV6 (propriété de Publicis/NRJ) par M6 (CLT/Lyonnaise des eaux). L’abandon du monopole public et l’apparition de nouvelles chaînes privées est une tendance lourde, que l’on retrouve à cette époque dans tous les grands pays européens. Mais la situation française n’en comporte pas moins de fortes spécificités.
Autre spécificité rarement soulignée : alors qu’à l’étranger, le développement du câble et du satellite offre un terrain de jeu privilégié aux nouveaux diffuseurs privés, la privatisation se déroule en France avant tout sur le réseau hertzien, dont le nombre de canaux double entre 1984 et 1986. Dans le domaine des nouveaux modes de diffusion, en revanche, le pays accumule les retards, comme en témoignent les échecs successifs du « plan câble » de Pierre Mauroy et du satellite de diffusion TDF1. En 1992, on ne compte encore qu’un million de foyers raccordés au câble, soit dix fois moins qu’en Allemagne ! Or, le câble et le satellite sont précisément, dans la plupart des pays, le lieu d’une progressive gestation du secteur audiovisuel privé. En Italie, les premiers diffuseurs privés émergent ainsi sur le réseau câblé local : Telemilanocavo, ancêtre de Canale Cinque créé en 1974, est ainsi à l’origine une chaîne destinée exclusivement à la ville nouvelle de Milano 2, construite par Silvio Berlusconi. De même, en Allemagne, les chaînes privées apparaissent d’abord sur des projets pilotes de réseaux câblés lancés en 1984 à Ludwigshafen, puis à Munich, Dortmund et Berlin. Une exception : la chaîne RTL (d’abord nommée RTL plus), qui commence à émettre la même année en hertzien depuis le Luxembourg, avant de s’installer à Cologne en 1988 et d’obtenir une fréquence terrestre locale. Dans ces deux pays, les chaînes privées grandissent ainsi dans une sage lenteur, en n’augmentant que très progressivement leur aire de diffusion, leur audience et leurs revenus. Ainsi, en Allemagne, RTL n’atteindra le seuil de rentabilité qu’en 1992, soit huit ans après sa création, suivie par la chaîne ProSieben en 1995.
Dernière grande révolution dans le domaine de la télévision linéaire traditionnelle, le lancement de la TNT en mars 2005 amorce paradoxalement une « normalisation » du paysage audiovisuel français. En effet, en portant presque du jour au lendemain le nombre de canaux gratuits disponibles sur le réseau hertzien à 18, et jusqu’à 27 aujourd’hui, la télévision numérique a réussi là où le câble et le satellite avaient largement échoué. Avec un temps de retard sur ses voisins, la France entre dans l’ère d’une offre télévisuelle abondante, ce qui a pour effet de mettre à mal les équilibres entre chaînes, qui n’avaient évolué qu’à la marge depuis dix ans.
Pour faire face aux nouveaux entrants (dont beaucoup se désengageront précocement, revendant au passage avec force profit une fréquence qui leur avait été attribuée gratuitement) et à la fragmentation croissante des audiences, les acteurs historiques se voient contraints d’adopter une stratégie multi-chaînes : TF1 avec le rachat de NT1 (devenue TFX) et TMC, le lancement de HD1 (devenue TF1 Séries Films) et le passage en gratuit de LCI, M6 avec la création de W9 et 6ter et le rachat de Gulli, ou encore France Télévisions avec les lancements de France 4, France Ô (disparue en 2020) et franceinfo. Sans oublier Canal+, qui se diversifie dans le domaine de la télévision gratuite, avec i-Télé, puis D8 et D17 (devenues respectivement CNews, C8 et CStar suite à la prise de contrôle du groupe par Vincent Bolloré).
L’échec de la fusion entre TF1 et M6 en 2022, pour des raisons liées au droit de la concurrence, marque sans doute (provisoirement ?) le terme de ce processus de « reconcentration » du PAF, où les quatre principaux groupes historiques cumulaient à eux seuls une part d’audience de 77 % en 2021, ne laissant subsister dans la catégorie des « nouveaux entrants » de la TNT qu’Altice Média (BFM TV, RMC Story, RMC Découverte), NRJ Group (NRJ 12, Chérie 25) et le groupe Amaury (L’Équipe).
Dernière grande rupture en date, la suppression de la redevance par le gouvernement d’Elisabeth Borne à l’été 2022 fragilise le financement des diffuseurs publics, à un moment où la situation des grands acteurs de la télévision française dans leur ensemble n’a jamais paru aussi délicate. En effet, c’est tout le modèle économique de la télévision linéaire qui se trouve aujourd’hui bouleversé par la révolution numérique et les nouveaux usages, à l’échelle mondiale cette fois. Après avoir longtemps vécu en vase clos, les groupes hexagonaux se retrouvent confrontés depuis les années 2010 à la concurrence féroce de nouveaux acteurs internationaux d’envergure, qu’il s’agisse de beIN Sports sur le marché des droits sportifs ou de Netflix, Amazon ou Apple dans le domaine de la SVOD, nouveau mode de consommation où les chaînes historiques peinent à trouver leur place.
Autant de défis communs à l’ensemble des diffuseurs traditionnels, en Europe comme dans le monde. En d’autres termes : la fin d’une certaine exception française ?
--1928 : création d’un laboratoire de recherche de télévision au sein de la Compagnie des compteurs, confié à l’ingénieur René Barthélémy
30 octobre 2008 : début de la diffusion en HD de TF1, France 2, Canal+, Arte et M6
12 décembre 2012 : lancement de six nouvelles chaînes sur la TNT, HD1, L’Équipe 21, 6ter, Numéro 23, RMC Découverte et Chérie 25
24 juin 2014 : Vincent Bolloré prend, à travers Vivendi, le contrôle du groupe Canal+
15 septembre 2014 : Lancement de Netflix en France
17 mai 2021 : les groupes TF1 et M6 annoncent un projet de fusion, finalement abandonné en septembre 2022
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