Immortalité numérique : que nous réserve l’avenir ?

Immortalité numérique : que nous réserve l’avenir ?

Continuer à discuter avec nos proches après leur mort ? Certains y travaillent déjà.

Temps de lecture : 4 min

 

La mort numérique est un sujet qui a du mal à s’imposer dans le débat public. C’est pourtant une problématique qui va s’imposer à nous de façon très concrète dans les années à venir. Qu’arrive-t-il à nos données après que nous ayons succombés à la maladie, à la vieillesse ou à des choses moins prévisibles ? Photos, messages et autres commentaires que nous avons postés sur les réseaux sociaux sont-ils condamnés à rester éternellement accessibles en ligne ? Lorsque l’on parle de mort numérique, il est en réalité très souvent question de la sauvegarde de l’identité numérique, de la gestion de données et d’une éventuelle éternité des profils personnes sur les réseaux.
 

Certains vont plus loin en anticipant une immortalité numérique, soit le fait de pouvoir faire vivre le défunt par-delà la mort grâce à ses données. La science-fiction, qui a généralement plusieurs années voire quelques décennies d’avance sur la recherche et le développement des technologies, ne s’est, elle, que très peu attardée sur le sujet de l’éternité numérique et de l’immortalité sur les réseaux qui ferait suite à une activité, en tout cas pas de manière spécifique.

Un sujet qui n’intéresse pas particulièrement la science-fiction

 

 C’est à la télévision que l’on retrouve des tentatives de représentation de ce que pourrait être une éternité numérique 

Dans l’univers de Matrix imaginé par les sœurs Wachowski, la mort dans la matrice, monde virtuel où les humains sont enfermés et exploités, entraîne la mort physique. Mais il n’est pas question de la survivance d’un moi numérique après la mort physique. Dans Blade Runner, la mort est imposée aux Replicant, des androïdes très évolués, pour les empêcher de développer des émotions et une volonté d’indépendance trop forte. Mais il n’est pas question d’une éventuelle survie de leurs pensées suite à leur « mise en retraite ». Dans la littérature, plusieurs livres s’approchent du sujet, peu l’abordent frontalement.

C’est en réalité à la télévision que l’on trouve quelques tentatives de représentation de ce que pourrait être une éternité numérique. Deux épisodes de la série Black Mirror abordent le sujet, chacun à leur manière : « Be Right Back » et « San Junipero », provenant respectivement de sa deuxième saison (diffusée en 2013 sur Channel 4) et de la troisième saison mise en ligne sur Netflix en 2016. Dans le premier, une jeune veuve a recours aux services d’une société qui permet de rendre vie aux défunts. Tout d’abord sous la forme d’une intelligence artificielle puis à l’aide d’un androïde qui revêt son aspect physique. L’épisode San Junipero s’attache lui à décrire un monde où il est possible de télécharger sa conscience dans une réalité simulée informatiquement après son décès.
 

Si ce qui est montré dans « San Junipero » peut sembler irréaliste à l’heure actuelle, « Be Right Back » n’est pas si éloigné de ce qu’il est aujourd’hui possible de faire. Comme souvent avec les nouvelles technologies, la réalité rattrape la fiction, au moins en partie. Une application japonaise permet, par exemple, de se prendre en selfie avec un proche décédé. À condition que l’utilisateur ait préalablement scanné ou pris en photo le visage du défunt. Une sorte d’éternité numérique de surface, le degré zéro de l’après numérique. Chacun jugera du bon goût de la démarche. Plusieurs initiatives ont pour projet d’aller plus loin et de permettre un échange avec le défunt, ou du moins, un double numérique du défunt.

La numérisation des souvenirs, étape obligatoire de l’immortalité numérique

 

 James Vlaho a parlé de longues heures avec son père et a rentré leurs discussions dans un système d’intelligence artificielle 

En août 2017, le magazine américain Wired a publié l’histoire de James Vlaho. Son père, atteint d’un cancer qui s’est avéré extrêmement grave, n’en avait plus pour très longtemps. Il a donc décidé de créer un bot. « Il n’est pas tout ce qu’était mon père, explique James Vlaho dans une vidéo de Wired publiée en même temps que l’article, mais il est capable de raconter ses anecdotes d’une façon interactive. Il parle comme lui et comporte des éléments de sa personnalité ». Il a ainsi parlé avec lui de longues heures et a rentré leurs discussions dans un système d’intelligence artificielle. Le tout se présente sous la forme d’un service de messagerie textuelle classique. Ainsi lorsque James Vlaho pose une question au bot, celui-ci lui répond, par un message ou même dans certains cas, en fonction de ce qui a été demandé, une chanson. Mais il y a des sujets dont le développeur et son père n’ont pas pu parler. Dans ces cas-là, lorsque James Vlaho les aborde, l’application répond qu’elle ne sait pas de quoi il est question. 

Parallèlement à cette initiative personnelle, deux jeunes entrepreneurs russes habitant en Californie ont créé Replika, un service pour mobile qui propose de créer votre double numérique. Lancée en 2016, l’application pose à l’utilisateur des questions sur sa vie, son travail, ses passions, et copie au fur et à mesure ses tics de langages. Par la suite, les proches de l’utilisateur pourront discuter avec son reflet numérique constitué au fil des conversations. Cette idée de nourrir une intelligence artificielle avec des données pour créer un bot capable de répondre à des questions sur la vie du défunt en reprenant certaines de ses caractéristiques de langages et son histoire ne date pas d’hier. Déjà en 2000, Gordon Bell et Jim Gray, des chercheurs de Microsoft, estimaient qu’il était tout à fait possible d’archiver les discussions des personnes pour la faire parler et partager son vécu à travers un logiciel. À l’époque, le principal problème à surmonter résidait pour eux dans les techniques de reconnaissance du texte et de la parole.

Des immortalités numériques à un ou deux sens

 

 Il faudra se demander quel statut donner à ces consciences numériques immortelles 

Dans un document synthétisant leur réflexion sur le sujet, les chercheurs distinguent deux situations possibles. L’une à sens unique, qui est en réalité ce qui a été réalisé par Jame Vlaho et les créateurs de Replika, l’autre dans les deux sens. Car s’il est possible de discuter avec le double numérique ou a minima un bot qui a assimilé les connaissances, les souvenirs  ainsi que les façons de parler d’un défunt, il ne leur est pas possible de réellement évoluer. Plus que ça, ils ne sont pas autonomes et n’existent qu’à travers les interactions des proches avec eux. Pour Gordon Bell et Jim Gray, il sera possible, avant la fin du siècle, que la conscience et les expériences des usagers puissent être entièrement numérisées pour ensuite évoluer d’elles-mêmes, même après la disparition physique. On serait alors face à des programmes qui peuvent continuer d’acquérir des connaissances, atteignant le stade d’une véritable immortalité numérique.

Cette idée d’une immortalité numérique à deux-voies, avec un avatar que les proches peuvent consulter mais qui lui-même peut évoluer par ces interactions et son exploration autonome du monde qui l’entoure rappelle fortement le transhumanisme, qui vise à vaincre la mort physique et à faire perdurer la conscience des individus. Plusieurs des apôtres du domaine estiment que cette immortalité, en partie numérique, sera atteinte d’ici 2045.  Mais il faudra alors se demander, très pragmatiquement, quel sera le statut de ces consciences numériques immortelles.  Quelle sera leur place dans la société ? Qui sera propriétaire de ces programmes et des données qu’ils contiennent ? L’accès à ce type de technologique sera très probablement très onéreux, au moins dans un premier temps : cela ne risque-t-il pas de créer une nouvelle inégalité informatique, cette fois de la mémoire et de l’immortalité numérique dans la population ? Une telle évolution soulèverait aussi de nombreuses questions éthiques, philosophiques, et mêmes spirituelles. En attendant, c’est la technique qui, elle, résiste.

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Crédits :
Illustration : Ina. Guillaume Long

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