« Pendant ce voyage de presse, l'influenceuse enchaînait les stories, c'était un flix constant de publications.»

© Illustration : Lucile Farroni

Chez les attachés de presse, les influenceurs ont détrôné les journalistes

Moins onéreux qu’une publicité classique, plus proches du public que les journalistes, les influenceurs sont d’une efficacité redoutable auprès des consommateurs. Et ça, les attachés de presse l’ont bien compris.

Temps de lecture : 7 min

À peine sortie d’école, c’était son premier CDD. Aujourd’hui en poste dans un média d’investigation, la journaliste se retrouve envoyée par son magazine sur un voyage de presse. « Le concept même du voyage de presse est hallucinant ! », découvre sur place la jeune diplômée alors embarrassée d’être véhiculée, logée et nourrie pendant quatre jours en Italie par une marque de pâtes pour rédiger un article sur « comment faire des pâtes ». Plusieurs journalistes et une influenceuse participent à ce séjour. « Nous avions un article à rédiger pour nos médias respectifs à l’issue du voyage, donc à part dans l’usine où nous avons fait notre boulot, le reste du temps, nous avons tranquillement profité de Vérone », se souvient la journaliste. Et l’influenceuse ? « Elle bossait non-stop ! Elle photographiait tout et tout le temps, elle enchaînait les stories, répondait aux commentaires et dès que nous avions une pause elle en profitait pour recharger les batteries de son téléphone et de son ordinateur. C’était un flux constant de publications. L’enfer ! » Et quatre jours de visibilité sur les réseaux sociaux pour la marque.

Pour le Larousse, un influenceur est une « personne qui, en raison de sa popularité et de son expertise dans un domaine donné, est capable d’influencer les pratiques de consommation des internautes par les idées qu’elle diffuse ». En France, ils seraient 150 000 (avec plus de 10 000 abonnés), selon Bercy. Parmi eux, seuls 15 % occupent cette activité à temps plein et seuls 6 % en tirent plus de 20 000 euros par an, selon une étude menée en 2021 par Reech, une agence du secteur. Même si l’écrasante majorité ne vit donc pas de la création de contenu sur internet, tous représentent un intérêt pour les marques. 73 % des consommateurs interrogés dans la dernière étude de Reech, parue en 2023, affirment avoir acheté un produit après une campagne d’influence. Pourquoi une telle efficacité ? Un maître mot, la proximité.

« Illusion de relation »

Yannick Pons, chef de développement chez Reech, explique : « Les influenceurs sont passionnés par leur secteur. Ils intéressent les marques car, par leur entremise, elles peuvent ainsi toucher une communauté de passionnés. L’influenceur est suivi pour sa sincérité, le discours est donc moins lisse que celui de la pub ». Et contraire à celui des journalistes, a priori critique, distancé. On nomme le rôle des influenceurs, dans le jargon de l’info-com, « l’homophilie » ou « l’affinité par ressemblance » ce que Stéphanie Lukasik, enseignante-chercheuse à l’université du Luxembourg, compare à un groupe d’adolescents qui, par contagion du comportement d’achat, se retrouvent tous avec la même paire de baskets. « L’influence fonctionne mieux que la publicité classique auprès des jeunes car c’est un individu qui leur parle, qui crée une illusion de relation, une illusion de spontanéité. Même si la personne est rémunérée, les abonnés se sont attachés à elle et lui font confiance. » Pour cette universitaire, autrice de L’influence des leaders d’opinion (L’Harmattan, 2021), l’autre point fort des influenceurs est qu’après avoir créé et partagé du contenu, « ils laissent les usagers s’en emparer, le partager et surtout, ils interagissent avec eux. Et ça, les journalistes ne parviennent pas à le faire. » Quentin Menigault, embauché sur les questions d’influence au sein de l’agence de relations presse Kalamari, abonde : « Dans une époque de défiance envers les médias, l’influence, par ce dispositif de recommandation de pair à pair, échappe aux faux semblants. » Et va même jusqu’à parler « d’objectivité » alors même que les influenceurs sont soit rémunérés pour parler d’un produit soit en parlent après l’avoir reçu gratuitement.

Un essor accéléré par la pandémie

Depuis la pandémie, l’engouement des agences pour les influenceurs se confirme. « La première année de pandémie, les médias étaient concentrés sur le Covid-19 et nous avions beaucoup de difficultés à faire exister nos clients dans la presse », raconte Justine Boiramier, directrice clientèle chez Kalamari, renommée ainsi en février dernier. « L'AgenceRP, notre ancien nom, était trop connoté relations presse franco-françaises or, nous avons désormais un bureau à Boston et nous avons embauché un collaborateur, Quentin, spécifiquement sur l’influence. »

Une tendance que confirme Laurence Gosse, directrice scientifique de la section Événementiel, influence et réputation à l’ISCOM (école supérieure de communication et de publicité) qui met l’accent sur l’influence depuis la rentrée 2022. « Depuis, le Covid, il y a un gros changement dans les offres d’emplois. Avant, les agences cherchaient du monde en relations presse, à présent, c’est RP et influence. Le métier de consultant RP s’est donc enrichi avec l’influence marketing. » Plus radical que la plupart des écoles d’attachés de presse et de communication qui intègrent depuis peu ces nouvelles compétences dans leur cursus, le groupe IGS a fait le choix de créer de toute pièce une école d’influence marketing. L’école ffollozz, filiale de l’ISCPA (groupe IGS), accueille depuis la rentrée 2022 sa première promotion. Entrés à Bac+2 après un BTS communication ou marketing digital, « les étudiants sont formés à tous les métiers de l’influence chez l’annonceur, auprès des marques, des agences ou des influenceurs », détaille le directeur Frédéric Abecassis, qui ouvrira un master en septembre 2023. « Le communiqué de presse commence à passer de mode et l’événementiel ne fonctionne plus depuis le Covid. En revanche, l’influence est en plein boom. » Et la place que leur accordent agences et écoles donnent aux influenceurs une nouvelle légitimité.

« Presse promotionnelle »

Au printemps 2020, en plein confinement, Marion, une ergothérapeute et maman d’une petite fille d’un an ouvre sur Instagram, à la demande de ses copines, le compte Grandir en s’amusant. Avec un seul objectif : partager des idées d’activités. Après une vidéo virale, plusieurs marques la contactent. Elle se tourne vers l’agence Egrown Media pour se faire accompagner. Depuis 2021, la mère de famille partage toujours des activités mais alimente désormais son compte de messages promotionnels rémunérés. Et, ponctuellement, de « lives » [des interviews vidéos diffusées en direct, NDLR] avec des professionnels sur des sujets variés comme l’entrée à l’école, la diversification alimentaire, retrouver la forme après le post-partum ou encore comment gérer colère et frustration chez les tout-petits. Des contenus qui ressemblent à des interviews et qui plaisent. Une journaliste spécialisée dans l’éducation, qui souhaite rester anonyme pour ne pas impliquer sa rédaction, s’agace : « c’est génial d’avoir du contenu disponible facilement et gratuitement. Dans le cas de ce compte, le contenu est intelligent. Mais ce n’est malheureusement pas le cas de tous les comptes de parents autoproclamés experts et qui pour certains racontent n’importe quoi au mépris des avancées scientifiques et du respect du contradictoire. Et nous, journalistes, on rame pour faire passer de l’info sourcée et documentée auprès du public. »

En pleine ébullition, le secteur de l’influence déborde très régulièrement. Au même titre que les acteurs de la publicité, les influenceurs doivent respecter des règles, comme indiquer si la publication est sponsorisée. Or la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF) a relevé lors de contrôles auprès d’agences et d’influenceurs que 60% d’entre eux sont « en anomalie ». Certains allant jusqu’à promouvoir des produits risqués. Le 24 mars dernier, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire, encadré des députés Stéphane Vojetta (Renaissance) et Arthur Delaporte (PS), présentait à la presse la proposition de loi visant à préciser ces règles. Parmi elles, l’inscription du statut « d’activité d’influence commerciale » dans le code de la consommation, l’imposition de la signature de contrats, l’obligation d’indiquer quand des filtres ont été utilisés sur les photos ou les vidéos, ou encore la transposition aux réseaux sociaux des règles de la publicité s’appliquant aux médias. Et l’interdiction de la promotion des actifs numériques, des placements financiers et de la chirurgie esthétique par les influenceurs. Ce qui a fait dire à Owen Simonin, influenceur cryptomonnaies estimant son activité menacée, que celle-ci relevait de la « presse promotionnelle ».

Le sens de l’influence

De son côté, l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) propose aux acteurs du secteur de passer un certificat « influence responsable ». « C’est un peu comme passer le code de la route », explique Carine Fernandez, présidente de la toute jeune Union des métiers de l’influence et des créateurs de contenu (UMICC). « Les influenceurs sont souvent des gens lambda qui se retrouvent à promouvoir des choses. Les informer sur les règles, leurs droits et devoirs leur permet tout simplement de bien travailler. » Pour Carine Fernandez, la professionnalisation du secteur doit conduire l’ensemble de la chaîne à prendre ses responsabilités, depuis la plateforme jusqu’à l’influenceur en passant par les agences, les marques et les écoles.

Malgré cette montée en puissance de l’influence marketing, tous les acteurs interviewés considèrent que celle-ci complète, et non remplace, les relations presse plus classiques. Laurence Gosse, de l’ISCOM, assure que « les chefs d’entreprise veulent toujours avoir leur portrait dans Les Échos, veulent toujours que leur boîte passe à la télé ». Selon elle, « les médias traditionnels restent importants, il faut simplement prendre en compte le fait que les entreprises doivent désormais s’adresser à une multitude d’acteurs sur une multitude de canaux. »

Jean-Maurice Galicy, à la tête de l’agence Dakota communication, ne va pas lui donner tort. Dans le milieu de la com depuis près de vingt-cinq ans, il veut, en puriste, en revenir aux origines des termes communication et influence. Ses clients, des entreprises, évoluent sur des domaines pointus. Il donne un exemple : « J’accompagne un patron dans le secteur de l’éolien. Si je fais des relations média à la papa, je vais toucher quelques journalistes environnement mais pas plus. Il faut donc aller au-delà en apportant quelque chose au débat car ce patron est une personne sachante et légitime. » Dakota communication pousse donc ses clients à « devenir influents sur leur secteur ». Pour cela, pas de secret : media training. « J’explique à mes clients que ce qu’ils racontent habituellement en une heure, il faut qu’ils soient capables de le présenter en trente secondes ou en deux phrases sur les réseaux. Et il faut qu’ils aient un combat, une grille de lecture qui leur permette de réagir rapidement sur un sujet d’actualité. » Jean-Maurice Galicy le revendique : « Je transforme mes clients en influenceurs, au sens d’influence, et pas influenceur au sens d’opportuniste ou de bouffon. »

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