Une application gratuite de retouche de photos et un partage simplifié sur de multiples plateformes (Facebook, Flickr, Twitter, Tumblr, Foursquare et des adresses électroniques). Voici l’idée de départ de Kevin Systrom et Mike Krieger, deux jeunes ingénieurs (respectivement nés en 1984 et 1986) diplômés de Stanford University aux États-Unis, lorsqu’ils ont lancé Instagram le 6 octobre 2010.
À l’époque, on trouve sur le Web des sites de stockage de photos en ligne comme Picasa ou Flickr (propriété de Yahoo! depuis 2005), ce dernier étant plutôt plébiscité par les semi-professionnels. Côté mobile, des applications de partage de photographies existent comme Hipstamatic (lancé par Apple) qui connaît déjà une petite notoriété mais ne brille par sa facilité d’utilisation. Or c’est justement la simplicité et la rapidité d’Instagram qui vont faire mouche. L’application, disponible uniquement sous iOS(1) dame rapidement le pion à ses concurrents en s’appropriant des techniques utilisées par les professionnels.
Car l’application ne serait rien sans les 19 filtres(2)
En 3 mois, Instagram comptait déjà 1 million d’utilisateurs.En décembre 2011, Apple lui décerne le prix de « iPhone App of the Year » (application iPhone de l’année). En avril 2012, l’application est également proposée sous Android, ce qui lui permet de poursuivre son ascension sur le même rythme. En septembre 2013, Instagram revendique 150 millions d’utilisateurs actifs, 45 millions de photos publiées quotidiennement et 16 milliards de photos partagées depuis sa création(3).
Le succès d’Instagram est entièrement corrélé à l’essor des smartphones et aux nouveaux usages qu’ils induisent. Au premier trimestre 2013, il s’en est vendu plus de 216 millions dans le monde. La génération des digital natives, férue de réseaux sociaux, impose une nouvelle forme d’expression basée sur l’instantané et le visuel. En 2013, plus de 80 % des mobinautes prennent des photos avec leur mobile. La photo remplace soudain le message électronique ou le SMS pour dire « je suis là ».
Petit à petit, chaque moment du quotidien est partagé : petit déjeuner, dernier achat mode, exposition tout juste visitée, vacances au bord de la mer… Certes passée à la moulinette du filtre, la vie privée de cette communauté grandissante est paradoxalement exposée sans filtre dans ses moindres détails. Le pendant de cette exposition permanente est une certaine uniformisation esthétique qui n’échappe pas à la standardisation. Cette recherche esthétique amène, en outre, une forme de scénarisation du quotidien allant jusqu’à provoquer quelques dérives. Ainsi des restaurateurs new yorkais, excédés de voir les clients dégainer leurs smartphones à tout bout de champs (le phénomène porte même un nom : foodstagram) ont interdit l’usage d’Instagram dans leurs établissements.
Le succès rapide d’Instagram, et ce zapping frénétique d’un réseau social à l’autre, a accéléré le rythme d’introduction de nouvelles habitudes dans notre quotidien. Le vocabulaire se modifie (instagrammer entre dans le langage des utilisateurs), les hashtags deviennent un nouveau tic de langage, les lolcats envahissent les réseaux sociaux… Petit à petit ces nouveaux usages se professionnalisent : Barack Obama, après Twitter, utilise Instagram pour sa campagne présidentielle, le New York Times publie une photo Instagram en couverture, les « peoples » s’y ruent pour faire leur promotion (Rihanna, Madonna). Instagram n’est plus simplement un environnement de loisir : y être c’est aussi contrôler son image.
Enfin, la force d’Instagram réside dans la constitution d’une communauté très active. Au départ simple plateforme de partage de photos avec des inconnus, l’application devient un réseau puissant avec ses propres codes (peu de politique, un optimisme de rigueur affiché en toutes circonstances, peu de critiques frontales, etc.) et ses amitiés virtuelles ou réelles qui se multiplient, like (aiment) les photos des autres, commentent voire se mobilisent autour d’événements.
En août 2012, ce petit monde Instagram se met à trembler : la société annonce son rachat par Facebook pour un milliard de dollars. Jusqu’alors, les utilisateurs d’Instagram étaient plutôt fiers d’avoir investi un réseau indépendant avec une dose de créativité et surtout d’avoir su résister à l’omniprésence de Facebook. Les voilà rattrapés par ce réseau auquel personne ne semble pouvoir échapper. Le rachat d’Instagram par Facebook provoque le scepticisme des observateurs : pourquoi le géant Facebook a-t-il déboursé un milliard de dollars pour acquérir une start-up, qui certes connaît un succès certain, mais ne dispose pour le moment d’aucun modèle économique ?
Facebook est la plus grande banque d’images au monde.Parce que la mobilité est le point faible de Facebook dont la majorité des partages (musique, liens vidéos…) se fait principalement depuis un poste fixe et qui peine à tirer des revenus de son activité mobile. Malgré les bonnes performances d’Instagram, Facebook héberge 70 fois plus de photos que l’application ce qui en fait la plus grande banque images du monde (200 millions de photos y sont uploadées chaque jour). Dans ces conditions, il s’avère plus que nécessaire de capitaliser dessus ce qui permet de toucher (voire d’entrer littéralement dans) les mobiles des utilisateurs. De façon plus anecdotique mais peut-être pas moins sérieuse, c’est aussi l’occasion de se défaire de l’image un peu ringarde du réseau qui peine à séduire les plus jeunes.
Si le rachat d’Instagram par Facebook, en provoquant la colère des utilisateurs, a permis à quelques applications de partage de photos (comme Starmatic ou Spnapseed) de connaître leur heure de gloire, elle a surtout fait réagir tout un secteur autour de l’usage social des photos. Soudain, le potentiel du partage d’images est devenu une évidence et donc un nouvel enjeu pour les acteurs du numérique. Certes la bataille autour d’Instagram était perdue mais il restait tout de même quelques bonnes cartes à jouer pour les concurrents de Facebook.
Depuis le 2 mars, les contenus des médias d’influence russe RT (ex-Russia Today) et Sputnik sont officiellement suspendus dans l’Union européenne. Retour sur la nature de cette décision et ses conséquences avec le chercheur Maxime Audinet.