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Internet et le règne du « fake »

Dans Virtual Unreality, le journaliste Charles Seife explique comment le numérique a permis à n’importe qui de prendre en otage l’information et de la manipuler.

Temps de lecture : 4 min

Internet est sûrement la plus grande révolution technologique de ces dernières décennies. Grâce à lui, le monde entier (ou presque) peut accéder à l’information. Mais si Internet a, en un sens, élevé les consciences, il autorise aussi n’importe qui à travestir l’information et donc à manipuler la vérité. C’est contre cette dérive que Charles Seife décide de lutter dans Virtual Unreality, afin d’aider son lecteur à discerner le vrai du faux sur le web.

Internet, meilleur allié de la manipulation

Reprenant les principes scientifiques d’une pandémie à l’échelle mondiale, Charles Seife explique que la propagation d’une fausse information, comme pour un virus, repose sur trois principes : la transmissibilité, la persistance et la connectivité. La transmissibilité consiste en la facilité du virus à passer d’un patient à l’autre, la persistance définit le temps de contagion d'une personne, et la connectivité évalue le nombre de personnes potentiellement contaminables par un porteur. Après la transmission orale, l’écriture, l’imprimerie, le télégraphe, le téléphone… le numérique a redéfini ces critères en bouleversant la manière dont se diffuse une information. Alors qu’un virus se transmet de personne à personne, Internet permet à chacun de diffuser une information directement à des milliers de gens, en un clic. L’information persiste en ligne, elle se décuple en moins d’une seconde, et peut atteindre 2,5 milliards d’internautes à travers le monde. « Pour le meilleur comme pour le pire, l’information numérique est devenue la chose la plus contagieuse de la planète », explique l’auteur avant de dire qu’une mauvaise information est une « maladie qui nous affecte tous […] et qu’il n’y a pas de vaccin. » Wikipédia est un exemple parfait de persistance. Ses articles, modifiables par n’importe qui, font bien souvent office de source. Cela pose problème quand on sait que beaucoup d’entreprises ou de personnalités font changer leur propre page Wikipédia par leurs communicants. Depuis peu, un compte Twitter nommé @CongressEdits fait la chasse aux modifications des pages dédiées aux députés américains (les « congressmen »), souvent réalisées par leur propre équipe. Ce qui rend la position de Wikipédia compliquée, c’est que beaucoup de gens n’ont pas le recul nécessaire sur ce qu’ils y lisent. Seife explique qu’à l’ère digitale, l’autorité est redéfinie, et les internautes peuvent décider qui croire ou non. Et parfois, celui qu’on décide de croire sur Internet n’existe même pas.

Un ami qui vous veut du mal

En 2011, alors que le soulèvement débutait en Syrie, la jeune Amina Arraf décrivait son quotidien difficile sur son blog Gay Girl in Damascus. Des médias et des internautes du monde entier s’en sont vite émus. Seulement voilà, si personne n’a jamais vu Amina en vrai, c’est que tout était faux. Amina s’appelait en fait Tom MacMaster, un étudiant d’Edimbourg. Frustré de ne pas être pris au sérieux sur Internet pour son opinion sur la révolution syrienne, il a créé de toute pièce l’identité numérique d’Amina, pour donner à ses idées une crédibilité. L’ère digitale « a rendu plus facile la création et l’entretien d’une marionnette et, par conséquent, a augmenté notre susceptibilité à être manipulé par de fausses personnes » explique Charles Seife. Il est impossible de rencontrer la plupart des gens avec qui nous interagissons en ligne. Nous créons des avatars et leur donnons l’identité que nous voulons, et ceux-ci ne correspondent pas tout à fait à qui nous sommes réellement. Charles Seife définit plusieurs types d’usurpateurs, mais dans la plupart des cas, l’objectif reste le même : gagner en autorité et en attention. L’autre versant de la problématique autour des fausses identités sur Internet réside dans l’utilisation mercantile de l’intelligence artificielle, toujours plus adaptée à celle de l’Homme. Au-delà des fausses jeunes femmes sur les sites de rencontres et les arnaques visant à soutirer de l’argent, les « bots » prennent de plus en plus d’importance. Ces petits programmes algorithmiques n’ont pas vocation à imiter l’Homme, mais à feindre un effet de masse. « Ce sont comme des marionnettes sous stéroïdes », explique le journaliste. Créés en masse, ils peuvent être achetés pour diverses raisons, la plupart du temps malhonnêtes. Et là encore, des politiques en abusent. Ce fût le cas en 2011, lorsque le candidat américain à la primaire républicaine Newt Gingrich revendiqua 1,3 million de « followers » sur Twitter, soit « six fois plus que tous les autres candidats réunis. » Il aura fallu qu’un de ses anciens conseillers se confie pour que le pot-aux-roses soit dévoilé : les followers avaient été achetés. Au-delà du ridicule de la manœuvre, cette histoire révèle comment n’importe qui peut tenter d’améliorer son image et sa crédibilité en achetant l’adhésion d’une masse fictive pour une poignée de dollars. Et face à ce genre de contrefaçons de l’information, les journalistes ont de plus en plus de mal à distinguer le vrai du faux.

Les journalistes, victimes de la démocratie numérique

Jusque-là, avant l’ère numérique, le journaliste faisait figure de référence pour les citoyens. Il était leur seul relais avec les événements qui les entourent, le seul capable (avec la propagande) de façonner leur vision du monde. Là encore, tout a basculé avec la démocratisation de l’information lancée avec Internet. Le torrent d’information déferlant sur Internet, aussi appelé « infobésité », a remis en cause le rôle du journaliste, et rend difficile la recherche d’informations vérifiées. Car désormais le lecteur choisit ses sources : sites d’informations, blogs, réseaux sociaux, forums… Autant de chance de tomber sur une fausse information selon Charles Seife, qui explique que notre opinion « dépend de notre capacité à différencier les bonnes des mauvaises sources. » Pire encore, chacun peut trouver son audience et diffuser ses idées, aussi mauvaises et fausses soient-elles. Un seul tweet peut lancer une rumeur. Une simple photo peut-être truquée avec quelques compétences sur Photoshop. Même les scientifiques peuvent, par souci de résultats probants, modifier leurs données originales. Et face à cela, le journaliste a souvent du mal à jouer les garde-fous. Il arrive même qu’il succombe lui aussi aux vices d’Internet. Un rapide copié-collé vous permet de répliquer à l’identique une information, et ce gratuitement. C’est presque devenu « acceptable dans l’industrie » de l’information, explique Charles Seife. Ainsi, en juillet dernier, le site Buzzfeed a dû licencier un de ses journalistes politiques qui avait plagié une quarantaine de passages dans ses articles.
Certes, Internet a libéré l’information, la rendant accessible à tous, et gratuitement. Mais comme le précise l’auteur, « cela n’a pas fait que changer notre façon d’obtenir des informations, cela a changé ce que sont les informations. » Les journalistes, sur qui s’appuyaient les gens pour se tenir informés ont désormais eux aussi du mal à distinguer le vrai du faux. « Hoax » et autres « fakes » sont monnaie courante, et aucun média n’est épargné. Charles Seife estime que désormais, chacun, et pas seulement les journalistes, devra vérifier lui même ce qui défile sur son écran. Car aujourd’hui, comme le précise l’auteur, nous devons apprendre à voir au travers de « la brume d’irréalité virtuelle » qui s’installe et prend possession d’Internet.

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