Vers le milliard de téléchargements : une route balisée par les données
La métrique a donc progressivement été élaborée par des créateurs de jeux , mais aussi par de nouveaux intermédiaires offrant des services spécialisés d’analyse et de traitement de données, en particulier pour les jeux sur mobile tels qu’AppAnnie ou Swerve. Le chiffre, impressionnant, du milliard de téléchargements est souvent cité, par exemple dans le cas d’Angry Birds qui l’a atteint en mai 2012, soit trois ans après son lancement, mais le lien entre ce chiffre et le recours aux données n’est pas suffisamment explicité.
Pour la conception des jeux nous avons retenu les exemples de Zynga et de Storm8, deux sociétés américaines qui ont toutes deux atteint ce seuil.
Zynga, société de San Francisco, créée en 2007, développe, commercialise et exploite des jeux de réseaux sociaux sur Internet, les sites de réseaux sociaux et sur mobiles. Lors de son introduction en bourse en 2011, la société soulignait, dans les documents émis à cette occasion, que les jeux «
devaient être gouvernés par les données » (
data driven). Dans ces documents la société résumait son approche en liant strictement la gratuité des jeux et le recours aux données, définissant sa philosophe opérationnelle de la façon suivante, soulignant au passage la dimension quantitative des interactions :
- les jeux doivent être sociaux, les joueurs de Zynga ont créé 4 milliards de connections, les 54 millions de joueurs actifs au quotidien interagissent 450 millions de fois par jour.
- les jeux doivent être gratuits car sociaux et accessibles à tous, mais ils deviennent aussi plus profitables en raison du modèle économique gérant de nouvelles formes de relations avec les clients : « free first, high satisfaction, pay optional » [NDLR : la gratuité d’abord, un haut niveau de satisfaction, un paiement facultatif]. Le modèle réconcilie la valeur créée pour les actionnaires avec l’expérience positive du joueur.
- les jeux doivent être gouvernés pas les données : la culture de Zynga mêle la création et l’analytique. Les jeux et services sont développés au quotidien sur la base du recours à la métrique.
La société a effectivement investi dans le Big Data et technologies associées afin de pouvoir faire face à des niveaux de demande de données très élevés : en un jour d’exploitation ordinaire Zynga fournit un PetaByte de contenus. La société a mis en place un serveur flexible de cloud qui peut ajouter jusqu’à 100 serveurs de stockage en l’espace de 24 heures. Les services publics et privés de cloud de Zynga sont connus comme parmi les plus importants services hybrides.
Zynga s’est ainsi construit autour d’une culture gouvernée par les données. Comme le note Mark van Rijmenam :
« At Zynga everything revolves around metrics ». La société a séparé ses analystes de ses créateurs. Les premiers sont censés définir les questions à poser, les seconds ajuster le jeu aux réponses. L’exemple de l’évolution de l’un des jeux phares de la société
Farmville est intéressant à suivre sur ce plan. En effet, dans la première version du jeu, les animaux n’avaient qu’une fonction décorative. Les données recueillies montrèrent que de plus en plus de joueurs interagissaient avec les animaux, et que, de surcroît, ils achetaient des animaux virtuels. En conséquence, dans
Farmville 2.0, les animaux prirent une place plus centrale.
Cet exemple de
Farmville révèle à quel point, Zynga à travers le recours aux
Big Data mêle intiment la conception du jeu et son business model,
comme l’a noté Atelier Paribas. La société génère ses recettes à travers la vente des biens virtuels mais aussi de la publicité (bannière, vidéo et placement de produits), les données, comme indiqué, jouant un rôle important pour la collecte de la publicité. Elle tire parti de ce traitement des données et des économies d’échelle pour effectuer des ventes croisées de ses produits, tout en améliorant constamment les jeux existants, en en concevant de nouveaux, confortant de ce fait la marque Zynga.
La société introduit délibérément des temps d’attente et mesure l’ennui !
Les joueurs ont deux raisons principales pour acheter des biens virtuels : afin de progresser d’un niveau à l’autre, et pour améliorer leur prestation dans le jeu. Pascal-Emmanuel Gobry note d’ailleurs
que la société introduit délibérément des temps d’attente et de plus mesure l’ennui ! Une pratique courante pour ce type de jeux et qui vise à rendre les joueurs impatients. Ainsi un joueur de
Farmville peut soit attendre sa récolte, et ne reprendre le jeu que quelques heures plus tard, soit payer pour continuer à jouer. Ces achats impulsifs présupposent aussi une gestion des données financières du joueur qui paie les jeux Zynga à partir de crédits Facebook. Une fois le joueur enregistré le processus est aisé. La commande se déroule en quelques clics pour « une poignée de dollars ».
L’histoire de Storm 8 recoupe partiellement celle de Zynga en raison également du lien avec Facebook. En effet, la société californienne, a été créée, en 2009, par des ingénieurs venant de Facebook. Toutefois, si Storm8 partage avec Zynga le modèle d’affaires de la gratuité, sa stratégie de développement s’en écarte fortement. Storm8 a décidé de se concentrer sur le développement d’un portefeuille ample de jeux (quarante titres), plutôt que de miser sur un hit comme King avec
Candy Crush, Zynga avec
FarmVille, et Rovio avec
Angry Birds.
Son portefeuille inclut un large éventail de jeux depuis les jeux occasionnels d’arcade comme
Bubble Mania, les jeux sociaux comme
Dragon Story, jusqu’aux MMORPG (
World War). Elle décline ses jeux sous trois marques : TeamLava, Shark Party et FireMocha. Elle connecte
un réseau de 400 millions de terminaux mobiles dans le monde, 50 millions de clients jouent quotidiennement et elle a atteint le milliard de téléchargements pour ses jeux.
Comme Zynga,
Storm8 s’appuie sur l’analyse des données, l’analyse des interactions avec les joueurs. Son choix stratégique d’un modèle en réseau le conduit à utiliser différemment les données sur le marché des apps mobiles, afin de concevoir une cartographie de ses produits les comparant aux produits concurrents afin de mieux les positionner et de donner la priorité à certains éléments du jeu. La société a l’ambition de devenir le plus important réseau de jeux vidéo du monde. Par ailleurs, à la différence de Zynga qui a fortement investi dans le
big data, elle s’appuie avant tout sur des prestataires externes, telle AppAnnie pour analyser ses données.