Kommersant : un quotidien à l'occidentale dans la Russie postsoviétique

Quotidien économique de référence dans la Russie contemporaine, Kommersant s’est transformé au fil de l’actualité tumultueuse du pays, et constitue aujourd’hui un refuge fragile pour la liberté d’expression.
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L’histoire de Kommersant (le « commerçant », en russe), du journal et de la maison d’édition éponyme, est révélatrice de l’évolution qu’ont connue les médias russes de la fin de la guerre froide à la période actuelle. De jouet des oligarques dans les années 1990, ils sont devenus la « chasse-gardée » du Kremlin dans la Russie de Poutine-Medvedev. Progressivement, la communauté journalistique a été assujettie au pouvoir politique qui n’a cessé au cours de la dernière décennie de rogner sur la liberté d’expression. Aujourd’hui, seules quelques voix discordantes subsistent, stations de radio et journaux, dans un contexte où le Kremlin a fermement établi son contrôle sur la télévision nationale, le seul média de masse du pays. Alors que la contestation populaire est montée en Russie après les élections législatives de décembre 2011, un nouveau durcissement de la politique envers les derniers médias indépendants est à craindre.
 
Parmi ces rares exceptions libres du paysage médiatique, Kommersant fait office de garant historique d’une certaine indépendance de la presse. Périodique économique de référence, Kommersant a été l’un des premiers journaux à émerger du tumulte de la glasnost’ et de la perestroïka. Par la suite, il s’est affirmé comme un quotidien sérieux qui a su garder sa liberté de ton, malgré un financement qui l’a progressivement rendu dépendant de ses différents propriétaires. Aujourd’hui, le quotidien Kommersant (et ses différents journaux dérivés) est l’un des derniers bastions d’un journalisme russe à bout de souffle et largement déconsidéré au sein de la population, un signe symptomatique du marasme dans lequel se trouve la profession(1). Cependant, la réalité est désormais telle que même le prestige de Kommersant n’est plus suffisant pour le protéger des pressions des autorités.

Un journal entre tradition russe et modernité occidentale

En 1987-88, un ancien correspondant de l’hebdomadaire illustré Ogoniek (« la petite lumière » en russe), Vladimir Iakovlev, décide de fonder le service d’informations Fakt (« le fait » en russe), la première agence d’information non-gouvernementale de l’Union soviétique(2). Après avoir sécurisé l’appui de l’un des premiers millionnaires soviétiques, Artëm Tarasov, la publication de l’hebdomadaire Kommersant est lancée en décembre 1989 avec Vladimir Iakovlev comme premier rédacteur en chef. Le nouveau journal se positionne comme un périodique destiné prioritairement au monde des affaires, à la nouvelle classe capitaliste qui émerge des ruines de l’URSS. Pour se différencier, il se revendique rapidement d’une double filiation.
 
En premier lieu, le choix est fait de reprendre le nom de l’un des journaux d’affaires publiés du temps de la Russie tsariste pour marquer une rupture avec l’héritage soviétique. Après de brèves tergiversations, le journal Kommersant, édité initialement de 1909 à 1917, est choisi pour une renaissance. Encore aujourd’hui, fidèle à cette mythologie, le journal revendique 1909 comme sa date de création alors que 1990 n’est vue que comme l’année où sa publication a repris(3). Pour renforcer le mimétisme, le logo choisi, le « ? », que l’on retrouve en russe à la fin du nom du périodique (« ??????????? »), est une lettre de l’alphabet cyrillique appelée « signe dur » en russe moderne. Signe servant à la séparation de certaines syllabes dans la langue moderne, son utilisation après des consonnes en fin de mots a été abandonnée après la réforme orthographique de 1918 qui a suivi la prise de pouvoir des Bolcheviks. Son utilisation comme logo, ainsi que dans l’écriture du titre du journal, représente une autre manière de souligner une continuité avec la période pré-soviétique.
 
Ces différentes astuces de forme renvoient à un même objectif. L’idée est de se présenter comme un périodique qui s’adresse à une classe sociale nouvelle, propre à la Russie de 1991. Cette dernière apparaît rapidement moins intéressée à discuter de l’implosion de l’URSS où de la chute de l’idéologie communiste qu’à obtenir des moyens pour prospérer dans la nouvelle Russie capitaliste. Comme le résume le site du journal : « pour ‘Kommersant’, c’était comme s’il n’y avait pas d’autorités soviétiques. Il [le journal] s’adressait à un nouveau groupe social que les autorités n’intéressaient que d’une seule manière, aux premiers entrepreneurs qui se demandaient seulement comment faire pour que celles-ci ne les gênent pas dans leur travail. Le journal ne leur &e acute;tait nécessaire que comme un instrument pratique – comme le bulletin précis des nouvelles d’affaires ». L’objectif du nouveau périodique économique est donc double. D’un côté, Kommersant cherche à être utile à cet homo œconomicus soviético-russe en lui expliquant les règles du monde capitaliste dans lequel il venait d’être violemment projeté. D’un autre, la popularité immédiate du journal s’explique aussi par le fait que celui-ci vendait du « rêve » dans un pays en crise économique. Dans un entretien pour le film documentaire réalisé par Leonid Parfyonov, Vladimir Iakovlev résume avec franchise cette idée. Pour lui, « la qualité la plus importante d’un journal ce n’est pas l’information ou l’émotion, même si cela fait partie de l’histoire, c’est le sentiment d’appartenance. Lorsque tu prends le journal, tu ressens qu’à travers lui tu appartiens à un groupe social déterminé».

 
En second lieu, le nouveau périodique d’affaires se revendique d’une tradition journalistique occidentale, aussi bien dans la maquette que dans l’organisation du travail de la rédaction. Il se veut être une sorte de New York Times russe, sans que personne n’ait réellement une idée claire de ce que cela pouvait impliquer. D’après le récit qu’en fait Kommersant lui-même, le journal a été, par exemple, le premier à introduire en Russie une articulation des articles inspirée du modèle occidental de la « pyramide inversée », proposant un chapeau introductif résumant l’article avant chaque développement. Dans le style, Kommersant est un hebdomadaire qui a témoigné d’une volonté de limiter au maximum les jugements et les digressions dans les publications, se limitant surtout aux faits, avec des renvois vers la source de l’information, et aux citations. Le point commun de ces différents aspects de forme était surtout de rendre les articles le plus informationnel possible. Cet aspect était aussi répercuté dans les différents titres qui se devaient de transmettre l’idée générale de l’article, souvent ironiquement, plutôt que d’être de simples en-têtes impersonnels. Il s’agit d’un point auquel la première rédaction de l’hebdomadaire accordait une attention particulière(4). Les lecteurs de Kommersant étaient des gens qui cherchaient finalement un journalisme d’information plus qu’un journalisme littéraire, caractéristique de la période soviétique. En point d’orgue, la marque de fabrique du nouvel hebdomadaire était l’utilisation abondante de l&rsrsquo;ironie et d’un ton détaché dans la description des évènements. Encore aujourd’hui, il s’agit d’un aspect extrêmement caractéristique des publications de Kommersant.

En 1991, au sein d’un marché de la presse en croissance rapide, Kommersant s’impose rapidement comme la référence économique. Le succès est plus qu’au rendez-vous pour l’hebdomadaire qui s’appuie en priorité sur d’importants revenus publicitaires du fait de son quasi monopole au sein du secteur de la presse économique. Partant d’un tirage initial de 40 000 exemplaires en janvier 1990, Kommersant est tiré à près de 500 000 exemplaires une année plus tard. En septembre 1992, le succès est tel qu’un quotidien, Kommersant-Daily, est lancé. Alexandre Timofeevskij, un des anciens du journal, le raconte ainsi : « le Daily de 1992 était l’histoire d’un monde qui se créait grâce aux efforts d’un seul journal. […]. Nous dessinions une vie occidentale respectable, comme la comprenaient des beaux gosses moscovites de trente ans. Il s’agissait d’une image idéalisée de l’Ouest, née dans la conscience russe rêveuse ». En novembre, l’hebdomadaire est rebaptisé Weekly et se positionne sur un créneau plus politico-analytique. En 1997, il sera renommé en Kommersant-Vlast’ (« Kommersant-pouvoir » en russe). En 1994, Kommersant devient une maison d’édition et l’expansion se poursuit puisque sont créés le mensuel « familial » Domovoj (« À la maison » en russe) en mai 1993, l’hebdomadaire d’analyse économique Kommersant-Den’gi (« Kommersant-Argent » en russe) en septembre 1993 et le mensuel Avtopilot (« Autopilote » en russe), explicitement destiné aux possesseurs de voitures étrangères, en mai 1994.

Des guerres médiatiques à l'ère Poutine : des liaisons dangereuses

Au milieu des années 1990, la maison d’édition Kommersant, toujours propriété de Iakovlev, occupe une place prépondérante au sein du paysage médiatique russe. Alors que les rédacteurs en chefs se succèdent, le quotidien garde une qualité intrinsèque et son influence politique est réelle. En 1996, au moment des élections présidentielles qui opposent le président sortant Boris Eltsine, à bout de souffle mais bénéficiant du soutien des principaux médias du pays, à son challenger communiste, Guennadi Ziouganov, la rédaction de Kommersant se lance dans une campagne de dénigrement de ce dernier, dans ce qui constitue probablement l’une des pages les plus discutables de son histoire. Fort d’un tirage de plusieurs millions d’exemplaires, un journal-pamphlet, Ne daj Bog ! (« Dieu nous en préserve ! » en russe) est publié par la maison d’édition avant les élections. Alors que le quotidien Kommersant garde lui-même une ligne plutôt équilibrée, une partie des cadres de la rédaction anime le nouvel hebdomadaire pamphlétaire qui multiple les attaques contre le candidat communiste(5). Après la réélection, le journal continue à occuper une place importante au sein de la presse russe alors même que Iakovlev se désengage progressivement de la direction quotidienne de la maison d’édition. Le quotidien est alors dirigé par le rédacteur en chef Raf Shakirov, successeur d’Alexandre Loktiev en 1997, et Léonid Miloslavskij est le directeur général de la maison d’édition.
 
La seconde moitié des années 1990 en Russie est marquée par la lutte politico-économique que se livrent les différents oligarques par groupes de médias interposés et par la crise économique de 1998 qui conduit à la dévaluation du rouble. Ces deux facteurs vont avoir un impact déterminant sur l’évolution de Kommersant. Entreprise à la santé financière longtemps exemplaire, Kommersant est durement éprouvé par la crise. Si son existence ne semble à l’époque pas menacée, les premières rumeurs concernant le fait que Iakovlev pourrait se séparer de la maison d’édition endettée commencent à circuler en 1999 au moment où se profilent en Russie de nouvelles élections présidentielles. Dans ce contexte, tout changement de propriétaire de Kommersant acquiert nécessairement une forte connotation politique et fait craindre la perte d’indépendance du journal. Nombreux sont les magnats prêts à acquérir le quotidien économique de référence, mais la vente est compliquée par le fait que Iakovlev ne peut raisonnablement céder directement Kommersant à l’un ou l’autre sans mettre en jeu sa crédibilité. En juillet 1999, Iakovlev cède la maison d’édition Kommersant à American Capital, officiellement un fonds d’investissement étranger, pour une somme avoisinant les 30-40 millions de dollars. Il justifie sa décision dans un entretien publié dans son désormais ancien quotidien, : « le fait est que je trouvais important d’effectuer la transaction de telle manière à ce que justement dans le contexte d’une année électorale, justement dans le contexte de la sérieuse lutte politique à venir, les actions de ‘Kommersant’, comme d’un journal indépendant, se trouvent en dehors de la Russie »(6).

 
Le nouveau propriétaire de Kommersant, dont un représentant accorde même un entretien au quotidien, se révèle très rapidement être une compagnie écran de Boris Berëzovski, figure politique hautement controversée. La transaction est effectuée en coopération avec le partenaire historique de Berëzovski, Badri Patarkatsichvili, qui obtient une partie des actions de la maison d’édition. En juillet 1999, au moment où Kommersant change de mains, les luttes d’influence atteignent leur paroxysme en Russie. Se développant initialement à partir d’un conflit économique, l’opposition entre les oligarques se transforme rapidement en confrontation politique. À l’été 1999, la Russie est face à une véritable guerre télévisuelle, orchestrée par des hommes qui se pensent faiseurs de rois. D’un côté, Berëzovski fait partie de la « famille », les collaborateurs proches du sortant Eltsine, et se positionne comme l’un des soutiens de Poutine, l’héritier désigné pour les présidentielles de mars 2000. Pour appuyer son candidat, le milliardaire utilise la chaîne de télévision ORT (1ère chaîne) qu’il contrôle, ainsi que d’autres médias. Face à lui, les potentiels candidats alternatifs – l’ancien Premier ministre Evgueni Primakov, le maire de Moscou Yury Luzhkov et l'homme politique Grigory Yavlinsky – sont soutenus par un autre milliardaire, Vladimir Gusinsky. Ce dernier, ancien allié lors de la présidentielle de 1996 devenu désormais opposant acharné de Berëzovski, peut s’appuyer sur son propre empire médiatique, Most-media structuré autour de la chaîne de télévision privée NTV.
 
Concernant Kommersant, Boris Berëzovski, après s’être séparé du rédacteur en chef Raf Shakirov, annonce à la rédaction que : « seuls les gens talentueux peuvent influencer la population, et les gens talentueux peuvent seulement être convaincus, mais il est interdit de les briser ». Le nouveau propriétaire promet au quotidien le maintien de son indépendance à condition que sa propre opinion soit également présente parmi celles publiées. Pourtant, l’acquisition par Berëzovski marque clairement une première politisation du quotidien et met en danger sa neutralité. La vente orchestrée à travers American Capital semble, au final, avoir été avant tout un moyen pour Iakovlev de camoufler la cession du journal à un homme d’affaire à la réputation écornée. Pour Kommersant, l’année 1999, déjà marquée par un premier gros scandale après une publication en mars sur la « non-visite » du Premier ministre Primakov aux États-Unis(7), devenait celle du début de l’incertitude(8).
 
Peu après le rachat, trois journalistes de quotidien publient un livre intitulé À la première personne, Discussions avec Vladimir Poutine. Ce dernier, après avoir été nommé Premier ministre puis être devenu Président par intérim, s’apprête à se présenter aux élections présidentielles avec le soutien de Eltsine. Clairement, il s’agit d’un livre à caractère apologétique, une manière d’humaniser le nouvel homme fort de la Russie à l’aube des élections qui devaient asseoir sa domination sur le pays. Pourtant, la lune de miel entre Berëzovski, député élu à la Douma en 1999 du parti « Russie Unie », et le nouveau Président va s’achever rapidement. En mai 2000, Berëzovski publie une lettre ouverte au Président dans Kommersant concernant son désaccord avec le dernier projet législatif. En août, la couverture par les médias de l’oligarque, dont la chaîne de télévision ORT, de la catastrophe du sous-marin Koursk va finir d’opposer les anciens alliés. À l’automne 2000, Berëzovski décide de ne pas rentrer en Russie et entame son exil à Londres, devenant l’un des opposants les plus acharnés de Vladimir Poutine. En 2001, en Russie, les nouvelles autorités entament un processus de prise de gage sur les principaux médias du pays. L’empire de Gusinsky Most-media passe sous le contrôle de Gazprom. De son côté, Berëzovski perd le contrôle de ORT et de ses principaux actifs médias, mais conserve le journal Nezavisimaja Gazeta (« Le journal indépendant » en russe). Kommersant, longtemps fier de son indépendance politique, est désormais devenu l’un des derniers moyens d’influence d’un milliardaire réfugié politique.
 
Le rachat du journal n’a évidemment pas renforcé son indépendance, mais tout n’a pas été aussi sombre qu’il y paraît pour Kommersant. En août 1999, Andreij Vassiliev, un ancien de la maison, a pris en charge le poste de rédacteur en chef du quotidien. Au moment de son entrée en fonction, il est parvenu à passer un deal avec Berëzovski concernant l’indépendance du quotidien, refusant de transformer Kommersant en « gazette politisée ». Cet accord a été maintenu malgré le passage de l’oligarque dans l’opposition à Vladimir Poutine. Dans les années suivantes, la manifestation la plus claire de l’indépendance de la ligne éditoriale de Kommersant a été le refus par le quotidien de publier les déclarations de son patron en tant qu’articles à part entière. Les prises de position de Berëzovski ont ainsi été publiées dans les espaces dédiés à la publicité que ce dernier devaient acheter comme n’importe quel client malgré le fait qu’il était propriétaire du journal. D’après Vassiliev, l’objectif était double. Il s’agissait aussi bien d’un moyen de distancier le quotidien des opinions politiques de son patron que de le prémunir de potentielles pressions des autorités.
 
Malgré la perte de son indépendance financière et certains scandales qui ont touchés le quotidien, notamment celui qui a amené au retentissant procès avec Alpha-Bank(9) en 2004, Kommersant est parvenu à conserver sa neutralité et sa qualité dans la première moitié de la décennie 2000. La maison d’édition a même continué à se développer puisqu’un journal pour « jeunes », MolotOK, a été lancé en 1999(10). Un supplément spécial Kommersant Weekend a commencé à être publié en 2000 et un supplément annuel, Kommersant. Pervyj. Rating, a été inauguré en 2004 en collaboration avec la première chaîne étatique du pays. De fait, le quotidien s’est imposé comme le plus influent des médias papiers dans la Russie de Vladimir Poutine alors que simultanément les autorités ont consolidé leur contrôle des principaux moyens d’information du pays. À la différence des beaucoup d’autres médias, Kommersant est parvenu, au moins, à rester financièrement indépendant de l’État. Les choses ont seulement commencé à évoluer au milieu de la décennie, obligeant finalement le quotidien emblématique à rentrer dans le rang.

La fin de l'exception Kommersant

En juin 2005, Berëzovski décide de remplacer le rédacteur en chef de Kommersant. Vladislav Borodulin, auteur à l’époque de l’article sur Primakov, prend en charge le quotidien alors que Vassiliev est transféré à la direction du nouveau Kommersant-Ukraine, lancé après la « révolution orange ». Parallèlement, Berëzovski décide de promouvoir l’un de ses proches, Dem’jan Kudriavtsev, au poste de directeur général de la maison d’édition. Selon certaines sources, cette réorganisation administrative s’accompagne du départ d’un certain nombre de journalistes. En parallèle, les rumeurs sur la possibilité d’une cession de Kommersant s’intensifient. A posteriori, cette série de changements a effectivement ouvert la voie à une période de troubles et d’instabilité au sein de la maison d’édition, sublimée par la violence grandissante de l’opposition entre l’oligarque en exil et le Kremlin. En février 2006, Berëzovski entreprend finalement la vente de la maison d’édition, accompagnée d’une série d’autres actifs médias, à son partenaire Badri Patarkatsichvili pour un prix non communiqué. À proprement parler, toute la transaction ressemble plus à une restructuration qu’à un véritable changement de propriétaire. Les deux magnats sont depuis longtemps en affaires et Patarkatsichvili était déjà propriétaire d’une partie des actions de Kommersant. Alors que se profilent les élections parlementaires de décembre 2007 et les présidentielles de 2008, cette évolution est d’abord perçue comme un moyen pour Berëzovski de délivrer le quotidien de son encombrante image et de prévenir les pressions potentielles de la part du pouvoir. L’objectif sous-jacent semble être aussi de ménager au quotidien une marge de manœuvre plus large pour critiquer les autorités à l’approche des échéances électorales(11). Ces raisons ne sont pas sans rappeler celles invoquées pour expliquer le premier changement de mains de la maison d’édition. De manière surprenante, la suite de l’histoire va aussi furieusement rappeler les événements de 1999.
 
Dès 2004, de nombreuses rumeurs ont circulé concernant la possibilité d’un rachat de la maison d’édition par un propriétaire plus loyal au Kremlin. Après l’acquisition de Kommersant par Patarkatsichvili, ces informations ont été relayées avec encore plus d’insistance dans les médias russes. En avril 2006, Dem’jan Kudriavtsev a admis qu’un intérêt prononcé pour acquérir le journal avait été exprimé par plusieurs structures étatiques et par des hommes d’affaires proches du pouvoir. Le directeur général est même allé jusqu’à ouvrir la porte à cette possibilité en notant de manière sibylline qu’il ne « fallait jamais dire jamais » tout en accentuant l’idée que lui-même « ne croyait pas trop » à une revente. Pourtant, en août 2006, la maison d’édition Kommersant a changé une nouvelle fois de propriétaire pour passer sous le contrôle de l’homme d’affaires Alisher Ousmanov. Avant cela des négociations avancées ont été menées avec Gazprom-média sans qu’un accord soit trouvé sur le prix, la direction du groupe se refusant à aller au-delà de son offre de 150 millions de dollars(12). De son côté, Ousmanov n’a semble-t-il pas hésité à racheter Kommersant à un prix très supérieur à celui du marché. D’après le nouveau propriétaire, la maison d’édition lui a coûté près de 200 millions de dollars. D’autres médias ont plutôt relayé le chiffre de 300 millions de dollars. Au-delà du prix, l’essentiel est que ce dernier rachat a définitivement mis à mal l’indépendance de Kommersant.
 
Officiellement, le nouveau propriétaire a acquis le journal sur ses fonds propres, indépendamment de ses autres activités. Il est néanmoins évident que la transaction possède une forte connotation politique. Ousmanov n’est pas un patron comme les autres : multimilliardaire et copropriétaire de l’importante compagnie d’extraction Metalloinvest, il est surtout le directeur général de la compagnie Gazprom Invest Holding, rattachée à la compagnie-mère Gazprom(13)(14). Le passage du plus important quotidien économique du pays sous le contrôle d’un homme aussi lié aux structures étatiques a logiquement suscité des appréhensions. Pour expliquer la transaction, Ousmanov a mis en avant deux raisons principales. Pour lui, l’acquisition de Kommersant représente aussi bien l’obtention d’un « actif de prestige » qu’un investissement financier à rentabiliser. Comme tous ses prédécesseurs, Ousmanov promet en tout cas de ne pas s’immiscer dans la politique rédactionnelle des différentes publications de la maison d’édition, mais souligne dans un entretien que, personnellement, il ne voit pas de problèmes avec la liberté d’expression en Russie. À l’automne 2006, l’une de ses premières décisions est de remettre Vassiliev aux commandes du quotidien.
 
Sous la direction de son nouveau patron, la maison d’édition continue à se développer. En septembre 2006, le journal Kommersant Katalog commence à être publié. En 2007, Ousmanov décide de restructurer les différents actifs liés à Kommersant pour créer Kommersant Holding qui possède désormais 100 % des actions de la maison d’édition. Par la suite, d’autres médias sont entrés dans cette structure. En 2007, le journal Sekret Firmy (« le secret de la firme » en russe) est racheté par la maison d’édition. En mai 2009, le journal Ogoniek est également intégré à celle-ci. Aujourd’hui, le groupe possède également, directement ou par l’intermédiaire de la maison d’édition, les journaux Citizen K. (version russe), Kommersant-Ukraine et les différentes éditions régionales du quotidien Kommersant, le portail Internet Gazeta.ru, la radio Kommersant FM et la chaîne Kommersant TV. De fait, il s’agit désormais de l’un des plus importants groupes médiatiques russes. En 2008, le quotidien a même obtenu, suite à un appel d’offres et un procès, le droit de publier les annonces de cessation de paiements, privilège rentable jusque là réservé à Rossijskaia Gazeta, le journal officiel du gouvernement de la Fédération de Russie. Financièrement, après des pertes de près de 1,75 millions de dollars en 2009, la maison d’édition Kommersant est parvenue à générer un profit de 3,93 millions de dollars en 2010(15). Si le groupe possède encore de nombreuses dettes, ces dernières ne devraient raisonnablement pas être un problème pour son riche propriétaire.Plus que jamais, Kommersant est donc aujourd’hui solidement établi sur le marché des médias.

 
Le revers de la médaille a été que le journal a perdu de son indépendance. À la suite de changements successifs de propriétaires, Kommersant s’est retrouvé en la propriété d’un homme dont toutes les affaires et la position en Russie sont facteur de sa loyauté aux autorités. Pour Kommersant, cela représente une plus grande vulnérabilité que Berëzovski a d’ailleurs souligné lors d’un entretien : « Malheureusement, je suis certain que le Kremlin possède beaucoup plus d’influence sur Alisher Ousmanov que sur moi, donc cela peut et va, sans doute, se répercuter naturellement sur l’indépendance de ‘Kommersant’ ». En prenant le contrôle de la maison d’édition, Alisher Ousmanov l’a fait passer dans une autre catégorie de médias. L’objectif n’a jamais été de faire de Kommersant un journal pro-gouvernemental, ni même de le soumettre à une quelconque censure systématique. L’idée est plutôt celle de la mise sous tutelle par un procédé qui n’est pas sans rappeler ce qui s’est produit avec la radio Echo Moskvy, radio indépendante et reconnue qui est passée sous le contrôle de Gazprom-Média. Concrètement, ces médias représentent aujourd’hui ce que l’on pourrait désigner comme « l’opposition autorisée » en Russie. À la différence de la télévision, ils sont libres dans leurs lignes éditoriales, mais restent « encadrés » .
 
Ces médias en « liberté surveillée » restent ainsi exposés à différentes sortes de pressions et leur marge de manœuvre est réduite. D’un côté, leurs journalistes peuvent être sujets aux intimidations physiques dans un pays où la corruption est rampante et le système judiciaire défaillant, voire à d’autres types de représailles(16). Chaque année, de nombreux journalistes sont ainsi agressés, ou même assassinés, en Russie sans que les coupables ne soient appréhendés. Les journalistes des organes de presse, dont notamment ceux de Novaya Gazeta, sont spécialement touchés. Récemment, Kommersant a également été frappé par ce fléau. En novembre 2010, l’un de ses journalistes vedettes, Oleg Kashin, a été très grièvement blessé après une tentative d’assassinat devant son immeuble(17). Si de nombreux observateurs pointent du doigt des structures liées au pouvoir, aucun responsable de l’agression n’a été pour l’heure appréhendé. De l’autre coté, à défaut d’accepter le fonctionnement du système actuel, ces médias « semi-indépendants » peuvent aussi encourir des sanctions de la part de leurs propriétaires.
 

Siège du journal Kommersant à Moscou en 2012
 
En décembre 2011, la direction de Kommersant-Vlast’ a ainsi été sèchement rabrouée par son riche patron après la publication d’un dossier sur les fraudes commises aux législatives par le parti au pouvoir « Russie Unie »(18). Au-delà de la forme de la publication, l’épisode peut servir d’illustration presque paradigmatique de la situation de la liberté de la presse en Russie. Concrètement, Alisher Ousmanov n’a pas apprécié la publication d’une photographie représentant un bulletin de vote portant l’inscription « Poutine, va te faire foutre ». Dans le journal, la photo était accompagnée de la légende suivante « un bulletin correctement rempli, mais jugé non valable ». D’après la loi russe, si le bulletin ne comporte qu’une seule croix dans l’une des cases prévues, et peu importes les inscriptions annexes, il doit être considéré comme valable et comptabilisé. Après avoir décrit cet épisode comme « de la petite délinquance » et une « atteinte à l’éthique journalistique », Ousmanov a entamé une réorganisation de la direction de Kommersant. À la mi-décembre, il a ainsi démis de leurs fonctions le directeur général de Kommersant Holding, Andreij Galiev, et le rédacteur en chef de Kommersant-Vlast’, Maksim Koval’skij. Dans la foulée, le directeur général de la maison d’édition, Dem’jan Kudriavtsev a également présenté sa démission, suivie par celle de la rédactrice en chef adjointe de Kommersant-Vlast’, Veronica Kutsylo. Kudriavtsev s’est en revanche désolidarisé des publications polémiques et est finalement resté en poste. Pour les autres, Ousmanov a maintenu les renvois malgré la publication d’une lettre de soutien des journalistes de Kommersant et la condamnation de nombreux observateurs dont Iakovlev, le fondateur du journal. Aujourd’hui, le fait que même Kommersant, un représentant emblématique de la presse russe de ces vingt dernières années, se retrouve dans une situation de dépendance face à son propriétaire souligne une nouvelle fois la précarité du statut de « journal indépendant » dans la Russie de Vladimir Poutine. Comme beaucoup d’autres, après s’être nourri de l’idéal de la liberté d’expression de 1991, Kommersant est aujourd’hui confronté à la dure réalité.
 
Aujourd’hui, le quotidien Kommersant possède toujours une réelle influence en Russie, notamment auprès des classes aisées et éduquées(19), souvent plus critiques du pouvoir en place. Si son impact médiatique est incomparable avec celui des chaînes de télévision nationales ou même des journaux de divertissement, il est loin d’être négligeable. Employant plus de 800 personnes, publiant des éditions régionales adaptées de l’édition nationale du quotidien, Kommersant-Daily se fait fort d’avoir un tirage de près de 130 000 exemplaires avec un auditoire de plus de 300 000 personnes par numéro sur tout le pays(20). À un autre niveau, Kommersant continue aussi à être l’un des quotidiens les plus cités à la télévision et à la radio en 2011. Finalement, malgré un financement devenu ambigu, la maison d’édition reste une institution en Russie. Elle est le porte-drapeau d’un journalisme russe qui se rappelle encore d’une époque plus glorieuse, d’autant plus que de nombreux journalistes travaillant aujourd’hui dans d’autres journaux sont passés par la rédaction de Kommersant. Au fil des années, la maison d’édition a su garder un prestige indéniable, nourri d’une riche mythologie qu’elle entretient avec passion. Sur le marché des médias russes, elle reste aussi un morceau de choix. En décembre 2011, suite aux licenciements au sein de Kommersant-Vlast’, Mikhaïl Prokhorov, homme d’affaires multimilliardaire et futur candidat (malheureux) à l’élection présidentielle contre Poutine, a proposé à Ousmanov de racheter la maison d’édition Kommersant. Après avoir considéré qu’il s’agissait d’une « bonne blague », Alisher Ousmanov a fait une contre-offre en proposant de racheter le quotidien économique de Prokhorov, RBC-Daily – un concurrent direct de Kommersant-Daily. Alors que la situation n’a plus rien à voir avec celle qui prévalait dans les années 1990, les grands quotidiens d’information conservent leur attrait pour les magnats russes comme actifs de prestige et d’influence. Cela semble vrai indépendamment du fait que ces oligarques, qui ont bâti leurs fortunes sur les matières premières, soient proches du pouvoir ou opposants. Le contexte actuel de forte tension politique en Russie joue également pour valoriser les différents médias.
 
En mars 2012, l’élection présidentielle a entériné le retour au Kremlin de Vladimir Poutine pour un troisième mandat après la parenthèse Medvedev. Cependant, la séquence politique allant des élections législatives de décembre aux présidentielles de mars a coïncidé en Russie avec la montée, inédite de par son ampleur, de la contestation populaire. Aujourd’hui, plus que jamais, les groupes hétéroclites qui constituent l’opposition russe ont désespérément besoin de terrains pour faire vivre leurs idées. Si le développement d’Internet a procuré, ces dernières années, à l’opposition une échappatoire opportune pour s’exprimer, le rôle des médias traditionnels, comme relais de l’information, demeure essentiel pour stimuler le débat public. Le fait est d’autant plus vrai que tous se sont dotés de sites Internet dynamiques et rentables. Au moment où l’opposition politique semble s’être finalement réveillée, les derniers médias indépendants auront un rôle majeur à jouer si l’occasion leur en est laissée(21). Comme souvent, Kommersant devra être de ceux qui donnent le ton, en dépit des contraintes que lui impose son propriétaire.

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Crédits photos :
- Image principale : logo et capture d'écran Kommersant TV
- Kiosque à journaux en Russie : Wagelndicator - Paulien Osse - Flickr
- Distributeur de journaux russes : Jonathan Marks - Flickr
- Siège du journal Kommersant à Moscou - Wikimedia Commons
- Capture d'écran du site Citizen K.

Données Clés

Date de création : Décembre 1989
Directeur général : Dem’jan Kudriavtsev
Rédacteur en chef général : Azer Mursaliev
Actionnariat : 100 % des actions dans Kommersant Holding, contrôlé à 100 % par Alisher Ousmanov
Publications : Kommersant-Daily, les éditions régionales de Kommersant-Daily, Kommersant-Vlast’, Kommersant-Den’gi, Ogoniek, Kommersant Weekend, Avtopilot, Kommersant Katalog, Sekret Firmy, Citizen K. (d’autres actifs médias comme Kommersant FM et Kommersant TV sont liés à Kommersant Holding qui possède la maison d’édition Kommersant)
Publication principale : Kommersant-Daily (quotidien)
Rédacteur en chef de Kommersant-Daily: Mikhaïl Mikhajlin
Rythme de parution de Kommersant-Daily : Lundi, Mardi, Mercredi, Jeudi, Vendredi, Samedi
Villes de diffusion de Kommersant-Daily : Moscou, Saint-Pétersbourg, Volgograd, Voronej, Ekaterinbourg, Kazan, Novossibirsk, Omsk, Rostov, Samara, Nijni Novgorod, Perm, Oufa, Krasnoïarsk, Irkoutsk, Khabarovsk, Vladivostok, Kiev, Grande-Bretagne, Italie, Pays de la CEI
 

Tirage estimé pour un numéro (Russie et pays de la CEI) de Kommersant-Daily :
125 000 personnes
Audience estimée pour un numéro de Kommersant-Daily : 325 000 personnes
Audience estimée de toute la production de la maison d’édition : supérieur à 1 000 000
Adresse internet : www.kommersant.ru
Adresse de la rédaction : Construction 1, 4 Rue de Vroubel, 125080, Moscou, Russie

Références

Leon ARON, « Nyetizdat: How the Internet Is Building Civil Society in Russia », American Enterprise Institute for Public Policy Research, Spring 2011.
 
Nadezhda AZHGIKHINA, « The Struggle for Press Freedom in Russia: Reflection of a Russian Journalist », in Europe-Asia Studies, Vol. 59, N°8, Décembre 2007.
 
Arkady BABCHENKO, Josephine OLSEN, « Information Vacuum », in Index on Censorship, 37: 116, SAGE, 2008, pp. 116-120.
 
Birgit BEUMERS, Stephen C. HUTCHINGS,, Natalya RULYOVA, (dir.), The Post-Soviet Russian Media: Conflicting Signals, London, Routledge, 2008.
 
Elena CHYNYAEVA, « Freedom of the Russian Press: a Story of Lost Trust », in Eurasia Daily Monitor Volume: 7, Issue 2009, 17 novembre 2010.
 
Scott GEHLBACH, «Reflections on Putin and the Media », in Post-Soviet Affairs, N°26:1, 2010, pp. 77-87.
 
Julia IOFFE, « First, They Came for the Journalists », in Foreign Policy, 9 novembre 2011.
 
Vassily KLIMENTOV « Echo Moskvy : un baromètre de la liberté des médias en Russie ? », InaGlobal, 18 juillet 2011.
 
Vassily KLIMENTOV, « Novaya Gazeta : Dernier bastion de l’opposition politique en Russie? », InaGlobal, 11 novembre 2010.
 
Maria LIPMAN, « Russia’s Media: Freedom of expression, but no Press Freedom », in Journal of International Affairs, Vol. 63, N°2, Printemps-été 2010.
 
Maria LIPMAN, « Media manipulation and Political Control in Russia », in Russia and Eurasia Programme: REP PP 09/01, Carnegie Moscow Center, Janvier 2009.
 
Sarah OATES, « The Neo-Soviet Model of the Media », in Europe-Asia Studies, Vol. 59, N°8, Décembre 2007, pp. 1279-1297.
 
Carole SIGMAN, Clubs politiques et perestroïka, Subversion sans dissidence, Paris, Karthala, 2009.

(1)

En 2010 un sondage du Levada-Center, republié dans Kommersant, a montré que la profession de journaliste était parmi les moins « respectées » par la population russe puisque seulement 8% des personnes interrogées la considèrent comme une profession respectable. Alors que la profession de médecin arrive en tête avec 40%, celle de journaliste est 3ème en partant de la fin, devançant seulement les hommes politiques (7%) et les employés de commerce (4%). 

(2)

Sur les coulisses de la genèse de Kommersant voir notamment : Carole SIGMAN, Clubs politiques et perestroïka, Subversion sans dissidence, Paris, Karthala, 2009, pp. 405-409. 

(3)

Chaque numéro du quotidien porte encore l’inscription : « le journal Maison d’Édition Kommersant est publié depuis 1909. De 1917 à 1990, le journal n’a pu paraître pour des raisons indépendantes de la rédaction. Depuis 1990, il est publié de manière hebdomadaire. Depuis 1992, de manière quotidienne ». 

(4)

Cet aspect est toujours très présent dans le journal. 

(5)

Nié par la direction de Kommersant à l’époque et dans les années 1990, le fait est aujourd’hui largement confirmé (et condamné) par les journalistes de Kommersant eux-mêmes. 

(6)

Comme autre raison de son départ, Iakovlev a évoqué le fait que son rôle était devenu purement administratif dans un journal qui tournait parfaitement sans lui. 

(7)

Dans un contexte où Washington a entamé le bombardement de la Yougoslavie, le Premier ministre, Primakov, en route pour des négociations aux États-Unis a fait faire demi-tour à son avion au-dessus de l’Atlantique pour rentrer en Russie. Le lendemain, Kommersant a publié en première page un article assassin qui comptabilisait tout l’argent, aides au développement et prêts divers notamment, que la décision de Primakov a fait perdre à la Russie. La chose a suscité un énorme scandale alors que l’article, à la limite du pamphletétaire, a été inséré dans le journal à la dernière minute sans l’accord du rédacteur en chef de l’époque. Ce dernier a officiellement présenté ses excuses à Primakov. 

(8)

eDans un contexte où Washington a entamé le bombardement de la Yougoslavie, le Premier ministre, Primakov, en route pour des négociations aux États-Unis a fait faire demi-tour à son avion au-dessus de l’Atlantique pour rentrer en Russie. Le lendemain, Kommersant a publié en première page un article assassin qui comptabilisait tout l’argent, aides au développement et prêts divers notamment, que la décision de Primakov a fait perdre à la Russie. La chose a suscité un énorme scandale alors que l’article, à la limite du pamphlet, a été inséré dans le journal à la dernière minute sans l’accord du rédacteur en chef de l’époque. Ce dernier a officiellement présenté ses excuses à Primakov. D’autres dirigeants de Kommersant, dont Vassiliev, ont, par la suite, admis que cet article était au minimum déplacé. D’après Primakov, l’article avait été commandité par Berëzovski qui rachètera le journal peu après. Ce dernier s’est toujours défendu de ces accusations. Vassiliev a récemment donné un récit complet de l’histoire où il condamne de nouveau l’article, mais explique qu’il est faux de le lier à Berëzovski. Vassiliev a récemment donnéun récit complet de l’histoire.

(9)

La controverse est venue d’un article dans Kommersant,le 7 juillet 2004,qui rapportait l’existence d’importantes files d’attentes aux guichets d’Alpha-Bank. L’information est intervenue après qu’une autre banque, Guta-Bank, a bloqué les retraits en espèces plus tôt dans la journée. L’article a provoqué d’abord une réfutation d’Alpha-Bank puis une action en justice que la banque a gagné, obligeant Kommersant à publier un démenti et à payer une somme de près de 10 millions de dollars pour le préjudice porté à la réputation d’affaires de la banque. Par la suite, le jugement a été assoupli et la somme du dédommagement divisée par dix. Malgré tout, la décision de condamner Kommersant a suscité l’émoi dans la communauté : un précédent avait été créé. 

(10)

La publication du journal sera arrêtée en 2008, notamment après des attaques des autorités concernant son contenu jugé inadapté à des mineurs. 

(11)

Le journal est d’ailleurs devenu sensiblement plus critique envers les autorités à cette période. 

(12)

Il est intéressant de signaler ici que la négociation d’une structure étatique directement avec Berëzovski aurait été virtuellement impossible. Nécessairement, cela questionne aussi le rôle de l’oligarque en exil dans cette revente de Kommersant à Ousmanov. Il est difficile de ne pas penser que l’homme qui avait lui-même acheté la maison d’édition à travers une société « écran » ne s’est pas servi d’un procédé similaire ici pour se débarrasser de Kommersant en le cédant, tout simplement, au plus offrant à travers Patarkatsichvili. En 2005, il s’était d’ailleurs déjà séparé de Nezavisimaja Gazeta, l’autre journal important qu’il possédait. 

(13)

(14)

Gazprom s’est d’ailleurs fendu d’un communiqué pour affirmer que l’acquisition de Kommersant par Ousmanov n’avait aucun rapport avec les activités du groupe.

(15)

En 2006, la maison d’édition affichait un chiffre d’affaires de près de 52 millions de dollars pour un bénéfice de près de 4,5 millions de dollars. 

(16)

Actuellement, la maison d’édition est en confrontation ouverte avec les « Nashis », un mouvement de jeunes proche du Kremlin. D’après Kommersant, ces derniers ont organisé de multiples attaques DoS qui ont amenées au blocage répété du site du journal. Aujourd’hui, la maison d’édition s’apprête à porte plainte contre les dirigeants du groupe. 

(17)

Kashin soupçonne plusieurs groupes d’avoir pu commanditer cette tentative d’assassinat. Tous, dont le mouvement Nashis, sont liés ou appartiennent directement au pouvoir en place. 

(18)

Précédemment, d’autres problèmes similaires étaient déjà intervenus alors que le vice-rédacteur en chef du portail Gazeta.ru, propriété de l’une des structures d’Ousmanov, avait démissionné après des désaccords sur la couverture des élections, notamment sur l’affichage de publicités pour « Russie Unie » et l’affichage d’un lien vers un programme de monitoring des fraudes monté en commun avec l’organisation de défense des droits civique Golos (« la voie » en russe). 

(19)

Selon les statistiques que propose le site internet de Kommersant pour 2009, 61% de ses lecteurs à Moscou et 52% en province possèdent un diplôme universitaire. De même, plus de 50% des lecteurs à Moscou et en Province se définissent comme étant des cadres ou cadres supérieurs. Finalement, près de la moitié des lecteurs admettent avoir un revenu qu’ils considèrent comme moyen ou élevé. 

(20)

Il me s’agit ici que des données pour le quotidien Kommersant-Daily. Les données pour tous les autres périodiques, notamment le journal hebdomadaire Kommersant-Vlast’, sont accessibles à la même adresse.

(21)

À ce propos, voir le très bon article de GEHLBACH, Scott, «Reflections on Putin and the Media », Op. Cit. qui argumente que ce système de contrôle minimaliste des médias dans les régimes autoritaires, fondé avant tout sur la maîtrise de l’information télévisée, est vulnérable aux chocs. Ainsi, il est possible qu’une information émerge et soit assez compromettante pour que les médias officiels ne puissent l’omettre. Ce cas de figure est d’autant plus réaliste à l’heure des nouvelles technologies de l’Internet.

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