La BBC en Iran : une voix qui fait fi de la censure

La BBC en Iran : une voix qui fait fi de la censure

Depuis son implantation en 1940, les services de radio et télévision de la BBC en langue persane sont une voie d'ouverture pour le peuple iranien.

Temps de lecture : 4 min

Introduction

La BBC ou British Broadcasting Corporation a été créée en 1922 à Londres. Ce groupe médiatique anglo-saxon, dont le statut s’apparente à une holding publique, s’est développé dans différents secteurs médiatiques : la radio, la télévision et l’Internet, réalisant un milliard de dollars de revenus pour l’ensemble de ses activités dans le monde en 2008-2009. Outre son implantation nationale, le groupe médiatique a développé très tôt des ambitions internationales en s’implantant dans de nombreux pays étrangers. La BBC a lancé son développement international en créant un service radiophonique, la BBC World Service, qui diffuse dès 1942 en plusieurs langues européennes. Elle émet aujourd’hui en 32 langues différentes. En 1991, elle décline ce même service sur un mode audiovisuel, franchissant une nouvelle étape de son histoire.

1940, la BBC lance sa radio en persan

Dès 1940, la BBC s’implante en Iran en lançant son service radio en persan (ou farsi). L’Iran a toujours fait partie des objectifs de couverture informationnelle de la BBC. Ainsi dès 1940, elle contre l’influence de la propagande nazie diffusée via Radio Berlin.
 
Durant la révolution islamique, la BBC - tout comme d’autres radios - va jouer un rôle déterminant : « La BBC a  joué, grâce à ses reporters au coeur des divers mouvements de protestation en Iran, et grâce à ses interviews avec des leaders d’opposition en Occident, un rôle de premier ordre dans la galvanisation du sentiment antimonarchique(1) ».
 
Si l’arrivée de la BBC enthousiasme une large part de la population iranienne, elle fait rapidement l’objet d’une censure par le pouvoir politique iranien, mais poursuit son activité en empruntant parfois des chemins détournés grâce au peuple (via des blogs et l’usage de téléphones portables). Ce n’est que dans les années 2000, dans un contexte de surveillance et de contrôle strict des médias, que la BBC développe un service télévisuel et Internet en persan (ou farsi).

Les années 2000 : l’expansion audiovisuelle et sur le net

En 2001, la BBC complète sa présence en Iran en lançant  un site Web d’information en persan : BBC Persian.com. Ce site Internet de la BBC en farsi est constitué d’articles et d’analyses qui ne sont pas traduits en anglais et pas nécessairement consultables sur le site britannique. Parmi les effectifs du  site, on compte des correspondants qui maîtrisent le persan ainsi que des journalistes de nationalité iranienne qui ne sont pas autorisés par le pouvoir à exercer leur activité. Le site comptait en moyenne 700 000 visiteurs en 2008.
 
Forte de son implantation radiophonique et sur Internet, la BBC donne une nouvelle dimension à sa présence dans l’espace médiatique arabe en expérimentant dès mars 2008 une chaîne de télévision, en arabe, la BBC Arabic Television.

Quelques mois plus tard, le 14 janvier 2009, poursuivant sa logique d’expansion la BBC inaugure une chaîne de télévision en perse, la BBC Persian TV. Financée par le gouvernement britannique à hauteur de quinze millions de livres (16,8 millions d’euros), la chaîne emploie 140 personnes, dont une centaine de journalistes à 97 % d’origine iranienne ou afghane. Le slogan de la chaîne de télévision BBC Persian TV « Partagez des histoires qui connectent les vies » se fonde principalement sur l’interactivité. En effet, les Iraniens vivant en Iran disposent essentiellement de l’Internet (blogs et e-mails) pour communiquer avec l’Occident. Lors des manifestations iraniennes en 2009, ils fournissent par e-mail à la rédaction de la chaîne des vidéos filmées grâce à leurs téléphones portables et des photographies des manifestations. Les programmes de la chaîne en persan sont diffusés en Iran (70 millions d’habitants), en Afghanistan (20 millions) et au Tadjikistan (10 millions). La télévision BBC Perse offre huit heures de programmes chaque jour. Ils sont fournis par toutes les sources du réseau de la BBC mais également par les informations issues de ses correspondants situés à Washington, Jérusalem, Beyrouth, Islamabad, Istanbul, Douchanbé et Kaboul.
 
Sa création a généré en Iran à la fois l’enthousiasme et la méfiance. Selon CNN, le ministre de la Culture, Mohammad Hossein Saffar Harandi, a interdit aux journalistes et artistes iraniens de travailler pour cette chaîne. Le gouvernement iranien a également refusé que la chaîne installe un bureau en Iran.

2009 : la censure iranienne s’abat sur la BBC

En juin 2009, la BBC dénonce le brouillage par l’Iran de ses programmes diffusés au Proche-Orient et en Europe par ses satellites. Celui-ci intervient alors que se tenaient les élections iraniennes, particulièrement contestées. En empêchant la diffusion radio et télévisuelle des programmes de la BBC, les autorités iraniennes ont ainsi limité la couverture médiatique des élections et la diffusion des doutes exprimés sur la fiabilité des résultats officiels. Le correspondant de la BBC à Téhéran, John Simpson ainsi que son caméraman avaient d’ailleurs été arrêtés par les autorités iraniennes avant d’être relâchés rapidement.
 
L’opposition à la présence de la BBC en Iran atteint son paroxysme lorsque le journal Vatan Emrouz, soutenant le président iranien Mahmoud Ahmadinejad, accuse un journaliste de la BBC, Jon Leyne, expulsé par les autorités iraniennes, d'avoir commandité le meurtre d’une jeune femme prénommée Neda Agha-Soltan devenue le symbole de la répression des manifestations contestant la réélection du président. Le journaliste de la BBC aurait selon le journal : « embauché un voyou et payé afin de tuer quelqu'un pour son documentaire ».
 
En février 2010, le brouillage des programmes de la BBC par l’Iran reprend, mais cette fois, plusieurs médias se regroupent pour dénoncer la censure dont ils sont l’objet : la BBC, la Deutsche Welle et Voice of America notamment à travers le satellite Hotbird. Ce brouillage survient alors que l’Iran s’apprêtait célébrer la date anniversaire de la révolution islamique et va à l’encontre  de la liberté de transmission internationale qui est protégée par des traités (Convention européenne des droits de l’homme, accords de l’ONU sur les droits de l’homme(2). Pour autant, la BBC n’envisage pas l’arrêt de la production et de la diffusion de programmes télévisuels à l’attention du public iranien ou traitant de l’actualité iranienne. Le directeur du service international de la BBC, Nigel Chapman a indiqué récemment qu’il visait sept millions de téléspectateurs en 2011. Ainsi, malgré un contexte politique extrêmement restrictif, le sérieux du traitement de l’information par la BBC reconnu mondialement contribue à faire de ses services en persan une source d’information de référence sur l’Iran pour le reste du monde, ainsi que pour les iraniens.

Données clés BBC Persian TV

Date de création : 14 janvier 2009
Budget : 16,8 millions d’euros
Nombre de salariés : 140 employés dont la majorité travaillent à Londres.
Directeur du BBC World Service : Nigel Chapman

Références

Tristan MATTELARD, La mondialisation des médias contre la censure : Tiers Monde et audiovisuel, Editions Ina-De Boeck, Collection Médias Recherche.
 
Annabelle SREBENY, Massoumeh TORFEH, The BBC Persian service 1941-1979, Historical Journal of Film, Radio and Television, 2008, pp. 515-535.
 
 
 
(1)

Tristan MATTELARD, La mondialisation des médias contre la censure : Tiers Monde et audiovisuel, Éditions Ina-De Boeck, collection Médias Recherche. 

(2)

Cf. article 19. 

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