La solution préférable d’une plus grande souplesse
Suite à une réunion organisée fin janvier par le CNC, il apparaît que la chronologie des médias ne devrait pas évoluer dans un futur proche. Les opérateurs de la filière cinématographique ont émis le vœu que rien ne change. Pourtant, plusieurs voix prônant une évolution se sont fait entendre. Parmi les signataires de l’accord, dont la renégociation était le sujet de la réunion du CNC, Arte et Orange se sont prononcés pour des assouplissements. Dans le même sens, l’ARP (Société civile des auteurs-réalisateurs-producteurs) et la SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques), qui ne sont pas signataires de l’accord, ont publiquement émis le souhait de voir apparaître des dérogations et expérimentations en matière de chronologie des médias. Des évolutions nous semblent souhaitables dans deux domaines : d’une part en ce qui concerne les films peu exploités, d’autre part s’agissant de la VOD par abonnement.
Près de 40 % des films sortis en salles ne sortent pas en DVD et ne sont pas proposés en VOD.
Une étude récente du CNC fait apparaître que près de 40 % des films sortis en salles ne sortent pas en DVD et ne sont pas proposés en VOD. Généralement ces 40 % de films n’ont pas attiré beaucoup de spectateurs en salles. Raccourcir la chronologie des médias sur ces œuvres serait susceptible de donner plus vite une nouvelle chance à un film qui n’a pas su trouver son public au cinéma. L’état actuel du droit permet pourtant de raccourcir la chronologie des médias. En effet, l’
article 1 du décret du 22 avril 2010 permet d’obtenir une dérogation du CNC aux 4 mois habituels pour les films ayant réalisé moins de 200 entrées au terme de la quatrième semaine d'exploitation. Cette dérogation prévue par le décret ne concerne que les vidéogrammes, mais l’arrêté du 9 juillet 2009 prévoit son application à la VOD à l’acte. La solution serait de rendre cette possibilité automatique sans passer par un accord préalable du CNC qui complexifie inutilement les choses. Il restera encore à fixer un délai de substitution aux 4 mois pour ce type de film. Actuellement, le décret prévoit que le CNC ne peut proposer une réduction du délai supérieure à 4 semaines. Il serait préférable de prévoir une réduction supérieure. On peut également imaginer étendre cette possibilité à un nombre plus large de films. L’ARP et la SACD ont ainsi proposé une disponibilité en VOD 2 semaines après la sortie en salles et 22 semaines après la sortie pour la SVOD (service de VOD par abonnement) pour les films exploités sur moins de 15 copies. En 2011, 180 films français rentrent dans cette catégorie.
La chaîne de télévision Arte propose pour sa part une évolution intéressante en demandant qu’une chaîne en clair qui respecte ses engagements de coproduction puisse diffuser un film 10 mois après sa sortie en salles si aucune diffusion sur une chaîne payante n’est envisagée. Cette solution aurait pour mérite de favoriser la diffusion à la télévision de films qui n’intéressent pas les chaînes payantes. Pour le moment, les chaînes gratuites sont tenues par un délai de 22 mois pour exploiter un film non diffusé par une chaîne payante (voir tableau ci-dessus).
La percée commerciale et médiatique de nouveaux opérateurs qui proposent l’accès à un catalogue important de films impose une réflexion sur l’avenir des délais de disponibilité des films en SVOD.
La problématique la plus délicate et la plus actuelle concerne la disponibilité des films en VOD par abonnement (SVOD). La percée commerciale et médiatique de nouveaux opérateurs qui proposent l’accès à un catalogue important de films impose une réflexion sur l’avenir des délais de disponibilité des films en SVOD . Le succès mondial d’opérateurs comme Netflix s’est construit sur la richesse du catalogue proposé aux abonnés qui comprend bien entendu bon nombre de films récents. On peut aisément penser que ce type d’offre est promis à un avenir florissant. En l’état actuel du droit, la réussite de tels opérateurs est plus qu’incertaine sur le marché français en raison des règles posées par l’arrêté du 9 juillet 2009 qui reprend et rend obligatoire l’accord interprofessionnel du 6 juillet de la même année. Cet accord est conclu pour une période de deux ans tacitement reconductible par période d’un an. La réunion récente des signataires au CNC ne devrait pas aboutir, comme nous l’avons précisé plus haut, à des évolutions en matière de SVOD. Les signataires semblent en effet avoir considéré que pour le moment, seule la VOD à l’acte devait être favorisée en maintenant un délai aligné sur celui des DVD (4 mois) comme le prévoit l’arrêté de 2009. En revanche, la SVOD doit, pour les signataires, continuer à se voir appliquer un invraisemblable délai de 36 mois après la sortie en salles. Dans ces conditions, il est difficile pour un opérateur de SVOD de proposer une offre commerciale alléchante pour les consommateurs dans la mesure où les films proposés dans le catalogue sont préalablement sortis en DVD, en VOD à l’acte et ont pu être diffusés sur les chaînes de télévision payantes et gratuites… Pourtant, plusieurs signataires de l’accord proposent (Canal+ avec Canal+ infinity) ou souhaitent proposer (M6, TF1) de la VOD par abonnement. Force est de constater que ces derniers estiment que leurs intérêts seraient pour le moment mieux préservés en favorisant la VOD à l’acte. On peut également imaginer que ces opérateurs n’ont pas envie de favoriser
l’arrivée de nouveaux acteurs (par exemple Netflix, les vidéoclubs Vidéofutur, Free, Amazon…) qui pourraient à la fois les concurrencer dans le domaine de la SVOD tout en réduisant fortement l’attractivité de la VOD à l’acte. Avec un peu d’imagination, on peut s’interroger sur la question de savoir si l’arrêté du 2009 ne peut pas être assimilé à une pratique anticoncurrentielle au sens du Code de commerce et du Traité de l’union européenne. Ces textes sanctionnent notamment les ententes et l’abus de position dominante (
art. L. 420-1 et suivants du Code de commerce et les
articles 101 et suivants du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne) dont peut se rendre coupable l’administration par le biais d’une décision administrative favorisant tel ou tel acteur d’un marché (
CE avis 22 novembre 2000, Sté L&P publicité, Rec. p526). Il n’est pas impossible que les opérateurs lésés par ce délai de 36 mois saisissent la juridiction administrative de cette question. Un homme politique vantait récemment l’intérêt des pratiques anticoncurrentielles quand ces dernières permettent de développer des opérateurs nationaux puissants. C’est peut-être ce qui est en train de se passer actuellement en France en matière de SVOD. Il n’est pas évident que les opérateurs français de SVOD sortent avantagés de cette situation. Il est en revanche certain que la chose ne durera pas éternellement et qu’un alignement des délais de disponibilité des films en SVOD sur ceux de la VOD à l’acte n’est plus qu’une question de temps. Cette solution ne doit pas ravir les chaînes de télévision payante et les fabricants de DVD. Au final, l’apparition de la SVOD implique une redistribution des cartes en ce qui concerne les acteurs de la diffusion cinématographique (certains apparaissent déjà, d’autres disparaîtront et certains se renforceront comme
cela semble déjà s’amorcer aux Etats-Unis) ce qui entrainera obligatoirement une transformation du modèle de financement du cinéma français.
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