Vers une régulation nationale et internationale adaptée
Le droit ne manque pas face à la société de l’information, soit par l’adaptation des législations existantes, soit par l’adoption de nouvelles réglementations. Les différentes facettes du multimédia créées dans l’espace numérique sont couvertes par des législations sur l’informatique, les fichiers et les libertés, les communications électroniques et la communication audiovisuelle. Des autorités de régulation précisent les règles de fonctionnement de la société numérique comme la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), l’Autorité des régulations des communications électroniques et des po stes (Arcep) ou la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR).
En vertu de l’article 1er de la loi sur l’Informatique, les fichiers et les libertés de 1978 : « l’informatique doit être au service de chaque citoyen. Son développement doit s’opérer dans le cadre de la coopération internationale. Elle ne doit porter atteinte ni à la dignité humaine, ni aux droits de l’homme, ni à la vie privée, ni aux libertés individuelles ou publiques ». Cette loi a pu facilement s’adapter aux évolutions technologiques successives comme la carte à mémoire, la biométrie, la vidéoprotection et Internet. La Cnil est garante de la finalité, de la loyauté et de la sécurité des données personnelles. Elle n’hésite pas à prononcer de lourdes sanctions à l’égard de Google.
Les technologies nécessitent un haut niveau de protection des droits individuels et des données personnelles en vertu de régulations adaptées et efficaces. Le droit national doit être en cohérence avec le droit européen et international pour éviter un développement excessif des paradis informatiques, à l’instar des paradis fiscaux. La coopération européenne et internationale doit favoriser une régulation indispensable car les technologies numériques ne connaissent pas les frontières étatiques. Dès 2001, le Conseil de l’Europe a adopté une Convention sur la cybercriminalité afin que le cyberespace se développe en respectant les valeurs communes aux européens. La
Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne prévoit la protection des données personnelles dans son article 8. Des directives européennes spécifiques ont été adoptées. Un contrôleur européen de la protection des données, organise un contrôle coordonné des usages de l’Internet. La Commission européenne enclenche régulièrement des actions, y compris contre les grands moteurs de recherches, parfois peu respectueux des données personnelles.
De son coté, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu des arrêts très importants afin que le développement du numérique ne se fasse pas aux dépends des libertés fondamentales. L’arrêt de la CJUE du 8 avril 2014, Digital Rights Irland
, est d’une grande importance pour la protection des données personnelles. L’arrêt de la CJUE du 13 mai 2014 Google Spain et Google
ouvre la voie vers le droit à l’oubli, donc à l’effacement d’informations dépassées lorsqu’il est demandé. La Cour considère que le moteur de recherche est aussi responsable que le site lui-même, même américain sur le sol européen. Cela a déclenché une procédure au sein de Google pour apprécier les demandes d’effacement qui n’ont pas manqué de se multiplier. Ces nouvelles jurisprudences européennes ont poussé le Conseil d’État, dans son rapport de 2014, à faire la proposition suivante : « Mettre en œuvre de manière efficace et équilibrée le droit au déréférencement consacré par l'arrêt Google Spain. »
Pour la présidente de la Cnil et du G29, ce nouveau droit est un progrès dans la protection des données personnelles : « Le droit à l’oubli et son corollaire pour les moteurs de recherche, le droit au déréférencement, sont une belle avancée. Dans ce monde numérique à la mémoire inaltérable, c’est un chemin d’humanité. C’est aussi le moyen de rééquilibrer la relation que nous entretenons individuellement et collectivement avec les grands acteurs de l’internet. L’Europe a su affirmer une singularité réaliste. »
La naïveté ou l’inconscience des utilisateurs d’Internet facilitent l’atteinte aux libertés individuelles, notamment sur les réseaux sociaux. On évoque une forme de « schizophrénie citoyenne » : d’un coté, le « citoyen 1.0 » demeure attaché aux principes du respect de ses données personnelles et de sa vie privée au travail, de l’autre, ce même citoyen, version 2.0, est prêt à sacrifier ses droits sur l’autel de la popularité et de l’audience. »
. Un simple changement de comportement des cyber-citoyens pourrait mieux garantir leurs droits. Il est aussi utile d’imaginer de nouveaux droits à faire respecter dans l’espace numérique. Un projet de loi est à l’étude, en France, pour en faire une République numérique, notamment pour préciser et renforcer les droits des cybercitoyens.
La société numérique est souvent assimilée à un nouvel âge d’or. Elle en a beaucoup des signes par la richesse matérielle qu’elle produit, les espaces de liberté qu’elle ouvre. Mais, elle a aussi des effets plus inquiétants. La société numérique doit rester effectivement une société de liberté. On peut même imaginer, à terme, l’adoption d’une déclaration universelle des droits de l’homme à l’ère du numérique ainsi rédigée : « Chaque homme a droit au respect de sa dignité et de sa vie privée quelles que soient les empreintes qu'il laisse sur les réseaux numériques. Le consentement, libre et éclairé de l'intéressé doit être préalable à toute utilisation de ses données culturelles. L’autorisation de leur utilisation ne saurait être tacite ou illimitée dans le temps. »
La révolution culturelle du numérique mérite de vraies adaptations juridiques pour les cyber-citoyens.
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Illustration et crédits photos
- Illustration. Ina.
Alice Durand1)