La diplomatie numérique, outil de promotion de la marque Suède

La diplomatie numérique, outil de promotion de la marque Suède

Dans un monde globalisé, la compétition entre «marques» nationales a ouvert un nouveau champ de bataille dans l’espace numérique. Pour pouvoir exister face aux grandes puissances, la Suède a fait le pari d’une diplomatie numérique originale.  

Temps de lecture : 9 min

En 2016, la Suède occupe la première place parmi les pays du monde sur le « Good Country Index» de Simon Anholt, gourou de la communication internationale et du branding national. Au cours des dernières années, ces classements des pays du monde sont en effet devenus une spécialité nordique, et la Suède se trouve encore et encore à la tête des listes. Dans une période de mondialisation économique où les nations elles-mêmes ont tendance à se concevoir de plus en plus comme des marques sur un marché, la compétition entre nation-marques, entre images nationales, a ouvert un nouveau champ de bataille diplomatique dans l’espace numérique.

Olle Wästberg, alors directeur général de l’Institut suédois, une institution publique chargée de promouvoir la Suède et qui occupe une position-clé au sein de la diplomatie d’influence suédoise, a ainsi présenté le défi des gouvernements face à cette situation : « Toute ”marque nationale” est une simplification. Mais même si cela peut sembler paradoxal dans un monde globalisé, la plupart des pays ont réalisé qu’ils doivent souligner leur spécificité afin de pouvoir participer (à la compétition mondiale). » Présence et visibilité sur internet sont devenues une condition sine qua non pour réussir dans cette compétition.
 
Dans cet article, nous allons examiner l’histoire contemporaine de la diplomatie numérique suédoise, pour voir comment l’arrivée de celle-ci s’inscrit dans un contexte plus large de développement d’une véritable stratégie de gestion de l’image suédoise à l’étranger visant à souligner l’individualité de la Suède dans un monde globalisé.

Une logique du branding international

Dans les années 2000, la promotion de la Suède à l’étranger a été intégrée à la politique d’exportation du pays : à travers la promotion de la marque, des symboles et des images de la Suède, on a tenté de renforcer la position des produits suédois sur le marché mondial. Sous la houlette de Olle Wästberg, directeur général de 2005 à 2010, l’Institut suédois a mis les concepts anglais de Public Diplomacy et de Nation Branding au centre de sa stratégie. Wästberg a déclaré l’intention de faire de l’Institut suédois une véritable « boîte de communication », capable d’agir sur l’internet, devenu la principale forme de communication internationale.

C’est l’année 2007 qui marque la première percée suédoise en matière de diplomatie numérique. Après les élections parlementaires de 2006, l’ancien premier ministre Carl Bildt est devenu ministre des affaires étrangères. Carl Bildt qui, en 1994, avait envoyé un courriel au président américain Bill Clinton – le premier exemple de correspondance électronique entre deux chefs de gouvernement – fut l’un des pionniers internationaux de l’usage d’un compte personnel sur Twitter. En mai 2007, il a inauguré l’ambassade de Suède sur Second Life, une plateforme virtuelle. Produite par l’Institut suédois, cette copie virtuelle de la Maison de Suède de Washington est vite devenue un exemple de la « proactivité » suédoise en matière de visibilité numérique, avec ses activités – interaction et communication - ses célébrations virtuelles des fêtes nationales suédoises comme le Midsommar (solstice d’été) et Lucia (fête de la Sainte Lucie), auxquelles les visiteurs pouvaient participer. Après deux ans, l’Institut suédois a arrêté ses engagements dans Second Life, mais l’Ambassade virtuelle est restée ouverte ; dès lors, c’étaient les usagers de la plateforme eux-mêmes qui y organisaient les activités. 
 
Pour Wästberg, un point-clé résida dans les possibilités offertes par la mondialisation, ce qui représentait une continuité avec l’histoire suédoise : le pays avait profité de la vague de mondialisation créée par l’industrialisme à partir des années 1870, puis avec la mondialisation du commerce international survenue dans les années 1950. Afin de pouvoir gérer la nouvelle mondialisation des années 2000, où la production est devenue mobile, passant de la production industrielle à la production des services et de l’information, « nous devons construire la marque suédoise », a-t-il déclaré à plusieurs reprises. Ici, le Web occupait une place considérable. Constatant, dans son rapport annuel de 2010, que « la communication numérique devient de plus en plus importante comme moyen de diffuser l’information sur le pays », l’Institut suédois a suivi de près l’évolution de l’usage d’internet. Il a formulé une nouvelle stratégie numérique, pour devenir un véritable acteur du Web 2.0, avec le but d’engager les internautes et de créer des relations avec certaines cibles privilégiées : intellectuels, décideurs, experts, ainsi qu’un public curieux, progressiste et innovateur.
 La présence et la visibilité dans ces espaces étaient une façon de démontrer ce que la Suède étaitsur Internet  
En 2011, les événements du « Printemps arabe » ont provoqué une série de débats sur l’usage des médias sociaux - Facebook et Twitter en particulier - dans les processus de démocratisation et de participation citoyenne. Le gouvernement suédois s’est rapidement aligné avec les avocats des nouvelles technologies.Alors que les services offerts par le site officiel Sweden.se ont été ouverts à de nouveaux publics, notamment avec le lancement du site en chinois et en arabe, les activités visant un public occidental – surtout anglophone et jeune – ont été diversifiées sur toute une série de plateformes. Ici, les médias sociaux sont devenus centraux. D’un côté, les blogs, Facebook et Twitter ont fait de la publicité, pour informer les internautes des événements et manifestations culturels suédois autour du monde. De l’autre côté, la présence et la visibilité dans ces espaces étaient en soi une façon de représenter la Suède, de démontrer sur Internet ce que la Suède était.

La diplomatie numérique au service de la marque Suède

L’essence de cette Suède était définie dans une vision englobante pour la marque Suède dans la stratégie de l’image de la Suède, adoptée par le gouvernement suédois : « Dans un monde des grands défis, la société libre et ouverte de la Suède sert de serre chaude pour l’innovation et la co-création ». Cette stratégie a défini quatre domaines privilégiés dans la communication vers l’étranger, constituant un message-clé, « ce qui est unique avec la Suède et l’image de la Suède ainsi que la valeur et l’utilité que la Suède peut offrir » : l’innovation, la créativité, la société et le développement durable. À ces quatre concepts-clés s’ajoutaient quatre valeurs-clés : transparence, authenticité, soin, esprit innovateur. D’après le politiste James Pamment, spécialiste de la diplomatie d’influence, la tentative d’établir une marque suédoise a longtemps été liée au projet de renforcer la réputation du pays en matière de technologies de communication.

 La tentative d’établir une marque suédoise est liée au projet de renforcer la réputation du pays en matière de technologies de communication  
 
En janvier 2013, Carl Bildt a donné à toutes les ambassades de Suède l’instruction d’ouvrir des comptes sur Facebook et Twitter avant la fin du mois, déclarant : « Nous devons être à la pointe absolue de la diplomatie numérique ». Dès lors, l’internet et ses canaux de communication ont donc pris un rôle croissant dans la diplomatie suédoise, à la fois en tant qu’outils de communication et en tant que vecteur de la politique progressiste suédoise dans ce domaine. Ainsi, le ministère de Bildt a organisé un meeting à Stockholm en janvier 2014, le Stockholm Initiative for Digital Diplomacy, qui réunissait des acteurs internationaux pour des discussions informelles sur les possibilités offertes par la diplomatie numérique contemporaine.
 
Un des projets les plus remarqués de la diplomatie numérique suédoise a été celui de Curators of Sweden sur Twitter, conçu par l’Institut suédois avec l’Office national du tourisme et l’agence de publicité Volontaires, et lancé en 2011. Suivant un principe de rotation, ce n’était pas un seul individu, mais plusieurs qui étaient responsables du fil Twitter de @Sweden. Chaque semaine, un nouveau Suédois – nominé par une troisième partie et sélectionné par les responsables du projet – devenait l’administrateur du fil. Dans la presse internationale, le projet a été loué pour son caractère démocratique et transparent ; il n’y avait pas de censure et les responsables étaient libres de leur choix quant au contenu des tweets. Curators of Sweden a aussi attiré l’attention de la communauté internationale des relations publiques, gagnant le Prix Clio d’Or, ainsi que le Grand Prix du Festival international de la créativité Lions Cannes, et un bon nombre de comptes s’inspirant de l’exemple suédois a été ouvert autour du monde. Le projet s’inscrit clairement dans la stratégie de la marque suédoise : c’est une mise en scène de ses valeurs-clés. Dans le cas du projet Curators of Sweden, il s’agit donc d’une illustration de la célèbre maxime du théoricien des médias Marshall MacLuhan, selon laquelle « c’est le medium qui est le message », à savoir ici, de transmettre l’image d’une Suède innovatrice et transparente.

Vivre la marque Suède sur internet

Ces activités s’inscrivaient dans un cadre plus large de coopération avec les entreprises suédoises actives à l’échelle mondiale, où l’on cherchait à aider celles-ci à rendre leur caractère suédois plus prononcé pour qu’elles puissent profiter de la bonne réputation de la Suède dans le monde, l’idée étant d’ainsi renforcer à la fois l’image de l’entreprise et l’image de la Suède.

 
Un bon exemple d’un tel usage de l’image nationale dans la publicité internationale sont les publicités pour Volvo, où le constructeur automobile a eu recours à celui qui est aujourd’hui le Suédois le plus connu du monde : le footballeur Zlatan Ibrahimovic. En 2014, on pouvait voir Zlatan, seul dans un grandiose paysage hivernal, conduisant sa Volvo, prenant un bain dans un lac, voix off déclamant d’un rythme monotone les paroles de l’hymne national suédois. Dans une nouvelle publicité, intitulée « Made by Sweden - Prologue », sortie peu avant le début de la Coupe d’Europe en France, on le voit retourner aux rapports avec sa patrie. Il vit et travaille à Paris, mais ce n’est pas son pays. Il est né d’une mère croate et un père bosniaque, mais il raconte son enfance dans une banlieue suédoise ; puis on le voit en train de se préparer pour la Coupe d’Europe, et enfin, il traverse Paris dans sa Volvo, direction Stade de France. Son voyage est accompagné d’une bande-son écrite spécialement par Hans Zimmer, compositeur acclamé et lauréat aux Oscars pour entre autres Gladiator et Interstellar. À propos de la publicité, celui-ci a récemment déclaré « J’ai toujours été un fan des icônes suédoises comme Abba et Zlatan, alors collaborer à ce projet avec Volvo Cars et Zlatan m’a donné l’expérience du meilleur de la Suède. » Dans ces publicités, qui sont de petits morceaux cinématographiques, Zlatan, comme Volvo, représente l’union de la Suède ancienne, sa nature boréale et ses conditions rudes, avec la Suède de nos jours : pays d’immigration, terre d’accueil et de technologie avancée, qui a conquis le monde par son talent et son excellence, tout en restant authentique. Jouant sur une gamme d’images de la Suède déjà existantes, Volvo renforce son caractère suédois et reproduit et renforce l’image de la Suède non seulement auprès de ses clients, mais aussi, avec sa nouvelle vedette Ibrahimovic et dans un nouvel espace de communication, auprès de nouveaux publics, notamment les jeunes amateurs du football partout dans le monde.
 
Olle Wästberg a formulé l’idée de «  vivre la marque », une idée qu’il a lui-même conçue en tant que consul général de Suède à New York : dans un appartement meublé d’un mélange d’Ikea et du design contemporain suédois, conduisant une Volvo, utilisant un portable Ericsson, proposant aux invités étrangers des repas préparés par des jeunes chefs incarnant parfaitement la nouvelle cuisine nordique. Ceci est aujourd’hui rendu possible pour les internautes sur les plateformes bleu-jaune de la diplomatie numérique suédoise. Les organisations représentées dans le Comité national de promotion de la Suède à l’étranger ont lancé une identité visuelle commune à tous leurs sites, blogs et plateformes interactives en ligne. Ici, on peut apprendre comment vivre à la suédoise, parler le suédois, manger suédois, et découvrir l’art et la musique suédois. Sweden.se propose une identité globale de la Suède – visuelle, matérielle, conceptuelle - avec la technologie numérique, la possibilité de vivre la marque suédoise est devenue une réalité virtuelle.
 
 La Suède est devenue la marque d’un lifestyle mondial  
Aujourd’hui, les liens entre commerce et culture sont de nouveau très étroits. En effet, l’Institut suédois est récemment passé du portefeuille du ministre des Affaires étrangères à celui du ministre du Commerce. Son court-métrage « This is Sweden », offre au spectateur de découvrir en moins de deux minutes « une image mise à jour et authentique de la Suède, avec ses paysages sublimes et ses familles modernes ». Il a été lancé en janvier 2016 par le ministre des entreprises et de l’exportation Mikael Damberg lors de sa visite au Nasdaq à New York. Fait par le jeune cinéaste Olof Lindh, le film est un collage d’images dynamiques qui montrent le pays et la société suédoise dans son hétérogénéité, illustrant ainsi ses valeurs : l’égalité entre les sexes, la place de l’enfant, l’environnement et la nature, la société multiculturelle, le tout accompagné d’une chanson de l’artiste Alice Bohman. Comme les pubs de Volvo, le format du film est parfaitement adapté à la diffusion sur les médias sociaux, YouTube et Vimeo, et le court-métrage unit ainsi images de la Suède ancienne et contemporaine, où le système social, les vieilles traditions et les modes de vie contemporains constituent un ensemble particulièrement propice à une vie heureuse. La Suède est devenue la marque d’un lifestyle mondial.

Partager la Suède

Nous avons, dans cet exposé de la diplomatie numérique suédoise, vu comment celle-ci, dès ses débuts, a été partie intégrante d’une stratégie plus large de construction et de promotion de la marque Suède. Ce travail de création de marque s’est appuyé sur l’idée de l’image de la Suède, fondé  sur quelques concepts et valeurs-clés définis par un conglomérat d’acteurs suédois, politiques et économiques, réunis dans le Comité national de promotion de la Suède à l’étranger. À travers différentes activités numériques, du projet Sweden aux publicités de Volvo sur YouTube, la capacité suédoise d’innover, la créativité et l’usage des nouvelles technologies ont été mises en avant. L’interactivité a été au centre ce travail, et on a depuis l’inauguration de la Seconde Maison de la Suède en 2007 cherché très activement à inciter les internautes à commenter, partager et aimer le contenu des sites suédois.

En 2015, le compte Sweden.se sur Facebook a eu dix fois plus d’interactivité que les sites homologues de pays comme la Grande-Bretagne, la Norvège et la Finlande. Il est donc révélateur que la nouvelle plateforme numérique de l’Institut suédois, où la totalité des matériels promotionnels est mise à la disposition d’autres acteurs suédois, ait été baptisée Sharingsweden.se. C’est justement le partage de sa marque qui caractérise la stratégie proactive de la Suède en matière de diplomatie numérique.

Références

Christian CHRISTENSEN, « @Sweden: Curating a Nation on Twitter », Popular Communication, 11:1, 2013, pp. 30-46.

Nikolas GLOVER, « Imaging Community. Sweden in ‘cultural propaganda’ then and now », Scandinavian Journal of History, 34 :3, 2009, pp. 246-263.
 
James PAMMENT, New Public Diplomacy in the 21st Century. A comparative study of policy and practice, Routledge, 2013.
 
Jon PELLING, « When doing becomes the message : the case of Swedish digital diplomacy » in Corneliu BJOLA et Marcus HOLMES (dir.), Digital Diplomacy : Theory and Practice, Routledge, 2015.
 
Sources
Svenska institutet, Verksamhetsberättelse 2005-2010 (les rapports d’activité annuels de l’Institut suédois entre 2005 et 2015)
 
Olle WÄSTBERG, « Beyond IKEA », Public Diplomacy Magazine, l’été 2009.
 
Olle WÄSTBERG, « Att sätta Sverige på kartan », discours prononcé le 8 juin, 2005.

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Ina. Illustration Margot de Balasy

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