La structuration juridico-policière du « cinéma-monde »
La prédominance d’Hollywood repose sur une situation spécifique tant juridico-politique que sociale qu’il incombe à la MPA de mettre en place. Celle-ci s’efforce de structurer les marchés et de forger de nouvelles pratiques. La MPA organise l’audiovisuel mondial afin de constituer des ensembles économiques permettant à ses compagnies membres de s’imposer, ce qui implique un lobbying considérable en matière de droit international et son application au sein des États.
La violation des droits d’auteurs ne constitue pas un fait nouveau. Les études montrent que dès les années 1920 et 1930, les distributeurs ont été confrontés à des disparitions de longs métrages. Cependant, la diffusion de la technologie et l’utilisation individuelle de films sous forme vidéo ont rendu le copiage beaucoup plus aisé et massif
. Par ailleurs, la fin de la guerre froide, l’intensification de la globalisation et la montée en puissance des flux transnationaux ont ouvert pour Hollywood des perspectives de profits considérables alors que les capacités étatiques de contrôle se sont réduites. Or, le « cinéma-monde » se fonde sur le libre-échange et surtout sur la propriété intellectuelle dont le non-respect menace sa prospérité et son expansion. Plus que l’affirmation d’un hegemon, à savoir les États-Unis, il convient d’observer l’action décisive des conglomérats dans l’approche choisie pour traiter ce problème et la construction socio-économique d’un droit international
.
Nous avons déjà évoqué que la MPA agit avec l’IIPA sur le cours de l’activité intergouvernementale comme conseiller et groupe de pression, développant des liens étroits avec la diplomatie de la superpuissance. Loin de se contenter uniquement de l’arène nationale, l’association hollywoodienne a organisé un lobbying auprès des gouvernements pour obtenir leur soutien. Elle s’est trouvée proche d’autres firmes telles que les groupes pharmaceutiques qui sont représentés au sein de l’Intellectual Property Committee. Elles se sont particulièrement impliquées tant dans la préparation que dans les pourparlers en vue de l’Accord sur les droits de la propriété intellectuelle sur le commerce (ADPIC) afin qu’il satisfasse leurs intérêts mondiaux
. De même, les organisations représentatives telles que la MPA ont figuré parmi les partisans les plus actifs du
projet ACTA (Anti-Counterfeiting Trade Agreement). En cas d’application, ce dernier accorderait des pouvoirs étendus aux autorités en charge de faire respecter les droits d’auteurs, notamment sur Internet
.
Les majors se sont impliquées dans la protection de leurs films et téléfilms tant dans les phases de production que de distribution, ce qui se traduit par un lobbying en faveur de législations et de menées répressives. Si le maintien de structures économiques où la « piraterie » est contenue, s’avère difficile en Europe et au Japon, il est encore plus malaisé aux marges du « cinéma-monde ». Dans les pays émergents, l’activité de l’association hollywoodienne se révèle cruciale dans la formation d’un marché pour permettre aux studios de prospérer. Tout d’abord, elle exerce par sa position à Washington des pressions sur les autorités locales à la manière d’un « advocacy network » pour que celles-ci légifèrent et fassent exécuter les lois
. Sa force réside dans ce constant lobbying de forme transnational mené auprès de chaque gouvernement. Elle brandit régulièrement la menace de rapports officiels en faveur de sanctions tarifaires mais aussi de plaintes auprès des juridictions nationales et internationales. Cette capacité d’action sur les politiques publiques s’avère d’autant plus considérable que ces pays veulent exporter vers l’Occident et appartenir à l’Organisation mondiale du commerce. En outre, la MPA veille à l’application des législations en lançant de grandes batailles judiciaires, déjà mentionnées, pour faire respecter les nouvelles règles de droit et surtout supprimer les vides juridiques dont bénéficient souvent les pratiques frauduleuses
L’organisation encourage également les menées répressives contre les contrebandiers en collaborant avec les polices locales lors des investigations. À cet égard, les pressions hollywoodiennes exercées sur les instances politiques se sont également révélées décisives dans la poursuite des organisations illégales. Les opérations policières contre les « pirates » sont accomplies en étroite coordination avec les agences de la MPA. Ces investigations se sont concentrées en Asie où la copie illicite représente un manque à gagner annuel de 1,2 milliards de dollars. Sur ce continent, l’association a enquêté en 2007 sur 36 000 cas de piraterie tandis qu’elle a assisté les pouvoirs publics dans 13 000 raids qui ont conduit à la saisie de 31 millions de discs optiques illégaux, 40 lignes de productions de discs et 6 400 copieurs optiques. En outre, ces opérations ont mené à 10 000 actions judiciaires
. De vastes perquisitions sont organisées de manière transnationale, ce qui constitue la réponse appropriée aux groupes illégaux opérant sur Internet. À titre illustratif, l’opération « Fastlink » a été menée pendant 24 heures dans plus de dix pays, contre une centaine de membres appartenant au réseau « Warez » connu sous les noms de Fairlight, Kalisto, Echelon ou Class. Son succès résulte d’une étroite collaboration avec les représentants de multiples filières tels que la MPA, la RIAA, l’ESA et la BSA
. Notons que la MPA s’applique à remonter les chaînes multinationales de production et de distribution en analysant les « empreintes digitales » des Compact Discs
. Autant dire qu’elle joue un rôle stratégique et complémentaire de l’activité policière.
L’enchevêtrement étatico-hollywoodien au plan mondial révèle la réussite de l’association hollywoodienne car, comme Fernand Braudel l’affirmait, « le capitalisme ne triomphe que lorsqu’il s’identifie avec l’État, qu’il est l’État »
. Toutefois, il dépasse largement le simple partenariat public-privé, État-firmes. Concernant les fonctions régaliennes, ces combinaisons revêtent des configurations où les majors se trouvent au centre de la coordination transnationale par leur lobbying, leur apport informationnel et leurs capacités d’action. Précédant et accompagnant leur expansion, la MPA est engagée dans un lacis formé d’industries, de gouvernements, et de professionnels du cinéma. Cette position clef lui a permis de s’imposer comme nécessaire.
Aussi peut-on observer la place considérable des intérêts non-étatiques dans la promotion de la propriété intellectuelle et du libre-échange. Cet encadrement politique et légal s’apparente à un « constitutionnalisme global », car il pérennise la reproduction du capital audiovisuel à l’échelle mondiale
. Toutefois, l’action de la MPA ne se réduit pas à l’élaboration d’un droit international. Au contraire, elle est devenue cruciale dans l’application de ce dernier ; préconisant le cas échéant une répression dure de cette criminalité. En outre, le rôle structurant de la MPA rappelle combien même le marché reste « encastré » (embedded) dans un environnement particulier dont dépend l’expansion des firmes transnationales. Elle se fonde sur des éléments tant politiques, juridiques que socio-économiques qui doivent être agencées afin de permettre leur prospérité. Ce travail laborieux d’institution revient dans le domaine cinématographique au représentant des majors qui s’efforce aussi de changer les comportements individuels de consommation.