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La MPAA, une organisation puissante au service des studios

Considérée comme « le lobby le plus influent de l’industrie de l’entertainment » aux États-Unis, la MPAA assure toujours de nos jours la prospérité des grands studios hollywoodiens. Une position dominante qui ne la protège pas des critiques.

Temps de lecture : 16 min

Il est souvent affirmé que les sociétés hollywoodiennes se livrent sur le plan économique une concurrence féroce tandis qu’elles coopèrent sur le plan politico-sociale notamment au sein de la MPAA (Motion Picture Association of America). Or, si la première assertion a été remise en cause(1) , la deuxième mérite également d’être reconsidérée.

Sous l’acronyme MPPDA (Motion Picture Producers and Distributors of America), l’organisation représentative, à l'époque, des cinq grands studios hollywoodiens est fondée le 10 mars 1922. Débauché du cabinet du président d’alors, Warren G. Harding, William Hays prend la direction de cette association avec la mission de « de promouvoir les intérêts communs des professionnels du cinéma américain »(2) . Cet objectif articulé autour de deux axes : d’une part la promotion des films à l’international - déjà analysé lors d’un précédent article - et d’autre part la protection de la création contre l’intervention étatique et les critiques provenant des franges conservatrices de l’opinion publique. Il s’est traduit par des politiques élaborées d’autorégulation du cinéma et un lobbying actif auprès du gouvernement américain.

Il s’agira dans cet article d’analyser comment la MPAA contribue de nos jours à la prospérité des majors près d’un siècle après sa fondation. En effet, la configuration d’Hollywood a assurément changé : les studios sont devenus des firmes multinationales et multimédia en majorité détenues par des compagnies bien plus considérables dont la nationalité est souvent non-américaine tandis que leurs productions ont beaucoup évolué depuis l’ère classique du studio système. En outre, les contenus cinématographiques ne constituent plus le seul média et les salles de projection ne forment plus le centre privilégié de diffusion audiovisuelle. Ajoutons que la société américaine apparaît de nos jours bien plus fragmentée et ses demandes segmentées qu’au début du XXème siècle.
 

 

Nous observerons que l’autonomie du cinéma hollywoodien demeure politiquement et légalement bien préservée grâce au lobbying puissant de la MPAA, et qu’elle se trouve désormais aux prises avec des critiques toujours plus nombreuses et divergentes. Par ailleurs, son rôle de représentant de la Cité des anges est mis à mal par la fragmentation de la filière hollywoodienne.

L’autonomie d’Hollywood à tout prix

La MPAA demeure connue pour le Production Code sur lequel portent d’innombrables ouvrages(3) puis pour l’actuel système des ratings. En fait, souhaitant éviter la censure de ses films et l’intervention gouvernementale dans le secteur du cinéma, les majors ont successivement institué plusieurs mécanismes d’auto-contrôle. Ces derniers ont donné la possibilité aux studios de montrer aux publics le soin particulier porté au respect des bonnes mœurs et de la morale tandis qu’ils leur ont permis d’effectuer des économies substantielles en évitant de financer des films qui eussent été censurés par les autorités fédérales ou locales.

Depuis l’arrêt rendu par la Cour Suprême des États-Unis à propos du film Birth of a Nation (1915) de Griffith, les films considérés comme « un business, pur et simple » ne bénéficient pas de la protection de la liberté d’expression conférée par le 1er amendement de la constitution américaine(4) . Aussi les productions cinématographiques, et donc la prospérité d’Hollywood, se trouvent-elles menacées par l’ensemble des autorités publiques d’Amérique. Suscitant de vives critiques tant des comités de femmes dans les années 1910 que de la Ligue Nationale de la Décence des années 30 jusqu’aux années 60, les productions hollywoodiennes ont fait l’objet d’attaques et même de censures partielles ou totales.

Afin d’éviter ces dernières, est institué, le National Board of Censorship. Il prodigue alors des conseils non appliqués aux professionnels du secteur. À l’initiative de la MPDDA et soutenue par les grands moguls, une liste de don’ts and be careful est éditée et s’impose à la faveur d’affaires médiatiques, telles que celle de Roscoe Arbuckle(5) , et de mouvements de mécontentements à l’encontre du milieu hollywoodien. Cette autorégulation des contenus se développe tant et si bien qu’en 1924, William Hays se targue d’avoir rejeté 67 histoires(6) . Tandis que ce contrôle est resté jusqu’alors informel, il s’institutionnalise à la suite du grand boycott de la Légion de la Décence en 1934. Un Production Code est alors édité. Écrit par deux figures de l’Amérique catholique(7) , cet ouvrage recense des règles dont les principes se résument de la sorte : le péché ne paie jamais, il n’est d’amour durable et véritable que dans le mariage et les populations doivent respecter leur gouvernement. De manière concomitante, est institué un service (Production Code Administration) qui délivre un certificat d’approbation. Si un film n’obtient pas ce dernier, il n’aura pas accès aux réseaux d’exploitation des cinq grandes majors (MGM, RKO, Fox, Warner, Paramount) L’intervention du Studio Relations Committee et de la Production Code Administration s’impose alors à toutes les étapes de la production : lors de l’écriture, de la réalisation et du montage du film. Il s’agit donc de limiter les interventions du politique et de ne pas gêner le status quo social. À titre illustratif, les productions hollywoodiennes veillent à ne pas présenter les noirs et les blancs sur un pied d’égalité afin de ne pas choquer les marchés du sud-est américain et de ne pas dépeindre de façon trop caricaturale certaines catégories socio-professionnelles ou corporations industrielles et commerciales(8) . Alors que ces règles sont souvent dépeintes comme la conséquence d’une société puritaine et de producteurs soumis aux publics, d’aucuns ont souligné que ce code ne reflétaient pas tant les pressions sociales qu’une réponse stratégique des studios à celles-ci(9) . Il est par ailleurs révélateur qu’un contrôle similaire ait été appliqué sur les films à l’exportation dont les contenus ont pu être modifiés ou tout simplement non distribués dans certains pays comme The Big Carnival (1951) de Billy Wilder(10) .

Toutefois, ce code a perdu progressivement de sa valeur à partir des années 50 avec le revirement de la Cour suprême qui considère, à travers l’arrêt rendu en 1952 au sujet du film Miracle de Rosselini, les films protégés par l’amendement 1 de la Constitution sur la liberté d’expression. Ainsi ne risquent-ils plus d’être censurés par les autorités du pays. Par ailleurs, certains artistes se sont montrés davantage rétifs à cette autocensure comme Otto Preminger qui viola de manière répétée le code à travers ses films tels que The Moon Is Blue (1953) et The Man With the Golden Arm (1955). À la fin des années 50, l’autorité de la PCA est davantage affaiblie par le film Some Like It Hot (1959) de Billy Wilder qui obtient un succès exceptionnel sans avoir reçu le certificat de la PCA. Le déclin résulte aussi d’une certaine libéralisation de la société américaine et surtout des transformations du secteur audiovisuel comme l’émergence de la télévision, et la fin de l’ère classique du studio système avec cinq grandes majors contrôlant les acteurs, les salles de projection et les producteurs. À cet égard, il faut souligner que désormais les réseaux d’exploitation n’appartiennent plus aux studios hollywoodiens. En outre, de manière décisive, la segmentation du marché audiovisuel, répondant aux nouveaux médias et à l’émergence de nouveaux publics, rend le code obsolète en ne proposant qu’un style de films et donc en ne s’adressant qu’à un seul type de public. Il a pour conséquence de couper la filière cinématographique d’autres publics potentiels(11) .

Aussi étant devenu impossible de l’appliquer, le Production code est abandonné au profit d’un système des ratings qui permet aux majors de répondre aux nouvelles attentes du public tout en permettant aux parents de se repérer quant aux films à aller voir avec leurs enfants et de rassurer les mouvements conservateurs de la société américaine. Mis en application en 1968 par le directeur de l’organisation représentative nouvellement nommé, Jack Valenti, ce système se décline de la manière suivante : la licence G indique que le film peut être regardé par tous les publics, PG qu’il peut être regardé par les enfants sous la surveillance de leurs parents tandis que le certificat PG-13 indique que certaines scènes du film sont susceptibles de heurter les enfants âgés de moins de treize ans. Enfin, R exige l’accompagnement parental pour les spectateurs âgés de moins de 17 ans et NC-17 interdit l’accès aux salles pour les moins de 17 ans. La classification évolutive de ces films s’opère d’après une logique proche de celle du code de production comme le degré de violence, les niveaux de langage, la présence de drogue et de sexualité(12) . Elle reste un sujet de polémique dans le milieu hollywoodien à propos de la mise en cause de son impartialité et de ses critères de certification(13) alors qu’elle demeure un enjeu pour les majors car le certificat oriente inévitablement les publics et donc les recettes que rapportera le film(14) . Ainsi retrouve-t-on une logique similaire à celle du Production code, qui en est inspirée. Elle poursuit l’orientation des publics et produit une homogénéité des œuvres hollywoodiennes, en s’adaptant à des publics davantage segmentés, multiculturels, à une société moins conformiste et puritaine et dans un contexte d’abondance audiovisuelle. Non seulement la MPAA est-elle conduite à intervenir auprès du grand public mais aussi du gouvernement américain.

Un lobbyiste : quand Hollywood va à Washington

Comme toutes les organisations représentatives de grandes entreprises, la MPAA bénéficie auprès du gouvernement américain d’une « position privilégiée » pour reprendre les termes de la théorie pluraliste du système politique américain(15) . Représentant une industrie prospère et exportatrice, elle a été très tôt soutenue à l’étranger par le gouvernement américain. Elle forme une organisation élaborée avec des bureaux nationaux et internationaux. Ses financements sont sans comparaison dans le milieu du cinéma(16) . Ensuite, comme développé dans un précédent article sur la MPAA(17) , cette dernière est consultée sur nombre de sujets comme la propriété intellectuelle, les accords commerciaux avec les pays étrangers et les questions d’ordre audiovisuel. En outre, en tant que membre de l’International Intellectual Property Alliance, elle est associée aux décisions qui mènent à la mise sur la sellette d’États et le cas échéant à leur condamnation pour « unfair trade practices » (pratiques commerciales déloyales) par les sections 301 et 306 de la loi sur le commerce(18) .

Outre les fonds de cette association, les studios hollywoodiens exercent une influence sur la politique de Washington car ils disposent de formes multiples de capitaux. En effet, l’aura de leurs acteurs, l’impact de leurs symboliques et leur capacité à mobiliser la société américaine s’avèrent autant d’enjeux pour les hommes politiques qui expliquent la proximité des majors avec les plus hauts dirigeants d’Amérique. N’oublions pas que parmi les anciens présidents des États-Unis figure même un acteur, Ronald Reagan. Les élections constituent l’occasion d’engagements pour beaucoup de vedettes qui soutiennent publiquement le candidat de leur choix(19) . Il importe de préciser que la star détient dans ce pays un statut comparable à celui de l’intellectuel outre-Atlantique. Autant dire que le représentant des studios occupe un rôle de choix dans les milieux gouvernementaux. Les hommes politiques se pressent notamment pour aller aux soirées cinéma de la MPAA, située à quelques mètres de la Maison Blanche à Washington.

Les majors ont toujours nommé au sommet de l’association des personnalités intimement liées avec les autorités fédérales : avant d’être à la tête de l’association, Will H. Hay, avocat de formation, a travaillé au Comité national républicain et a occupé la position de secrétaire aux Postes et Télécommunications durant l’administration Harding. Il en est de même pour Jack Valenti qui a figuré parmi les plus proches conseillers du président Lyndon Johnson et concernant son successeur, Dan Glickman, il a passé 35 ans de sa carrière au Congrès et comme ministre de l’Agriculture sous l’administration Clinton(20) .
 

 

Quant à l’actuel patron, il a assumé la position de sénateur pendant 36 ans(21) . Malgré le système de certification mentionné précédemment, les critiques à l’égard d’Hollywood n’ont pas faibli.

La MPAA face aux publics : des communicants pris en étau

Représentant les studios dans la société civile comme auprès des autorités politiques, la MPAA s’est toujours trouvée confrontée à des problèmes d’adaptation socio-culturelle et à des critiques cinglantes. Ces dernières ont porté sur les contenus qui ne semblent pas conformes aux idéaux et mœurs de la société américaine. Les films qui mettent en scène des comportements licencieux comme les longs métrages violents et irrespectueux des institutions sociales ont recueilli la part la plus importante de leur opprobre. À l’image d’un William Hays qui devançait ses critiques en allant à la rencontre des groupes éducatifs, religieux et civiques(22) , la MPAA organise la défense de ses productions au cours de nombreuses cérémonies, conférences et festivals(23) . En effet, il s’agit non seulement pour un art tel que le cinéma de trouver l’inspiration porteuse ou le concept-clef qui fera d’une production un succès, mais aussi de correspondre aux mœurs diverses d’une société : ni choquer et, à l’inverse, ni rebuter par un trop grand conformisme. Conscientes de l’impact considérable des films et du retentissement de cette véritable « forme d’art populaire »(24) , ces organisations rassemblant les mécontents prennent à partie Hollywood en l’accusant de corrompre la jeunesse et de favoriser la violence.

L’organisation est prise en étau entre les tendances conservatrices nostalgiques du passé qui regrettent la libéralisation morale, et les associations libérales qui la perçoivent comme le représentant anachronique de firmes rétrogrades. Devant l’évolution de la cinématographie hollywoodienne vécue par certains comme un relâchement moral, les groupes conservateurs ont organisé de nombreux boycotts. Le film Brodeback Mountain (2005) portant sur l’amour homosexuel de deux cowboys a suscité de nombreuses réactions de protestation. Si leur impact économique reste réduit, elles contribuent cependant à ternir l’image des compagnies hollywoodiennes et rencontrent souvent un large écho dans l’opinion publique. Se préoccupant surtout de la jeunesse, des églises évangélistes ainsi que des associations catholiques ont concentré leurs critiques sur la firme Disney. Ils ont notamment encouragé leurs fidèles à ne plus acheter Disney de 1996 à 2005.
 

 

L’American Family Association, la Catholic League for Religious and Civil Rights, l’American Life League et les Anabaptistes du Sud lui ont reproché de promouvoir l’homosexualité et de financer des films de Miramax. Cette dernière entité dirigée par les frères Weinstein a produit de nombreux longs métrages comme The Priest (1994), Pulp Fiction (1994), Dogma (1999) et Kids (1995), qui pouvaient paraître irrespectueux de la religion et emprunt de violence. Essayant de séduire ces audiences et de répondre à leurs attentes en matière de cinéma, les producteurs d’Hollywood ont développé une programmation centrée sur les centres d’intérêts de l’Amérique profonde comme les films religieux tels que Passion of Christ (2004) ou Nativity (2006).

À l’inverse de cet excès de libéralisme dont on lui a fait grief, Hollywood se voit régulièrement accusé de véhiculer des stéréotypes raciaux et des valeurs conservatrices. À cet égard, le cas de la firme Disney demeure révélateur de cet étau complexe qui renvoie à la diversité et aux contradictions de la société américaine elle-même. Selon les gender studies, Disney ferait des femmes des êtres passifs, comme en témoignent effectivement les rôles tenus par Jasmine dans Aladdin (1992) ou l’héroïne de La Belle et la Bête (1991). En outre, il lui a été reproché de représenter de manière éhontée les Africains, les Juifs ou les Arabes dans Aladdin. Quant aux Afro-américains et aux Hispaniques, ils apparaîtraient sous les traits de hyènes dans le Roi Lion (1994). Des associations telles que The Queer Nation ou l’Alliance des Homosexuels et des Lesbiennes contre la Diffamation (GLAAD) se sont plaintes du manque de reconnaissance à l’égard des amours non-hétérosexuels et plus largement des minorities, bien qu’on ait observé ces dernières années un changement d’attitude des majors à l’égard des groupes minoritaires(25) . Ces critiques ont conduit Disney à réaliser un film sur l’Indienne Pocahontas. Plus récemment, la firme a sorti The Frog Princess (2009), long métrage où le rôle-titre est tenu par une jeune Afro-américaine. Depuis 1991, la compagnie organise à Disney World le jour des homosexuels qui, en 1998, a rassemblé 60 000 visiteurs. Dernièrement, elle a même autorisé dans ses parcs les unions entre des personnes du même sexe(26) . Aussi les studios comme leur représentant se trouvent-ils au milieu de ce que les Américains appellent la Culture War(27) , ce qui contrarie le consensus souhaité par les majors pour une diffusion toujours plus large de leurs productions. Bien que la MPAA bénéficie d’une légitimité et crédibilité historique auprès des autorités fédérales, son prestige et sa capacité à représenter Hollywood font désormais défaut.

Un représentant contesté d’Hollywood

La MPAA est généralement considérée comme le porte-parole de la filière cinématographique. Classée bien avant la National Association of Broadcasters, le représentant des chaînes audiovisuelles, elle a été qualifiée par le magazine Fortune comme « le lobby le plus influent de l’industrie de l’entertainment »(28) . Bien que d’autres organisations influentes existent dans le secteur, l’action de la MPAA — particulièrement sa lutte contre la piraterie et les barrières douanières — et son importance historique lui ont conféré une légitimité considérable dans les milieux hollywoodiens(29) .

Toutefois, des brèches sont apparues ces dernières années dans le consensus favorable à cette association. En fait, avec la mondialisation de leurs activités, les grands studios ont montré un désintérêt pour le bien commun du cinéma américain. La « dénationalisation » qu’entraînent les transformations globales a ouvert des possibilités de produire à moindre coût hors de Californie(30) . La convergence des intérêts qui prévalaient jadis entre les studios et les professionnels du cinéma américain a volé en éclats à cause des restructurations productives que génère la mondialisation. En outre, la plupart des pays souhaitant attirer des investissements internationaux ont mis en place des politiques d’aide favorables aux investisseurs étrangers et ont formé de la main d’œuvre bon marché(31) . Autrement dit, les États ont cherché à encourager la compétitivité de leur économie(32) . Par conséquent, les délocalisations se sont intensifiées dans les années 2000, représentant entre 2000 et 2006, 23 milliards de dollars(33) . Tant dans les séries télévisées que dans le cinéma, un nombre grandissant d’œuvres est réalisé à l’étranger. Les professionnels californiens ont cherché à se mobiliser en faveur d’une taxe spécifique sur les entreprises investissant hors d’Amérique. Ainsi une pétition a-t-elle été remise au Secrétaire au Commerce par le Comité Action Film and Television Made in the USA et la Screen Actors Guild en faveur d’un droit de douane imposé aux contenus produits au Canada. Cependant, une large opposition s’est formée à l’initiative de la MPAA et des Producers and Directors Guilds of America(34) . Ces événements ont mis en lumière des divergences dans le secteur hollywoodien. Autant dire que le centre du cinéma-monde est également affecté par la mondialisation. La restructuration des activités productives oblige par conséquent la MPAA à reconsidérer ses relations avec les professionnels du cinéma. Bien que la baisse du dollar et la crise aient ces dernières années contribué à rendre les États-Unis plus attractifs du fait de la baisse des coûts de production et de l’aubaine que représente la production à l’international, les délocalisations des productions se poursuivent. Cette transnationalisation productive correspond à un mouvement de fond que des effets conjoncturels ne peuvent masquer. À présent, ce qui est bon pour les majors n’est plus toujours bon pour la filière.

Outre les tensions à l’égard du reste du secteur hollywoodien, la MPAA est traversée par des rivalités et des fractures internes qui la fragilisent. Alors que naguère le jeu de l’expansion nationale et internationale faisait des conquêtes de chacun des membres un jeu à somme positive pour Hollywood, les majors intégrées au sein de groupes monopolistiques et mondiaux se livrent une compétition et une course à l’expansion où les acquisitions de l’une se déroulent au détriment de l’autre. Par exemple, la compagnie Disney a essayé d’empêcher la fusion de Time-Warner et d’AOL bien qu’elle-même soit devenue un géant des médias avec le rachat d’ABC en 1995(35) . L’étendue des fusions-acquisitions a menéeacute; à la formation d’entités qui se concurrencent non seulement dans la filière  cinéma mais aussi dans les domaines plus larges de l’audiovisuel, du multimédia et des télécommunications, ce qui contribue à accroître les enjeux de certaines décisions prises au sein des studios. En effet, ils appartiennent à des conglomérats qui détiennent également les entreprises-fournisseurs du câble et du satellite comme DirecTV ou Comcast grâce auxquels les chaînes de télévision sont diffusées(36) . Alors que les conflits de pouvoir restent souvent dissimulés, ils apparaissent au grand jour lors d’évolutions de marchés et de créations de nouveaux débouchés. À titre illustratif, l’essor des technologies de haute définition a provoqué une opposition durable sur le type de support DVD à adopter. Alors que la Columbia, la MGM, la 20th Century Fox et Disney ont soutenu le modèle Blu-ray lancé par Sony — firme qui détient les deux premiers studios qui viennent d’être cités — Universal, Paramount et Warner ont opté pour le HD DVD développé par Toshiba. Bien que chaque partie évoque des raisons technologiques pour justifier leur choix, cette confrontation de normes reste dominée par des rivalités de groupes qui souhaitent s’imposer sur le marché de la haute définition(37) . Concernant Internet, des tensions sont aussi apparues. Par exemple, Viacom a porté plainte contre le site Youtube et a demandé 1 milliard de dollars de dommages et intérêts pour diffusion illégale de contenus(38) .

La MPAA occupe une fonction essentielle dans la prospérité de la filière hollywoodienne. En effet, elle accompagne son développement car elle s’assure la bienveillance de Washington et la diffusion du cinéma. Alors que la fragmentation de la filière et la segmentation des publics ont rendu l’application du code de production obsolète, elle a mis en place le système des ratings qui apaise les critiques et oriente les publics à travers la profusion des sorties cinématographiques. Toutefois, les recompositions de la mondialisation à l’œuvre dans la filière cinématographique et la diversité de la société américaine dressent des obstacles contre la légitimité et l’activité de la MPAA. Elles créent des tensions à l’intérieur même du milieu tandis que les productions américaines sont la cible de critiques croisées venant tant des conservateurs que des libéraux. Par conséquent, cette organisation héritée de l’ère classique d’Hollywood a su s’imposer au plan national comme une institution nécessaire bien qu’elle ait perdu la fonction essentielle de sa création.

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Crédits photo :
- Image principale, capture d'écran du site de la MPAA

    (1)

    Douglas Gomery, The Hollywood Studio System : a History, Londres, British Film Institute, 2005 ; Janet Wasko, How Hollywood Works, Londres, Sage, 2003.

    (2)

    Citation mentionnée par Douglas Gomery. Cf., Gomery, The Hollywood Studio System, op. cit., p. 65.

    (3)

    Olivier Caïra, « Hollywood face à la censure. Discipline industrielle et innovation cinématographique 1915-2004 », Paris, CNRS Editions, 2005 ; Thomas Schatz (Ed.). « Hollywood : Social Dimensions : Technology, Regulation and the Audience », Piscataway (NJ), Rutgers, 2004. Le production Code est également appelé Hays Code du nom du premier chef de la MPAA qui a initié sa mise en place. 

    (4)

    Jean-Loup Bourget, Hollywood. La norme et la marge, Paris, Armand Colin, 2005, p. 123 sq.

    (5)

    Pour davantage d’informations sur cette affaire, Stephen Vaughn, « Morality and Entertainment : The Origins of the Motion Picture Production Code », The Journal of American History, June 1990, 77 (1), pp. 39-65.

    (6)

    Douglas Gomery, The Hollywood Studio System, op. cit., p. 67.

    (7)

    Le rédacteur de Motion Picture Herald, Martin Quigley, et le Père Jésuite Daniel A. Lord.

    (8)

    Jacqueline Nacache, Hollywood, l’Ellipse et l’infilmé, Paris, L’Harmattan, 2001, pp. 221-223.

    (9)

    Cf., Lea Jacobs, « Industry Self-Regulation and the Problem of Textual Determination », in : Matthew Bernstein (Ed.), Controlling Hollywood. Censorship and Regulation in the Studio Era, London, The Athlone Press, 2000, pp. 87-101.

    (10)

    Gomery, The Hollywood Studio System, op. cit., p. 181 ; Ruth Vasey, « Beyond Sex and Violence : ‘Industry Policy’ and the Regulation of Hollywood Movies, 1922-1939 », Bernstein (Ed.), Controlling Hollywood, op. cit., pp. 102-129.

    (11)

    Cf., Justin Wyatt, « The Stigma of X : Adult Cinema and the Institution of the MPAA Ratings System », in : Bernstein, Controlling Hollywood, op. cit., pp. 238-264.

    (12)

    Stephen Prince (Ed.), Screening Violence, Piscataway (NJ), Rutgers, 2000.

    (13)

    La très sérieuse Harvard School for Public Health a sorti une analyse concluant à la baisse des exigences dans le système des ratings. Pour plus d’informations sur cette étude, cf., Roger Chapman (Ed.), Culture Wars: An Encyclopedia of Issues, Viewpoints and Voices, vol. 1, Armonk, M. E. Sharpe, 2010, pp. 370-371. 

    (14)

    Joan Graves, « MPAA Ratings Chief Defends Movie Ratings », 2 Feb. 2011, Hollywood Reporter, disponible sur le site hollywoodreporter.com.

    (15)

    Charles E. Lindblom, Policy-Making Process, Englewood Cliffs, Prentice-Hall, 1980, p. 71 sq.

    (16)

    Bien que le budget de la MPAA ait été abaissé de 29 millions de dollars depuis 2007, il reste en 2010 de 64 millions dont 1,7 million est consacré au lobbying stricto sensu auprès du gouvernement américain. Cf., Jim Puzzanghera, « Christopher Dodd Brings Hollywood Glitz Back to Washington », Los Angeles Times, May 10 2011.

    (17)

    Cf., Alexandre Bohas, « The MPA or the Global Diplomacy of Hollywood Majors », Inaglobal, 17 juin 2011.

    (18)

    Pour davantage d’information, cf. le site de l'IIPA.

    (19)

    Jill Goldsmith, Pamela McClintock, « H'wood Bets Its Schmooze Can’t Lose », Variety, 380 (12), 6 Nov. 2000, p. 1.

    (20)

    Broadcasting & Cable, 20 Dec. 2004, p. 23; Film Journal International, August 2004 ; Le Monde, 4 Mai 2007, p. 27.

    (21)

    Puzzanghera, « Christopher Dodd Brings », op. cit.

    (22)

    Richard Maltby, « The King of King and the Czar of All the Rushes: The Propriety of the Christ Story », in: Controlling Hollywood, op. cit., pp. 60-86.

    (23)

    Au premier rang de ces événements figure la remise des Oscar par l’Academy of Motion Picture Arts and Sciences qui célèbre le cinéma à travers les récompenses des films de l’année.

    (24)

    Erwin Panofsky, « Style and Medium in the Motion Pictures, in: Irvin Lavin (Ed.), Three Essays on Style, New York, MIT Press, 1997, pp. 91-128.

    (25)

    Anthony Sprauve, « Out of the Closet », in : 62nd Anniversary Issue, Hollywood Reporter, 1992, p. 36 ; Steve Chagollan, « Attitude Adjustment », Hollywood Reporter 64th Anniversary Issue, 1994, p. 22.

    (26)

    Frank Ahrens, « Disney’s Theme Weddings Come True for Gay Couples », Washington Post, 7 April 2007, p. A1. Pour plus d’information sur le cas de Disney, Cf., Alexandre Bohas, Disney. Un capitalisme mondial du rêve, Paris, L’Harmattan, 2010.

    (27)

    Cf., Chapman, Culture Wars, op. cit. ; James D. Hunter, Culture Wars : The Struggle to Define America, New York, Basic Books, 1991.

    (28)

    "Broadcasting & Cable", 20 December 1999, p. 19; "Mediaweek", 6 June 2005, p. 12.

    (29)

    Variety, 21 March 2004.

    (30)

    Siski Sassen, « Globalization or Denationalization », Review of International Political Economy, 2003, 10 (1), p. 22.

    (31)

    Center for Entertainment Industry Data and Research, The Global Success of Production Tax Incentives and the Migration of Feature Film Production From the U.S. to the World, 2006, Year 2005 Production Report.

    (32)

    Cerny Philip, « Restructuring the Political Arena: Globalization and the Paradoxes of the Competition State », in : Randall Germain (Ed.), Globalization and its Critics, Perspectives from Political Economy. Basingstoke, Macmillan, 2000, pp. 117-138.

    (33)

    Hollywood Reporter, 1-7 August 2006, p. 3 (62) ; Variety, 31 July 2006.

    (34)

    Hollywood Reporter, 12 Dec. 2001, p. 4.

    (35)

    Variety, 31 July 2000, p. 6.

    (36)

    Variety, 15 May 2000, p. 15; Variety, 13 March 2000, p. 35.

    (37)

    Variety, 13 December 2004.

    (38)

    Le Monde, 15 mars 2007, p. 18.

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