Prépondérance des revenus américains
Dans ce contexte marqué par une chute des audiences aux Etats-Uniset afin de rassurer les actionnaires de Time Warner, Phil Kent, le PDG de Turner Broadcasting System, a pour la première fois rendu public en juin 2010 des détails sur la composition de ses résultats financiers. On apprend ainsi que CNN a généré autour de 1,6 milliard de recettes en 2009. Par cette action, la chaîne que l’on savait jusqu’alors peu prolixe pour divulguer son chiffre d’affaires apporte aussi des éléments sur l’importance relative de ses activités américaines et internationales.
Source : graphique adapté de la page 56 de cette présentation.
Le graphique ci-dessus montre que quatre-cinquième des revenus de CNN proviennent du marché américain, où elle a bâti son développement sur deux piliers : les ressources du câble et celles de la publicité. CNN obtient plus du tiers de ses revenus du seul secteur du câble aux Etats-Unis, source d’une priorité telle qu’elle est inscrite jusque dans le nom même de la chaîne – Cable News Network. En 2009, chaque abonné payait en moyenne mensuelle près de
50 centimes de dollar pour recevoir CNN US, fournissant de la sorte une recette annuelle de près de 580 millions de dollar à la chaîne. Les revenus cumulés de la publicité pour CNN US et sa filiale HLN atteignaient 513 millions de dollar, un chiffre toutefois bien inférieur à celui de Fox News.
Plus largement, les opérations internationales de CNN représentent seulement un cinquième de l’ensemble de ses revenus, soit un montant que l’on peut estimer à autour de 325 millions de dollars pour 2009. Les seuls revenus publicitaires du prime de CNN US correspondent à l’ensemble de ceux générés par la vente d’annonces sur CNNI. Ce différentiel de taille entre les résultats produits aux Etats-Unis et à l’international pourrait de prime abord surprendre, les activités conduites dans un seul pays réalisant des revenus quatre fois supérieurs à celles menées dans le reste du monde. La raison principale de ce décalage se trouve dans le positionnement grand public de CNN sur le marché américain, au contraire de son audience internationale de niche.
Autour de trois cent personnes travaillent au sein de la régie commerciale intégrée de CNN pour attirer les acheteurs d’espaces publicitaires. Sylvain Roger souligne, depuis les locaux français de la maison mère Time Warner situés en périphérie de Paris, l’avantage comparatif de CNN : « notre chaîne est leader sur tous les marchés sur sa cible haut de gamme. Les annonceurs se tourneront donc d’abord vers nous, puis dans un second temps vers d’autres chaînes en complément », selon leurs intérêts géographiques ou culturels propres. En la matière, seul un petit nombre d’annonceurs – multinationales de la finance, de l’énergie, du luxe ou Etats visant la promotion du tourisme – recourent aux chaînes du type de CNNI. Pour la plupart d’entre eux, les médias internationaux sont peu adaptés, notamment du fait du positionnement différent de leurs produits d’un marché à l’autre.
CNNI réalise néanmoins une performance unique. Elle constitue la seule chaîne d’informations internationales rentable du marché et l’aurait été
dès sa création. Toutes les autres recourent à des fonds publics pour couvrir leurs coûts. A titre d’exemple, à l’issue de son deuxième exercice en 2008, France 24 dégageait seulement
2% de ressources propres et BBC World News obtenait
63 millions de livres ou près de 100 millions de dollar de revenus publicitaires pour l’année budgétaire 2009. Par comparaison et à la vue du graphique ci-dessus, on peut estimer que les revenus publicitaires de CNNI dépassent ceux de la chaîne britannique d’au moins une vingtaine de millions de dollars.
En somme, l’importance du chiffre d’affaires de CNNI comparé à celui de CNN US s’avère bien moindre. Quelles en sont les conséquences sur la création de contenus ? Les efforts se concentrent-ils d’abord sur le marché américain, générateur de plus larges revenus ? Selon le correspondant de Paris pour CNNI, Jim Bittermann, les résultats d’audience aux Etats-Unis ne changent pas sa façon de travailler : « nous couvrons les actualités selon leur intérêt propre et non en se disant qu’elles vont accroître l’audience. » Il poursuit sur le fonctionnement de la rédaction : « Depuis que je travaille pour CNNI, je propose des sujets au service international, qui les suggère ensuite aux producteurs d’émissions. De même, la moitié des idées de reportages proviennent du service international. »
D’autres reporters notent que les chaînes américaine et internationale ne partent pas sur un pied d’égalité. Un intérêt plus fort pour CNN US se manifeste, en effet, à différents stades de la production des nouvelles. En période d’actualité brûlante, les présentateurs de CNN US s’avèrent prioritaires pour faire intervenir des correspondants en direct dans leurs émissions, y compris lorsqu’il s’agit d’un sujet d’ordre international, nous explique un journaliste de CNNI en poste à Atlanta. De même, Rebecca McKinnon, ancienne correspondante à Pékin, rapporte qu’en 2003-2004, les chefs de bureau à l’étranger ont été
informés qu’ils devaient consacrer la priorité à CNN US dans leur travail et s’assurer de la pertinence de leurs reportages auprès des audiences américaines. Elle nous explique que, six ans plus tard, la chaîne américaine continue de largement décider de l’ordre du jour de CNNI.
Propriété du groupe Time Warner, dont le cours en bourse est lié aux résultats de ses filiales, CNN vise à maximiser ses profits et sa rentabilité. De ce fait, l’antenne américaine revêt une importance particulière pour sa maison mère, car elle constitue la première source de revenus de CNN Worldwide. Instigateur du marché de l’information télévisée en continu, CNN dispose d’équipes proprement mondiales et se déploie sur une pluralité de plateformes. Toutefois, pour le groupe d’Atlanta, les activités nord-américaines restent les plus à mêmes d’assurer des profits.