La politique culturelle à la recherche d’un second souffle

La politique culturelle à la recherche d’un second souffle

Selon quelles logiques la politique culturelle française fonctionne-t-elle ? Comment les formes de son action devraient-elles être adaptées au contexte contemporain ?

Temps de lecture : 5 min

L’intervention publique en matière culturelle est soumise aux mouvements de la mondialisation, de la conjoncture économique et de l’alternance politique, mais également aux mutations sociales, industrielles et technologiques qui ne manquent pas d’affecter les modalités de création, de diffusion et de consommation des œuvres. Autant dire qu’il s’agit d’une question complexe, qui appelle des réponses adaptées à un monde qui évolue rapidement et emprunte des directions échappant en partie au contrôle de l’autorité publique.

Professeur à l’université Paris XIII, Françoise Benhamou consacre à ce sujet son dernier essai, qui s’inscrit dans une démarche de synthèse. L’économiste y souligne à quel point la politique culturelle paraît aujourd’hui traversée par des objectifs contradictoires, parfois difficiles à faire tenir ensemble. L’essentiel de sa réflexion, qui n’embrasse pas tout le champ de l’action publique dans le domaine culturel mais s’articule autour de quelques enjeux centraux, montre qu’il est nécessaire d’opérer des arbitrages entre un certain nombre de buts à atteindre, dont la mise en tension pose régulièrement problème, tout en envisageant des pistes de réformes à mettre en place dans l’avenir.

Perspective globale, nationale et locale

L’articulation entre l’échelle globale, nationale et locale constitue actuellement l’un des aspects décisifs de la politique culturelle. Selon Françoise Benhamou, « tandis que la référence à une exception française demeure au cœur de la politique culturelle, les cartes sont rebattues au niveau international comme au niveau des relations entre le ministère de la Culture et les acteurs locaux de l’intervention publique ».
 

  La politique européenne en faveur de la culture est marquée par la faiblesse de son budget 
D’un point de vue international, le retour de la notion d’« exception culturelle », longtemps relayé au second plan au profit de celle de « diversité culturelle », est observé sous l’égide d’Aurélie Filippetti à partir de 2013. À l’heure où sont entamées les négociations entourant le TTIP (Traité de libre-échange transatlantique)(1) , à propos duquel le Gouvernement français est intervenu afin d’exclure de ce cadre les services audiovisuels, la thématique de l’ « exception » est apparue comme un moyen de défendre la production culturelle nationale et européenne face aux géants d’Internet et à la toute-puissance américaine. En dehors de ce traité en cours d’élaboration, la politique européenne en faveur de la culture est marquée par la faiblesse de son budget(2) et par une fiscalité parfois inadaptée(3) .

L’échelle nationale, quant à elle, est d’abord prise en charge par les services du ministère de la Culture et de la Communication, dont le budget, en baisse en 2013 et en 2014, s’élève en 2015 à 3,4 milliards d’euros, auxquels s’ajoutent 1,8 milliard en dépenses fiscales et 0,8 milliard en taxes dont le montant est alloué à diverses institutions culturelles (CNC, CNL, CNV, Inrap). D’autres ministères, comme ceux de l’Enseignement Supérieur, de l’Éducation nationale et des Affaires étrangères, organisent également des actions en faveur de la culture, pour un montant d’une valeur de 3,6 milliards d’euros. Afin de justifier les dépenses engagées, l’argument des retombées économiques est de plus en plus avancé, mais Françoise Benhamou nous invite à nous méfier de cet « exercice à la mode qui s’attelle à montrer que la culture rapporte bien plus qu’elle ne coûte » et qui aboutit généralement à des résultats surestimés.

Au niveau local, les collectivités territoriales apparaissent comme des acteurs fortement impliqués, avec une enveloppe de 7,7 milliards d’euros en 2010, mais la tendance est aux économies et de nombreuses structures sont touchées par les réductions budgétaires, contraintes de revoir les dimensions de leur projet ou de fermer leurs portes. Au moment où la réforme territoriale s’apprête à redéfinir notre paysage institutionnel, Françoise Benhamou rappelle qu’il est prévu que la culture reste une compétence partagée entre les différents types de collectivités et propose d’en profiter pour valoriser des projets de participation citoyenne et pour revoir le périmètre d’action des DRAC (Direction des Affaires Culturelles), relais du ministère en région.

Composer avec de multiples paradoxes

L’irruption du numérique, qui bouleverse aussi bien les pratiques des consommateurs que les modèles économiques, tend à remettre en cause les catégories antérieurement établies et « questionne l’organisation de la politique culturelle qui repose encore aujourd’hui sur une architecture en silos », c’est-à-dire sur une séparation entre les différents domaines d’intervention culturels. Face au poids des géants du numérique, le ministère de la Culture est amené à coopérer avec d’autres ministères afin de définir une politique plus globale qui intègre notamment les problématiques relatives aux données personnelles, aux pratiques d’optimisation fiscale, aux situations de monopoles et de concurrence déloyale.

À l’heure actuelle, les autres difficultés rencontrées par la politique culturelle tiennent largement à la confrontation de l’action publique à un ensemble de paradoxes : il s’agit d’accompagner le mouvement de transition vers le numérique sans pour autant abandonner le monde physique ; de continuer à soutenir la création et à aider les acteurs de la culture, tout en évitant l’éparpillement des aides et en recentrant les soutiens publics ; d’œuvrer en faveur de la démocratisation culturelle et de la diversité, dans un contexte où l’industrialisation du secteur et les technologies numériques tendent à favoriser les phénomènes de vedettariat ; d’équilibrer la gestion d’objectifs à court terme avec la nécessité d’obtenir des résultats sur le temps long. À l’arrivée, l’impression qui domine est celle d’être face à la quadrature du cercle, à un problème aux multiples facettes, auquel il paraît particulièrement épineux d’apporter des réponses durables et efficaces.

De nouveaux horizons d’intervention

Tout au long de sa démonstration, Françoise Benhamou délivre des idées de réformes et dessine des perspectives de changements pour les politiques culturelles. Dans le nouvel horizon qu’elle envisage, quelques lignes de force se dégagent.

En premier lieu, il convient de privilégier une vision de long terme afin de redéfinir en profondeur le champ d’intervention des pouvoirs publics en prenant en compte les multiples transformations à l’œuvre dans la société et en se concentrant sur les dimensions essentielles de la politique culturelle (« le soutien à l’excellence », « le travail en direction de tous les publics », « la coopération avec d’autres acteurs »).
 

 Le mécénat présente un coût non négligeable pour la collectivité  
Ensuite, l’économiste insiste sur la nécessité de revoir les rapports public-privé, à travers la question du mécénat, qui constitue une ressource complémentaire intéressante pour la politique culturelle, mais qui ne doit pas se substituer aux autres modes de financements et dont l’inconvénient est de présenter un coût non négligeable pour la collectivité (sous la forme d’avantages fiscaux), de créer une dépendance vis-à-vis des partenaires privés qui peut être lourde de conséquences lorsque ceux-ci se désengagent, et d’accroître les inégalités en se concentrant sur les institutions culturelles les plus prestigieuses.

Troisièmement, Françoise Benhamou plaide en faveur d’une nouvelle gouvernance. L’idée est d’aller dans le sens d’un ministère de la Culture au périmètre allégé, dont le rôle serait à rapprocher de celui d’un « passeur » ou d’un « facilitateur ». Une telle mise en retrait passerait par une diminution des lourdeurs administratives, une délégation de prérogatives à des commissions ou à des organismes indépendants, un accroissement des coopérations entre institutions culturelles, mais aussi un rapprochement avec les services d’autres ministères également impliqués dans le domaine de la culture et une revalorisation de l’action menée dans les territoires.

Également souligné, l’enjeu du rayonnement international et de la diplomatie culturelle s’exprime tant au niveau des établissements qui mènent des stratégies de développement à l’étranger (Centre Pompidou provisoire à Malaga, Louvre à Abou Dhabi, expositions « clé en main » organisées par le musée d’Orsay), qu’à celui de la régulation d’Internet, où il apparaît important de renforcer le poids de la France dans les instances de contrôle comme l’Icann(4) .

Enfin, il s’agit de donner à la politique culturelle une tournure plus participative, en faisant porter une partie du processus décisionnel aux citoyens, dont la sollicitation à partir de sondages pourrait s’inscrire tout à la fois dans une logique de prise en charge de certaines décisions, comme à Détroit en 2014 lorsque les habitants ont dû se prononcer sur la vente éventuelle des collection muséales de la ville pour rembourser ses dettes, et de « remontée des idées et des propositions ». Tout en se recentrant sur ses domaines d’intervention privilégiés, « la gouvernance de la politique culturelle devient plus modeste, collaborative, sensible à ses résultats mais prête à assumer la nécessité de respecter les rythmes et les temps longs des projets culturels ». Voilà tout un programme, esquissé à grands traits par Françoise Benhamou, pour faire entrer la politique de la culture dans une nouvelle ère et lui donner un second souffle.
(1)

Il s’agit d’un accord commercial actuellement négocié entre l’Europe et les Etats-Unis afin de libéraliser les échanges et d’instituer un grand marché transatlantique.

(2)

1,46 milliard d’euros engagé entre 2014 et 2020.  

(3)

Françoise Benhamou prend l’exemple du taux réduit de TVA pratiqué par la France et le Luxembourg sur le livre numérique, que les deux pays ont aligné sur celui du livre papier, et à propos duquel la Cour de justice de l’Union Européenne s’est prononcée défavorablement.

(4)

Internet Corporation for Assigned Names and Numbers

    (1)

    Il s’agit d’un accord commercial actuellement négocié entre l’Europe et les Etats-Unis afin de libéraliser les échanges et d’instituer un grand marché transatlantique.

    (2)

    1,46 milliard d’euros engagé entre 2014 et 2020.

    (3)

    Françoise Benhamou prend l’exemple du taux réduit de TVA pratiqué par la France et le Luxembourg sur le livre numérique, que les deux pays ont aligné sur celui du livre papier, et à propos duquel la Cour de justice de l’Union Européenne s’est prononcée défavorablement.

    (4)

    Internet Corporation for Assigned Names and Numbers

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