Quelles sont les tendances et les évolutions que l’on peut attendre dans la presse en 2017 ?
Cyril Petit : 2017 est d’abord une année électorale, et c’est toujours une année particulière pour les journaux. Parce que même s’il y a aujourd’hui des concurrents en termes de couverture de l’actualité politique, la presse papier reste le support favori pour les politiques et en particulier pour les candidats. La presse papier et ses déclinaisons numériques vont donc évidemment avoir un rôle essentiel dans le débat démocratique. De plus, les années électorales sont aussi des moments importants d’innovation dans la presse puisque qu’il y a une sorte d’effervescence pour essayer des trouver des idées innovantes et différentes. Si on prend l’exemple des dernières élections, francetvinfo.fr avait lancé son moteur de résultats des élections sur Twitter. À chaque élection, au Journal du dimanche, et Le Monde l’a fait aussi l’année dernière, on travaille avec des écoles de journalisme pour avoir des formats et aussi des points de vues différents. Cette année, ce sera la première fois qu’une présidentielle va être couverte par les médias sur Snapchat, où on va voir arriver encore plus des chatbots sur les différents réseaux sociaux, et puis aussi le live video, que ce soit sur Facebook ou sur Periscope. Je dirais que c’est la première fois qu’une présidentielle sera autant couverte dans les déclinaisons numériques des grands groupes de presse. Les journaux vont eux avoir de plus en plus recours au décryptage, au fact-checking, car on a de plus en plus besoin de vérification de l’info. D’ailleurs, Le Monde et Google sont en train de travailler sur la vérification de l’information et la chasse au fake.
Concernant la diffusion des journaux, on devrait continuer à voir l’explosion des ventes numériques, en particulier pour les quotidiens. Les abonnements continueront à concurrencer la vente au numéro, qui, j’espère me tromper, va devenir de plus en plus compliquée. Cependant, 2017 est l’année où l’on va continuer à réinventer la lecture quotidienne de l’info : par exemple, de plus en plus de journaux permettent de lire le journal du lendemain dès la veille. Peut-être que certains quotidiens le resteront en numérique mais deviendront hebdo sur le papier. C’est aussi l’année où l’on va aménager de
nouveaux kiosques parisiens, qui offriront des services différents, pas uniquement la vente de journaux. J’espère aussi qu’on aidera les marchands de presse à continuer à exercer leur métier.
Alors que dernièrement de nombreux journaux et instituts de sondages ont été pris de court par les résultats électoraux (la victoire de François Fillon chez les Républicains, celle de Donald Trump aux États-Unis, le Brexit), susciter la confiance des lecteurs est-il un enjeu important ?
Cyril Petit : Bien sûr. Je pense que les sondages sont des outils utiles, mais il ne faut pas en abuser, il faut les faire dans de bonnes conditions et il faut savoir les analyser. En parlant de l’élection de François Fillon, nous étions sur des sondages particuliers, puisqu’on ne savait pas qui allait voter. Pour un sondage d’intentions de votes à la présidentielle, une fois que tous les candidats sont déclarés, cela donne des indications à priori plus fiables, qui s’appuient sur tout un historique du traitement des sondages dans le cadre de cette élection.
Il est vrai que la presse a toujours eu du mal à susciter la confiance
Ceci étant, il est vrai qu’en quinze jours deux épisodes ont fortement échaudé les médias et les commentateurs. Donc je pense qu’il y a peut-être une nécessité de recul et de mise en perspective, avec le besoin de rapprocher ce que peuvent dire ces chiffres à la réalité du terrain. Peut-être faut-il pour cela de plus en plus de reportages, de témoignages, et d’enquêtes.
Une étude sur la presse européenne récente a mis en avant le fait que, notamment dans les pays du Sud de l’Europe et en France, la presse a parfois du mal à susciter la confiance des lecteurs. Ressentez-vous ce manque de confiance chez vos lecteurs ?
Cyril Petit : Je dirais que nous ne le ressentons ni plus ni moins qu’avant. Il est vrai que la presse a toujours eu du mal à susciter la confiance, mais elle reste malgré tout, si on se base sur le dernier baromètre de confiance annuel du journal La Croix, le deuxième média dans lequel les gens ont le plus confiance. La presse écrite se situe derrière la radio, mais devant la télévision et très loin devant les médias numériques. En revanche, par rapport à d’autres corps constitués, que ce soient les politiques ou les banquiers, les journalistes souffrent de ce manque de confiance frappant, mais la presse écrite s’en sort mieux. C’est à nous de regagner cette confiance, surtout lors de ce genre d’événements que sont les élections, il faut montrer à nos lecteurs que nous sommes capables d’aller encore plus loin dans le fact-checking, la vérification, la certification des infos, les enquêtes et le reportage. C'est en revenant aux bases de notre métier que l’on regagnera cette confiance.
Pensez-vous que la présence de la presse sur mobile va s’accélérer ?
Cyril Petit : Oui, car je pense que l’on n’a encore rien inventé qui pourra concurrencer le mobile. Cette prééminence du mobile se voit dans la façon dont les gens consomment l’information. Avant c’était une activité réservée à certains moments de la journée, voire à certains moments de la semaine. Maintenant, avec le mobile, c’est partout et à toute heure. On commence d'ailleurs à voir depuis quelques temps une tendance en ce sens. Depuis trois mois, avec sa nouvelle formule, Le Parisien est désormais disponible à 23h30, L’Équipe est disponible à une heure du matin avant que certains fans de sport se couchent. Pareil pour Libération et Les Échos. Les rythmes de l’information sont en train de changer, c’est-à-dire que le quotidien du matin, avec la numérisation, devient de plus en plus un quotidien de la veille. Je pense que l’on va changer la façon de lire, y compris la presse papier, et ses déclinaisons numériques. Cependant, des journaux ont fait l’expérience de produire des versions complètement « remaquettées » de leurs contenus pour les tablettes et les smartphones, mais on se rend compte que beaucoup de gens veulent lire du format PDF. Ils veulent lire une version hiérarchisée et maquettée de l’information avec cette image de marque du journal.
Quelle est la stratégie mobile du Journal du dimanche ?
Cyril Petit : Nous allons continuer à développer notre stratégie sur le mobile et sur le numérique évidemment, mais en ayant une vraie ambition pour l’édition papier. Chaque dimanche, vous entendez parler du
JDD à la télévision, à la radio, sur les réseaux sociaux. C’est parce que le dimanche, le
JDD fait l’actualité. Et le journal imprimé fait partie du dimanche. Lire un journal, c’est aussi un moment, en terrasse ou à la maison. C’est le feuilleter, tomber sur un article par hasard. Avoir accès à un tout « fermé », que l’on va froisser, découper, poser, reprendre, jeter, recycler. Un certain nombre d’éditeurs se rendent compte qu’il y a une place pour le papier le week-end. Il y a une différence entre
Libération la semaine et le samedi, avec un journal plus gros et du papier avec un grammage plus élevé. D’autres quotidiens proposent tous leurs suppléments magazines avec l’édition du week-end, soit le vendredi soit le samedi. Je pense que le week-end reste encore très, très important pour le papier, donc il y a des ambitions pour le
print et évidemment des ambitions pour le numérique. Et qui dit aujourd’hui ambition pour le numérique dit forcément priorité au mobile : nous avons plusieurs projets dans ce sens pour les prochains mois.
Votre stratégie numérique vise-t-elle aussi les jeunes ? Ceux-ci ont peut-être plus tendance à délaisser le format print ?
Cyril Petit : C’est vrai que si nous voulons faire venir les jeunes vers notre marque d’information, il faut les chercher où ils sont. C’est pour cela d’ailleurs qu’un certain nombre de médias, comme
Le Monde,
L’Équipe ou
Paris Match, sont présents sur Snapchat. C’est à la fois fait pour toucher un public différent, et pour raconter l’information différemment, tout en proposant un contenu gratuit. Nous, nous ne nous sommes pas lancés parce que nous n’avons pas été invités, mais surtout parce que nous n’avons pas pour l’instant une équipe dédiée.
Dire journal ne veut pas dire forcément un journal imprimé sur du papier
Après, l’enjeu aujourd’hui est aussi de savoir ce que les gens sont prêts à payer pour de l’information. Je pense que c’est une tendance qui va s’accélérer. Il y a une dizaine d’années, les médias se sont tâtés, entre des modèles « gratuit », « payant », « moitié gratuit » ou « moitié payant ». Je pense qu’après les tâtonnements, tous les éditeurs de presse vont aller vers l’information payante. Ce qui était une exception il y a plusieurs années est aujourd’hui, de plus en plus, une règle. Il y aura toujours des informations qui ne pourront pas être vendues : les nouvelles de flux, les informations indispensables. Mais dès que l’on va creuser, que l’on va aller plus loin, sur le décryptage, l’exclusivité, la plus-value, le long format, on va proposer cette information-là, payante. Et avec un peu de pédagogie, les lecteurs comprennent que ce qui fait le coût d’une information, ce n’est pas de savoir si elle est imprimée ou si elle est numérique, c’est de savoir si elle a nécessité du travail, du temps, et de l’humain pour la faire.
Qu’en est-il de la monétisation de ces contenus, qui est de plus en plus compliquée, entre un marché publicitaire très concurrentiel et l’usage des bloqueurs de publicité ?
Cyril Petit : Bien sûr, c’est assez compliqué. Il est nécessaire d'engager les lecteurs sur ces contenus numériques, mais la question qu’il faudra résoudre, c’est comment payer, rapidement et facilement, à l’article ? Autant l’abonnement, qu’il soit ou non couplé avec le
print, est devenu quelque chose de plutôt développé et compris par le lecteur, que faire lorsqu’on ne souhaite lire qu’un seul papier par-ci par-là ? Il n'y a pas encore de solution très efficace pour faire payer des articles à l’unité et de manière rapide. Nous avons un projet au
JDD, qui permettra sans doute d’avoir accès aux contenus en payant très facilement. Ce qui est sûr, c'est que ce doit être intuitif, car si vous mettez dix minutes à acheter un papier, vous n’allez pas prendre cette peine. En parallèle, on attend toujours
Blendle, la plateforme néerlandaise de vente d'articles à l'unité en ligne, qui devait arriver en France.
Les perspectives vous semblent donc plutôt bonnes pour la presse ?
Cyril Petit : Oui je le crois, pour le journal surtout. La presse a encore des lecteurs. Qui la lisent de manière différente. Pas seulement sur papier mais aussi sur ordinateur, sur tablette ou sur mobile. La question est plutôt : les lecteurs sont-ils prêts à payer ? Et si oui, pour quels contenus ? Dans ce cadre, l’objet journal est bien vivant ! Et donc le journalisme est bien vivant. Un exemple de la puissance du journal : sa une. Pour chaque événement, historique, tragique ou heureux, la première page, cette vitrine, revête une force incroyable. Les unes sont d’ailleurs très partagées sur les réseaux sociaux –même si elles n’engendrent pas forcément un acte d’achat. On écrit même des articles web sur les unes et couvertures de presse. Preuve que l’on a besoin de vrais choix, éditoriaux et graphiques. Mais dire journal ne veut pas dire forcément un journal imprimé sur du papier, c’est d’abord une conception, une mise en forme de l’information, hiérarchisée, ordonnée, rangée, choisie et vérifiée. Je pense que c’est un mode de lecture encore plébiscité. La preuve avec le succès des éditions numériques en PDF ou avec La Matinale du Monde : c’est numérique, c’est sur smartphone, mais c’est d’abord un journal ordonné, organisé et hiérarchisé.
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Crédit photo : Eric Dessons/JDD.