Le populaire au risque du populisme

La presse tabloïde : le populaire au risque du populisme

La presse tabloïde est un type de publication très populaire en Grande-Bretagne. Son succès ne va cependant pas sans soulever des questions éthiques et politiques.

Temps de lecture : 14 min

Au Royaume-Uni, la presse tabloïde regroupe l’ensemble des journaux de masse mêlant information et divertissement, principalement centrés sur l’actualité nationale sous l’angle du sport, du spectacle et des indiscrétions. La plupart d’entre eux sont des quotidiens mais il peut s’agir aussi d’hebdomadaires du week-end.

Au nom de leur popularité, ces journaux revendiquent un sensationnalisme qui les expose pourtant à des dérives à la fois déontologiques et anti-démocratiques.

La formule avant le format

Le mot « tabloïd » viendrait du français « tablette » qui aurait lui-même inspiré le nom d’un ancien médicament anti-douleur britannique vendu sous forme de comprimés (« tablet » en anglais) dans les années 1880. Par extension, le mot s’est mis à désigner tout objet compact, et plus spécialement un journalisme « comprimé » proposant des histoires sous une forme condensée, facile à absorber. L’appellation « tabloïd » est donc antérieure au format journalistique qu’elle a fini par désigner au début du XXème siècle, correspondant à la moitié des dimensions habituelles de quotidiens nationaux qualifiés par opposition de broadsheets.

Les bases de la presse tabloïde sont posées dès le milieu du XIXème siècle avec le développement des premiers quotidiens de masse britanniques, à commencer par le journal dominical News of the World, lancé en 1843. De telles publications peuvent s’épanouir grâce aux évolutions techniques de la Révolution industrielle mais aussi aux progrès de l’alphabétisation, qui permettent le déploiement d’un lectorat petit-bourgeois voire ouvrier : ainsi, le Daily Mail, pionnier des quotidiens populaires fondé en 1896 par Alfred Harmsworth (futur Lord Northcliffe), s’intéresse-t-il à des composantes du public négligées jusqu’alors par la grande presse : la petite bourgeoisie et les femmes. Il fonde son succès sur un mélange d’information, de publicité et de divertissement – grâce à la publication de feuilletons, notamment – mais aussi sur son prix de vente d’½ penny, deux fois moins élevé que celui des autres quotidiens.

Néanmoins, le passage au demi-format - dit « tabloïd » - de la plupart des quotidiens de masse britanniques s’est fait de façon plus tardive et progressive, entre 1908 pour le  Daily Sketch (aujourd’hui disparu) et 1984 pour News of the World, en passant par le Daily Mirror qui l’adopte en 1935.

Ce format réduit ayant été plus particulièrement prisé par ces journaux populaires, le mot « tabloïd » a ainsi fini par acquérir une connotation péjorative en désignant des journaux, majoritairement quotidiens, jugés bas de gamme (low brow) car surtout tournés vers les scandales, la vie privée des célébrités et le sport, répondant en somme à tous les critères d’illégitimité de la « presse à sensation »,  ou « de caniveau » (gutter press, junk food press). Et ce, par contraste avec une presse considérée comme « sérieuse » ou « de qualité » (quality press), traditionnellement représentée au Royaume-Uni par les titres nationaux grand format, de moindre diffusion mais accordant une place importante à la vie politique, économique et sociale du pays ainsi qu’à l’actualité internationale.

Les pistes auraient pu se brouiller avec l’adoption récente par certains qualities, tels que The Independent, The Times ou The Scotsman, du demi-format, jugé plus pratique pour les lecteurs. Pour éviter la connotation péjorative de l’appellation tabloïd, ces derniers ont donc préféré s’auto-qualifier de « compacts ». Du coup, une autre dénomination tend à s’imposer pour désigner les tabloïds réellement sensationnalistes, privilégiant l’entertainment news : celle de Red Tops, qui renvoie à la têtière rouge de la plupart d’entre eux (The Sun, The Daily Star, the Daily Mirror, The Daily Sport, entre autres). Les journaux plus sérieux étant parfois surnommés Black Tops, par opposition.
 

Un marché dynamique dominé par le Sun

Les tabloïds britanniques illustrent au premier chef la vitalité exceptionnelle de la presse écrite britannique.

En 2010, la presse tabloïde compte en effet pas moins de six quotidiens (populaires : Daily Mirror, Daily Record, Daily Star et The Sun ; ou de moyenne gamme (mid market) : Daily Express, Daily Mail) et huit hebdomadaires du week-end (populaires : Daily Star Sunday, News of the World, Sunday Mail, Sunday Mirror, The People ; de moyenne gamme : Sunday Express, Sunday Post, The Mail on Sunday).

Six de ses titres bénéficient de diffusions millionnaires, voire multimillionnaires. Leur leader, The Sun est le quotidien anglophone qui détient la plus forte diffusion au monde, et le dixième mondial, toutes langues confondues.

En nombre d’exemplaires écoulés, il se classe juste derrière le tabloïd dominical News of the World, également propriété de News International, filiale du géant mondial News Corp dirigé par le magnat australien Rupert Murdoch. En 2010, le Sun et News of the World oscillent tous deux autour de la barre des trois millions d’exemplaires de diffusion et le Sun revendique plus de huit millions de lecteurs(1).

À eux quatre, les journaux populaires du matin représentent les 5/6èmes de la diffusion des quotidiens britanniques(2) qui engrangent quant à eux 67% des recettes totales de la presse nationale en 2008(3).

Aussi est-ce bien souvent par le succès commercial des tabloïds que l’on explique le dynamisme exceptionnel de la presse écrite britannique, dont le chiffre d’affaires connaît une progression annuelle de 6,9% en moyenne entre 2004 et 2008 pour aboutir à 8,1 milliards de dollars de recettes totales en 2008. À titre de comparaison, sur la même période, le chiffre d’affaires de la presse écrite a baissé en France de 0,8% en moyenne par an (2,8 milliards de recettes en 2008) et faiblement progressé en Allemagne (0,9% de progression annuelle pour un résultat de 6,4 milliards de dollars de recettes en 2008)(4). Une gageure en somme, vu de France surtout, où la presse quotidienne nationale connaît des difficultés structurelles et ignore toute déclinaison populaire, à l’exception d’Aujourd’hui en France ou d’un France Soir qui peine à retrouver son succès d’antan.

Toutefois, en 2009-2010, la presse tabloïde britannique n’est pas épargnée par la crise internationale. Mais si plusieurs de ses titres enregistrent une baisse de diffusion pouvant aller jusqu’à 7% entre février 2009 et février 2010 (Daily Mirror), elle s’en sort mieux, globalement, que les quality papers dont les ventes reculent de 7 à 17%. Durant la même période, le Daily Star réussit même à augmenter de 3% sa diffusion payée en réduisant son prix à 20 pence, tandis que le Sun conserve une légère progression (0,6%)(5).

De fait, les tabloïds constituent aujourd’hui les pièces maîtresses des grands groupes qui se partagent le marché très concentré de la presse britannique.

Ce dernier est largement dominé par News International, qui grâce au Sun et à News of the World mais aussi à des qualities comme le Times et son supplément du week-end le Sunday Times, réalise le tiers des ventes de journaux nationaux au Royaume-Uni. Son intégration au sein de News Corporation autorise des synergies avec les autres médias détenus par Rupert Murdoch telle la chaîne de télévision Sky News.

En 2008, News International représente 22,9% des parts de marché de la presse britannique. Ainsi devance-t-il nettement ses challengers Associated Newspapers (12,9% de parts de marché), et Northern & Shell (11,4%). À elles trois, ces sociétés couvrent donc presque la moitié du marché (47,2%).

Propriétaire du Daily Mail et du Mail on Sunday, Associated Newspapers est la filiale du Daily Mail and General Trust, l’une des entreprises de presse britanniques les plus prospères mais aussi les plus anciennes, puisqu’elle remonte, comme on l’a vu, à la fondation en 1896 du Daily Mail par le futur Lord Northcliffe (dont d’autres filiales portent encore le nom : Associated Northcliffe Digital, Northcliffe Media, Northcliffe International).

Northern & Shell (également désignée sous l’appellation Express Newspapers) détient pour sa part quatre titres clés de la presse tabloïde : Daily Express, Sunday Express, Daily Star et Daily Star Sunday, ces deux derniers portant plus particulièrement sur l’actualité des vedettes de la télévision. Dans un registre très proche, le groupe est aussi connu pour ses magazines de célébrités, souvent déclinés à l’échelle internationale,  OK !, New ! et Star ainsi que sa spécialisation dans l’édition de charme et les chaînes pornographiques.

À partir des années 1990, le dynamisme des tabloïds a souvent suscité des imitations de la part des journaux de qualité, confrontés à leur propre déclin ainsi qu’au vieillissement de leur public. Au grand dam d’une partie de leur lectorat et des élites intellectuelles qui y ont perçu le signe d’un nivellement par le bas, voire d’une crétinisation (dumbing down) de l’ensemble de la presse nationale(6).

On l’a vu, l’imitation de la presse tabloïde est d’abord passée, pour certains titres, par l’adoption d’un demi-format dont l’intérêt pratique semble évident, notamment en cas de lecture dans les transports publics. Mais c’est surtout la conversion supposée des grands journaux britanniques à une « culture du non-sérieux »(7) qui est mise en cause : le fait par exemple que certains d’entre eux accueillent un loto aux prix alléchants pour doper leur audience. Ainsi, après la transposition par la plupart des tabloïds britanniques du traditionnel bingo de la culture populaire britannique, le Times en propose, à l’initiative de son nouveau propriétaire Rupert Murdoch, une version plus chic baptisée Portfolio(8), qui lui aurait rapporté près de 90 000 lecteurs en 1984(9).

Également dénoncée, la priorité que les quality papers hésitent de moins en moins à accorder à la « petite » actualité, dramatique ou heureuse, du monde sportif ou du showbiz. Et ce, en vue de conquérir un lectorat plus jeune, censé baigner dans la « three minute culture », loin de tout intérêt pour la lecture, la politique ou les affaire internationales(10).

Mais les reproches quant aux transformations des broadsheets et des compacts sont avant tout alimentés par la crainte que leur « tabloïdisation » (tabloidization) supposée les entraîne vers les dérives déontologiques de certains de leurs modèles.
 

Une presse à sensation

Les tabloïds n’ont jamais fait mystère de leur vocation populaire, qui sous-tend un traitement de l’information à la fois concis et accrocheur, supposant un minimum de texte pour un maximum d’illustrations.

De cette popularité découle une prédilection pour le human interest, notion difficilement traduisible en français, sinon peut-être par « people », puisqu’il s’agit en pratique de traiter l’actualité sous l’angle des heurs et malheurs, publics ou privés, de toutes sortes d’individus : des membres de la famille royale aux candidats des émissions de télé-réalité - telle l’ancienne participante de Big Brother, Jade Goody, dont l’agonie, des suites d’un cancer, a été relayée dans les moindres détails -, en passant par le personnel politique et les protagonistes des faits divers, à l’instar des époux McCann, parents de la petite Maddie disparue au Portugal en 2007. En effet, selon la même logique que la peopolisation des médias français, « une caractéristique intéressante des tabloïds britanniques est de produire des célébrités sensationnelles à partir de n’importe quel registre de l’actualité, qu’il s’agisse de politique, sports, affaires ou d’un domaine ne faisant jamais défaut en matière de nouvelles à sensation, ce bon vieux monde du spectacle »(11).

Car force est de reconnaître que depuis près de quarante ans, les tabloïds se sont engagés dans une surenchère sensationnaliste, ouvertement motivée par un souci d’efficacité commerciale : titres et photos chocs, scoops tellement coûteux que les qualities ne peuvent y prétendre et attaques ad hominem, le tout nourri par une concurrence sans merci.

Et à l’encontre, bien souvent, de trois principaux devoirs édictés par les codes internationaux de déontologie journalistique : « la recherche et la manifestation publique de la vérité, quelles qu’en soient les conséquences  pour le journaliste ; le refus de la confusion du métier de journaliste avec d’autres activités relevant de la publicité, des tâches d’espionnage ou de police, ou encore de la confusion d’intérêts ; enfin, le respect des personnes, notamment de leur vie privée et de leur image »(12).

Dès sa reprise du Sun en 1969, Rupert Murdoch annonce la couleur en prévenant ses rédacteurs qu’il relancerait ce titre traditionnellement proche du mouvement syndical grâce à un cocktail de « sexe, sport et jeux »(13).

De fait, la sexualisation de la presse britannique est initiée par le Sun nouvelle formule, qui prend pour habitude, dès 1970, de dévoiler dans chaque numéro une nouvelle pin-up largement dénudée à sa désormais célèbre page 3. Plusieurs tabloïds lui emboîtent le pas tels, avec sa pin-up de la page 7, le Daily Star (fondé en 1978) dont le groupe, comme on l’a vu, est spécialisé dans les contenus pornographiques, ou News of the World, qui tire de sa spécialisation dans les scandales sexuels les surnoms de News of the Screws et de Screws of the World(14).

Quant à la personnalisation de l’information, elle commande un usage habile de citations tronquées, notamment dans les titres, qui permet « d’orienter, en évitant de trop se compromettre et sous l’apparence de l’authenticité, la compréhension et la perception des informations »(15).

Sous sa forme la plus poussée, elle se traduit par des violations récurrentes de l’intimité des personnalités, dans un pays où le droit à l’information l’emporte traditionnellement sur le respect de la vie privée. En 2005 néanmoins, les pratiques intrusives de la presse tabloïde suscitent  non seulement la réprobation générale mais, pour la première fois, de sévères sanctions judiciaires à la suite de révélations sur les écoutes téléphoniques mises en place par News of the World. L’annonce par ce journal de rendez-vous confidentiels du Prince William  avait en effet éveillé les soupçons de la Couronne. D’où une enquête de Scotland Yard qui dévoile que Clive Goodman, rédacteur en chef adjoint de l’hebdomadaire, avait régulièrement accès aux messages vocaux des téléphones mobiles de la famille d’Angleterre grâce à un ex-footballeur devenu détective privé, Glenn Mulcaire. À la suite de ce scandale, Clive Goodman est condamné à quatre mois de prison en 2007 pour violation « grave, inexcusable et illégale » de la vie privée, devenant ainsi le premier journaliste envoyé en prison au Royaume-Uni depuis plus de quarante ans. Pourtant promis à un brillant avenir au sein de News de International, Andy Coulson, rédacteur en chef de l’hebdomadaire, remet aussitôt sa démission(16).

L’affaire n’en reste pas là : en 2006, l’un des représentants de l’Information Commissioner’s Office (ICO) Richard Thomas, démontre que plus de 305 journalistes britanniques –  parmi lesquels 58 reporters du Daily Mail – ont régulièrement recours aux services d’un autre détective privé, John Boyall, ayant pour habitude de soudoyer des officiels afin de récupérer relevés de compte, dossiers médicaux et autres documents confidentiels des célébrités (17). Il n’en faut pas plus pour jeter l’opprobre non seulement sur les tabloïds mais sur l’ensemble de la presse britannique. Et pour provoquer un durcissement inédit de la législation sur la protection des données : depuis 2007, tout accès illégal à des informations privées est désormais passible d’une peine pouvant aller jusqu’à deux ans de prison, au lieu d’une simple amende(18).

Reste que les nombreuses mises en cause de leurs méthodes n’empêchent pas les tabloïds britanniques de tirer prétexte de leur succès commercial pour exploiter leur influence, réelle ou supposée.

Une influence contestée

 

Certains patrons de presse profitent de leurs titres phares pour promouvoir leurs autres produits : ainsi les attaques répétées du Sun et de News of the World envers la BBC prennent-elles tout leur sel lorsque l’on sait que leur propriétaire News Corp détient aussi Sky News, principale concurrente du réseau public.

Sur le plan politique, l’influence des tabloïds est difficile à cerner, bien que certains d’entre eux n’hésitent pas à s’attribuer un rôle décisif dans le résultat des élections tel le Sun qui, au lendemain de la défaite des Travaillistes en 1992, titre sa une de cette formule passée depuis à la postérité : « It’s The Sun Wot Won It »(19).

De fait, encore ancré à gauche au début des années 1970, le Sun a, sous l’égide de Rupert Murdoch, massivement plébiscité la politique des Conservateurs depuis l’arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher en 1979, puis soutenu Tony Blair à la fin des années 1990. Enfin, pendant la campagne législative de 2010, il a de nouveau pris fait et cause pour les Tories en présentant David Cameron comme la seule personnalité politique capable de défendre les intérêts du pays(20).

Mais à y regarder de plus près, le Sun ne s’est guère départi de sa ligne conservatrice depuis son acquisition par Rupert Murdoch en 1969. Son soutien à Tony Blair a souvent été interprété, au demeurant, comme une marque d’opportunisme, l’homme d’affaires s’étant tourné comme à son habitude vers le leader le mieux placé pour l’emporter et le plus à même de protéger les intérêts de son empire médiatique. Sans compter qu’en promouvant un New Labour plus au centre que le Parti Travailliste classique, Tony Blair paraissait plus fréquentable aux yeux de l’homme d’affaires que son prédécesseur Neil Kinnock ou même son successeur Gordon Brown. Déduire des prises de position des tabloïds une quelconque influence sur les mouvements de l’opinion britannique reviendrait donc à confondre la cause et l’effet(21).

En tout état de cause, à l’exception d’un Daily Mirror resté fidèle à ses idées de centre-gauche mais en constant déclin, tous les tabloïds britanniques embrassent une idéologie résolument conservatrice depuis les années Thatcher. Le paradoxe de ce conservatisme gît dans son étroite corrélation avec la popularité que ces journaux revendiquent pour soutenir leurs ventes, qui détermine à la fois une certaine versatilité - car il s’agit de s’adapter aux goûts changeants du public - et un recours à des poncifs immuables, prétendument inspirés de l’opinion commune.

Ainsi peut-on considérer que la prime systématiquement accordée à l’intérêt humain neutralise toute possibilité d’interroger les problèmes collectifs: selon Colin Sparks, la presse tabloïde britannique se définirait précisément par sa capacité à présenter les « expériences individuelles comme la clé directe et immédiate pour comprendre le tout social »(22), ce qui aurait pour effet de « pr&eaeacute;senter l’ordre social comme transparent »(23).

Entre 1992 et 1995 par exemple, un débat s’est ouvert au Royaume-Uni sur la multiplication des quangos (quasi non-governmental organisations)(24) mais sous l’impulsion de la presse tabloïd, a rapidement tourné à la dénonciation d’affaires individuelles de népotisme ou de corruption plutôt que de questionner les avantages ou les inconvénients d’un tel phénomène pour le pays .

Pire : à vouloir flatter le plus grand nombre, les journaux populaires britanniques finissent par donner dans le populisme et le nationalisme.

D’une part, ils se posent en défenseurs des petits contre les puissants, contribuant ainsi à nourrir une défiance à l’égard de l’establishment politique, comme le démontre Ian Connell : sans aller, en raison de leur conservatisme, jusqu’à contester l’existence des privilèges, les tabloïds entretiennent une forme de rancœur à l‘égard des élites en insinuant que les privilèges d’aujourd’hui sont accaparés par des individus qui ne les mériteraient pas(25).

D’autre part, Sun et Daily Express en tête(26), ils s’offrent aussi comme les hérauts de l’identité nationale. L’objectif est clair : postuler leur adéquation au pays tout entier. Ce qui passe par l’exaltation de tous les symboles du particularisme britannique : Union Jack, insularité, Couronne, équipes de football renommées, etc. Mais aussi par un rejet viscéral de « l’Europe » (pays du continent et institutions de l’U.E.), une détestation légendaire de peuples considérés comme des ennemis séculaires – Froggies (Français) et Krauts (Allemands) principalement – et qui plus est, une constante stigmatisation de l’immigration clandestine.

La plupart des tabloïds tirent leur puissance de leur capacité à coller aux attentes d’un large public en lui offrant des contenus légers ou dramatisants - informations sportives et nouvelles des personnages les plus divers, assorties à des jeux et à des bandes dessinées – mais aussi de leur intégration dans des groupes de presse de dimension européenne, voire mondiale – News International,  Associated Newspapers et Northern & Shell, principalement.

Aussi les principales incertitudes pesant sur ce secteur concernent-elles surtout ses deux leaders – le Sun et News of the World – dont le sort est directement lié à celui de leur maison mère News International, sachant que Rupert Murdoch n’a pas encore préparé sa succession à la tête de son empire et de ses filiales.

Quant au défi représenté par Internet, il semble moins gênant que pour la presse « sérieuse » dans la mesure où, depuis les années 1970, les tabloïds ont su jouer de leur complémentarité avec les autres médias, au lieu de se battre sur le même terrain : leur point fort est de privilégier le pouvoir d’attraction de l’image fixe ainsi que les reportages et les récits à « intérêt humain », en abandonnant l’essentiel des hard news aux supports audiovisuels. Cela étant, les potentialités du nouveau média n’ont pas échappé aux grands journaux populaires, dont les versions en ligne, loin de les cannibaliser, leur ont permis de toucher de nouveaux publics au-delà des frontières nationales : ainsi, en 2003, après avoir spéculé sur une relation extraconjugale de Gerhard Schröder, le Mail on Sunday a-t-il pu contourner la décision de la justice allemande d’interdire le numéro correspondant sur le sol fédéral, en mettant l’article incriminé sur son site et, ce faisant, à la disposition de tous les internautes. De même le site du Sun a-t-il enregistré un nombre record de connexions en 2006 en publiant une photo volée d’Angela Merkel, en train d’enfiler son maillot de bain, fesses à l’air.

La voie est donc ouverte, désormais, pour une extension de la culture tabloïd sur la Toile…

La diffusion des tabloïds britanniques

 


 
* (%, février 2009-février 2010) 
 
Source : « Every national loses print sales in March », PressGazette, 15 avril 2011.
(1)

Datamonitor, « Newspapers in the United Kingdom. Industry Profile », Reference Code: 0183-0559, août 2009, p.21. 

(2)

« United Kingdom », Encyclopaedia Britannica Online, 2010. Web. 12 avril 2010  

(3)

« Daily newspapers sales proved the most important for the UK newspapers market in 2008, generating total revenues of $5.4 billion, equivalent to 67% of the market's overall value », « Newspapers in the United Kingdom. Industry Profile », août 2009, www.datamonitor.com, Reference Code: 0183-0559, p.7. 

(4)

Datamonitor,op.cit., p.8. 

(5)

Source: Dominic PONSFORD « Feb ABCs : Qualities plunge but Star and Sun are up »  

(6)

Cf. Pascale VILLATE-COMPTON, « La mutation des journaux de qualité », in Bertrand Lemonnier, Claude Chastagnier, Renée Dickason et al., Médias et culture de masse en Grande-Bretagne depuis 1945, Paris, Armand Colin, 1999, p.115-125. Peter Stothard, « The Times they aren’t changing », The Guardian, 16/06/1997. Michael Bromley, Hugh Stephenson, Sex, Lies and Democracy: the press and the public, Londres, Longman, 1998. 

(7)

Pascale VILLATE-COMPTON, op.cit., p.116 

(8)

Michael LEAPMAN, Treacherous Estate, Londres, Hodder and Stoughton, 1992, p.77. 

(9)

Pascale VILLATE-COMPTON, « La presse populaire », in Bertrand Lemonnier, Claude Chastagnier, Renée Dickason et al., Médias et culture de masse en Grande-Bretagne depuis 1945, Paris, Armand Colin, 1999, p.107. 

(10)

Brian MACARTHUR, « New readers, new Times », The Times, 05/02/1997. 

(11)

« […] an interesting feature of the British Tabloids is making sensational celebrities out of every mundane news be it politics, sports, business or the never failing sensational news source – the good ol entertainment. » Uttara MANOHAR, « British Tabloids »  

(12)

Benoît GREVISSE, « Le journalisme gagné par la peoplisation. Identités professionnelles, déontologie et culture de la dérision », Communication vol. 27, n°1, hiver 2009, Université Laval, Québec, hiver 2009, p.179. 

(13)

Matthew ENGEL, Tickle the Public : one hundred years of the popular press, Londres, Indigo, 1996, p.253. 

(14)

Uttara MANOHAR, op.cit. 

(15)

«Elisabeth ROGY, « Une stratégie du discours des tabloïds britanniques : le recours aux citations» 

(16)

Mariah BLAKE, « Private Matters. A new push to rein in the tabloids has reporters on edge », Columbia Journalism Review, septembre/octobre 2007, p.18-19. 

(17)

Cf. ses rapports: « What price privacy? The unlawful trade in confidential personal information, Information Commissioner’s Office, mai 2006 What price privacy now? The first six months progress in halting the unlawful trade in confidential personal information, Information Commissioner’s Office, décembre 2006  

(18)

Mariah BLAKE, ibid. 

(19)

Une du samedi 11 avril 1992. 

(20)

David DEACON Politicians, Privacy and Media Intrusion in Britain, Parliamentary Affairs Vol. 57 n°1, p. 21. 

(21)

Cf. John CURTICE, Was it The Sun that won it again? The Influence of newspapers in the 1997 election campaign » ,CREST Working Papers, n° 75, September 1999, http://www.crest.ox.ac.uk/papers/p75.pdf ; James THOMAS, Popular Newspapers, the Labour Party and British Politics, Londres et New York, Routledge, 2005 ; Brian CATHCART, The Sun comes out in Bournemouth , New Statesman, 1er octobre 2007, p.26 ; James MACINTYRE, Burned by the Sun, New Statesman, 5 octobre 2009, p.16.  

(22)

Colin SPARKS,Popular journalism: Theories and Practice, in Dahlgren, Peter, Sparks, Colin, (eds.), Journalism and Popular Culture, Sage, Londres, 2000 (1ère éd. 1992), p.41 

(23)

Colin SPARKS, op. cit., p.39. 

(24)

Organismes non gouvernementaux quasi autonomes 

(25)

« Like much populist ranting, however, these stories are quite conservative. They are not against privileges being granted, merely angry that they have been granted to the wrong people – to ‘them’ and not to ‘us’, not to ‘me’. » Ian CONNELL, « Personalities in the Popular Medias », in Peter SPARKS, Dahlgren, Colin, (eds.), Journalism and Popular Culture, Sage, Londres, 2000 (1ère éd. 1992), p. 81. 

(26)

Daily Express » Encyclopaedia Britannica Online, 2010. Web. 12 avril 2010.  

Ne passez pas à côté de nos analyses

Pour ne rien rater de l’analyse des médias par nos experts,
abonnez-vous gratuitement aux alertes La Revue des médias.

Retrouvez-nous sur vos réseaux sociaux favoris