À la recherche de politiques publiques pour les TIC au Brésil

À la recherche de politiques publiques pour les TIC au Brésil

Cet ouvrage a été conçu comme un outil au service du développement de politiques publiques en matière de communication et de télécommunications au Brésil.

Temps de lecture : 8 min

Alors que le Brésil est aujourd’hui un acteur de premier plan de l’économie internationale et du concert des nations, il apparaît encore à bien des égards comme un colosse aux pieds d’argile, où les inégalités sont toujours très présentes. C’est à partir de ce constat que les coordinateurs de l’ouvrage Panorama da comunicação e das telecomunicações no Brasil en ont envisagé l’utilité et la portée.

 
Prenant acte de la place et du rôle toujours plus importants des technologies de l’information et de la communication, à la fois en termes économiques, sociaux et politiques, l’Institut de recherche économique appliquée (IPEA)(1) La Federação Brasileira das Associações Científicas e Acadêmicas de Comunicação a été créée en 2008. Elle est destinée, d’une part, à favoriser le dialogue et la circulation des savoirs entre les différentes entités de recherche et d’enseignement dédiées à la communication ; d’autre part, elle a pour objectif de peser sur les débats et les décisions concernant ce domaine, tant par des acteurs publics que privés. (2) , ce travail a pour ambition de constituer un ouvrage de référence pour toute personne ou organisme s’intéressant à ce domaine. Pour le réaliser, un appel a été lancé auprès de toutes les institutions développant des recherches sur ce sujet : autant que par son contenu, cet ouvrage présente donc l’intérêt d’identifier ceux qui, au Brésil, traitent des problématiques relevant de la communication et des télécommunications. La parution, en 2012, de quatre nouveaux volumes, présentant des données actualisées ainsi que d’autres analyses sur les enjeux à la fois mondiaux et nationaux du développement des TICE, traduit la volonté que cette entreprise de recension et de réflexion se poursuive afin qu’acteurs publics et privés se saisissent réellement de cette question.
 
Dans cette perspective, les trois volumes parus en 2010 mêlent réflexions théoriques, identification des problèmes propres au Brésil, données empiriques et analyses prospectives.
Pour les coordinateurs de l’ouvrage, le but est d’inciter les différents organismes de recherche et d’enseignement en communication à mettre en commun les résultats de leurs travaux afin de peser sur la formulation de politiques publiques qui prennent en compte les grandes dynamiques observables au niveau international et les défis que recèle la réalité brésilienne.
 
C’est à partir de cette dernière que les auteurs sont invités à développer une réflexion qui embrasse les dimensions économique (les TICE sont présentés comme un facteur de productivité accrue), sociales (l’accès aux outils de communication, en particulier Internet, est encore l’apanage d’une minorité de la population) et politiques (le lien entre démocratie et communication étant à maintes reprises mis en avant par les auteurs). L’état de la recherche dressé dans le volume 2 est particulièrement révélateur de cette volonté de répondre aux enjeux proprement brésiliens : les auteurs sont en effet volontiers critiques à l’égard de leurs prédécesseurs, qui auraient négligé les besoins et les caractéristiques de la société brésilienne et trop souvent eu recours à des théories et des concepts élaborés en Europe ou aux États-Unis. Il s’agit donc aussi, à travers cette entreprise éditoriale, de rompre avec une certaine dépendance intellectuelle vis-à-vis de l’extérieur.
 
Cela ne signifie pas, néanmoins, que les analyses doivent ignorer les grands enjeux mondiaux en termes de communication et que la révolution copernicienne que constitue Internet doive être pensée au prisme de la seule réalité brésilienne. Il y a de fait, dans les trois volumes, un effort constant pour articuler les échelles internationale, régionale et nationale.

Les coordinateurs partent d’un double constat pour souligner la pertinence d’un tel ouvrage. Le premier est celui d’un relatif désintérêt du politique pour le domaine de la communication, d’une « impasse institutionnelle » (vol. 1, p. 20) qu’il est selon eux urgent de dépasser. Pour expliquer cet état de fait, il est nécessaire de rappeler que, depuis son indépendance, le Brésil a connu des régimes politiques plus préoccupés par le contrôle de l’information que par le développement d’une communication démocratique. Il faut attendre la Constitution de 1988 pour que la production et la diffusion de l’information soit considérée comme un rouage essentiel de la démocratie. L’histoire du Brésil constitue donc une clé de compréhension cruciale pour rendre compte du retard de ce pays en termes de politiques publiques sur cette question.
 
Le second constat renvoie lui aussi à des facteurs historiques, auxquels s’ajoutent des éléments relevant de la géographie. Il s’agit ici des failles de l’intégration nationale : le Brésil est, à bien des égards, un archipel dans lequel coexistent des réalités démographiques, culturelles, sociales et économiques parfois très éloignées et génératrices de tensions.
 
Du point de vue de la communication, ces deux dynamiques ont conduit le pays à une dualité. On a d’une part un Brésil caractérisé par la « folk-communication »(3) , qui renvoie à des phénomènes de communication pré-modernes où folklore et culture populaire jouent un rôle majeur. Il y a, d’autre part, le Brésil des mass media (cinéma, radio, télévision, internet…) et des industries culturelles. Ces deux mondes ne sont pas clos sur eux-mêmes et interagissent en permanence. Le développement des classes moyennes, les progrès du système éducatif et l’attention portée, à partir des années 1920, à la culture populaire par un certain nombre d’artistes et d’intellectuels désireux de bâtir une culture nationale, véritablement brésilienne, ont été autant de facteurs créant des passerelles entre les deux.
 
La coexistence de ces deux réalités renvoie aux profondes inégalités qui caractérisent la société brésilienne. Aussi pour les coordinateurs de l’ouvrage, le développement de politiques publiques en matière de communication et de TICE est-il autant une priorité pour la compétitivité internationale du Brésil qu’un enjeu social et idéologique : il s’agit d’intégrer la population brésilienne dans son ensemble à la « société de la connaissance », dans une perspective qui relève du principe de l’égalité des chances comme de l’exercice plein et entier de la citoyenneté.
  
Chacun des trois volumes de Panorama da comunicação e das telecomunicações no Brasil a pour but d’offrir des pistes de réflexion et des éléments factuels ouvrant la voie à la formulation et la mise en pratique de politiques et de programmes visant à répondre autant aux besoins de la société brésilienne qu’aux exigences du marché international. Ce faisant, les auteurs assument clairement la fonction de prescripteur du chercheur et proposent des analyses résolument tournées vers l’action.
 
Le passage de la télévision analogique à la télévision numérique, l’accès à l’internet haut débit, les investissements publics et privés dans la recherche et le développement dans le secteur de la télécommunication, la question des droits d’auteur, les débats autour de la neutralité des réseaux, etc., sont autant de thèmes abordés dans le premier volume, chaque texte articulant perspectives globales et enjeux nationaux.
 
Le deuxième volume est consacré à la structuration et à l’institutionnalisation des recherches en communication, offrant un très utile panorama des organismes mais aussi des orientations théoriques et méthodologiques suivies dans ce domaine au Brésil. L’enseignement occupe également une place importante. Ce dernier élément est à mettre en relation avec la volonté du ministère de l’Éducation et de la Culture de réorganiser les cursus en communication sociale, journalisme, cinéma et audiovisuel pour en simplifier la nomenclature et faire face à l’engouement croissant des étudiants pour ce type de formation(4) . Au-delà des renseignements que cela apporte au lecteur cherchant à identifier les acteurs de la recherche, celui-ci y trouvera des éléments pour alimenter une réflexion autour de la constitution d’un champ du savoir, des processus et facteurs à l’œuvre dans la légitimation et la reconnaissance d’une discipline scientifique, et de la production de la connaissance en général.
 
La question de l’enseignement et de la recherche en matière de communication est au cœur de l’article qui ouvre le troisième volume. Alors que le deuxième était conçu comme une « entreprise mémorielle »(5) (6) , le volume 3 se veut essentiellement programmatique. Le défi consiste à élaborer un langage, une méthodologie et des indicateurs qui tout à la fois facilitent les échanges entre équipes de recherche, permettent d’appréhender le caractère multidimensionnel des pratiques aujourd’hui en lien avec les outils de communication, et produisent des analyses et des études pouvant être utilisées par les pouvoirs publics pour faire face aux enjeux économiques, sociaux et politiques que nous avons évoqués plus haut. Le premier article fait ainsi le point sur la manière dont l’IPEA et la SOCICOM ont dressé un bilan des programmes de recherches, aussi bien quantitatives que qualitatives, menées au Brésil sur la communication et ses outils, ainsi qu’un tableau des différentes formations universitaires dans ce domaine (audiovisuel, cyberculture, économie politique de la communication, histoire des médias, sémiotique, journalisme…). Cette entreprise de recensement poursuit deux objectifs. D’une part, il s’agit d’évaluer le nombre de chercheurs et d’étudiants se consacrant aux questions de communication et de connaître leur répartition sur le territoire. D’autre part, le but est d’identifier les objets, les méthodes et les concepts employés afin de proposer une feuille de route commune, un cadre qui favorise un plus grand dialogue entre ces diverses entités comme entre les différentes disciplines mobilisées. La préoccupation des initiateurs de ce projet est de promouvoir une réflexion cohérente, qui articule théorie et pratique, qui prenne appui sur la diversité des approches existantes tout en évitant une fragmentation trop importante des savoirs ayant trait à la communication.
 
C’est à partir de ces principes que trois recherches ont été menées, dont les premiers résultats sont présentés dans ce dernier volume. Les deux premières concernent uniquement le Brésil(7) tandis que la troisième établit un tableau de la communication à partir d’un certain nombre d’indicateurs (nombre de lecteurs de la presse, d’usagers d’Internet, de formations universitaires en lien avec ce domaine d’activité, passage au numérique pour la télévision et la radio, etc.) pour onze pays ibéro-américains(8) .
 
Cet ouvrage en trois volumes constitue ainsi une référence précieuse pour toute personne ayant besoin de données précises et lisibles sur la communication et les TICE au Brésil, en même temps qu’il donne un certain nombre d’éléments permettant d’en saisir les enjeux. Il traduit par ailleurs la volonté de la communauté scientifique brésilienne d’être un acteur incontournable de l’élaboration des politiques publiques en la matière.
    (1)

    L’Instituto de Pesquisa Econômica Aplicada a été créé en 1964 et dépend du Secrétariat des questions stratégiques. Le but de cet organisme de recherche est d’apporter son expertise pour la formulation de politiques publiques et de programmes destinés à favoriser le développement du pays.  et la Fédération brésilienne des associations scientifiques et académiques de communication (SOCICOM)

    (2)

    ont voulu faire le point sur l’état de la question au Brésil (vol. 1), offrir tout à la fois un bilan des recherches menées depuis 50 ans (vol. 2) et des perspectives d’analyse et d’action (vol. 3). Amplement distribué sur le territoire brésilien (universités, bibliothèques publiques, administrations fédérales…)Les trois volumes sont par ailleurs disponibles en libre accès sur le site de l’IPEA. 

    (3)

    Ce terme a été forgé par le chercheur brésilien Luiz Beltrão, qui l’emploie pour la première fois en 1967 dans un article intitulé Folkcomunicação, um estudo dos agentes e dos meios populares de informação de fatos e expressão de idéias. Si la théorie de Beltrão a rencontré des résistances dans le milieu académique brésilien, elle fait aujourd’hui l’objet de consensus. La création, en 2004, d’un Réseau d’études et de recherches en folk-communication (Réseau FOLKOM) représente la dernière étape en date de ce processus de reconnaissance. Voir José Marques de Melo, Luiz Beltrão : pioneiro dos estudos de folk-comunicação no Brasil, Revista Latina de Comunicación Social n°21, sept. 1989 et, dans le volume 2 de Panorama da comunicação e das telecomunicações no Brasil, l’article de Cristina Schmidt, Foklcomunicação : memória institucional, p. 262-281. e terme a été forgé par le chercheur brésilien Luiz Beltrão, qui l’emploie pour la première fois en 1967 dans un article intitulé Folkcomunicação, um estudo dos agentes e dos meios populares de informação de fatos e expressão de idéias. Si la théorie de Beltrão a rencontré des résistances dans le milieu académique brésilien, elle fait aujourd’hui l’objet de consensus. La création, en 2004, d’un Réseau d’études et de recherches en folk-communication (Réseau FOLKOM) représente la dernière étape en date de ce processus de reconnaissance. Voir José Marques de Melo, Luiz Beltrão : pioneiro dos estudos de folk-comunicação no Brasi, Revista Latina de Comunicación Social, n°21, sept. 1989 et, dans le volume 2 de Panorama da comunicação e das telecomunicações no Brasil, l’article de Cristina Schmidt, Foklcomunicação : memória institucional, p. 262-281.  

    (4)

    C’est le propos développé par Margarida M. Krohling Kunsch dans son introduction au volume 2.

    (5)

    Le titre du volume 2 est à cet égard sans ambiguïté : Mémoire des associations scientifiques et académiques de communication au Brésil. 

    (6)

    e titre du volume 2 est à cet égard sans ambiguïté : « Mémoire des associations scientifiques et académiques de communication au Brésil ».

    (7)

    Sont étudiés et analysés l’emploi dans le secteur de l’information et des télécommunications ainsi que les enjeux et difficultés du passage du système analogique au numérique dans les industries créatives.

    (8)

    Argentine, Brésil, Chili, Colombie, Équateur, Mexique, Paraguay, Uruguay, Venezuela, mais aussi Espagne et Portugal. 

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