Clavier russe rétroéclairé

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La Russie face au défi des nouvelles technologies

Avec le passage à l'an 2000, la Russie a pris la résolution de devenir une société de l'information. Le pays est pourtant confronté à deux défis : l'immensité de son territoire et le contrôle des médias par l'État.

Temps de lecture : 21 min

La construction d'une société de l'information

 

Le positionnement de la Russie sur la scène internationale dépendrait largement de sa transition réussie vers une société de l'information
Au début des années 2000, la Russie comptait peu d'infrastructures pour supporter les réseaux d'information et de communication et le pays n'était pas encore engagé sur la voie des nouvelles technologies. Depuis toujours, la Russie doit composer avec deux données problématiques : l'immensité de son territoire (17,1 millions de km²) et une population très importante (142,9 millions d'habitants). La situation est encore compliquée par les différences régionales en matière de traditions religieuses et culturelles, d'héritage historique et d'inégalités économiques. Le pouvoir en place a parfaitement compris que le positionnement de la Russie sur la scène internationale dépendrait largement de sa transition réussie vers une société de l'information. Il a ainsi décidé de faire du développement des technologies de l'information et de la communication (ci-après dénommées « TIC ») une priorité pour les dix années à suivre, en favorisant notamment leur mobilisation dans la sphère publique. L'État russe a décidé de combler le manque de programmes et de politiques en faveur de ce secteur, de développer rapidement les infrastructures nécessaires tout en mettant en œuvre des solutions innovantes. Dmitry Mezensev, président du Comité de conseil sur les politiques de l'information de la Fédération russe, expliquait en 2002 que la mise en place d'un espace d'information unique était une étape cruciale pour que le pays puisse commencer à construire une société globale de l'information. Dmitry Mezensev précisait que ce projet impliquait le même accès à l'information pour tous les citoyens, indépendamment de leur lieu de résidence, de leurs ressources financières, de leur nationalité ou de leur confession religieuse.
 
En septembre 2010, le ministère des Télécommunications et des Communications a présenté le programme fédéral « Société de l'information 2011-2020 » qui reprend et approfondit plusieurs textes réglementaires adoptés auparavant, ainsi que les réflexions issues d'autres sources, comme le Programme fédéral ciblé « e-Russie 2002-2010 », le projet « e-Government » (2010) ainsi que les plans d'orientation pour le développement socio-économique du pays jusqu’en 2020. Plusieurs missions essentielles sont définies dans le cadre du programme. Il s'agit :
 
- d'améliorer la qualité de vie de tous les citoyens et d'intensifier le développement des entreprises dans le domaine de l'information
- de développer la gouvernance numérique (e-governance) et d'améliorer l'efficacité des services de l'administration publique
- de développer le marché russe des TIC
- de mettre en place les infrastructures nécessaires à la création d'une société de l'information et de combler la fracture numérique
- de garantir la sécurité dans la société de l'information
- de développer des contenus numériques et de protéger l'héritage national.
 
Le programme fixe des objectifs ambitieux pour le pays, concernant sa transition vers une société de l'information. Il retient par ailleurs 22 indicateurs qui doivent permettre d'en mesurer la progression. L'un des objectifs du programme est de hisser la Russie, d'ici 2015, parmi les 20 pays les plus avancés dans leur cheminement vers la société de l'information, et parmi les dix pays les plus performants dans le développement des technologies de l'information sur leur territoire. En 2010, l'Economist Intelligent Unit avait classé la Russie en 59ème position sur un total de 70 pays, dans une évaluation des capacités à « intégrer les technologies de l'information et de la communication et à les mobiliser à des fins économiques et sociales ». L'étude met en évidence les résultats particulièrement faibles de la Russie en matière de connectivité, d'environnement légal, de vision gouvernementale(1), de développement des entreprises et d'élargissement de la clientèle. La Russie perd donc des places, puisqu'elle est passée de la 52ème position en 2006 à la 59ème en 2008, une place à laquelle stagne le pays depuis(2).
 
Dans le court rapport de mise en œuvre du Programme pour l'année 2011, le ministère relève, parmi les activités clés qui ont marqué l'année écoulée, le développement de la gouvernance numérique et la mise en place des supports nécessaires pour permettre le paiement électronique dans le cadre des services gouvernementaux, la mise en place d'un système permettant les échanges par voie électronique dans le cadre des procédures bancaires, la réforme d'une loi sur la signature numérique afin de favoriser son usage dans les relations professionnelles, et enfin l'adoption d'une nouvelle loi concernant la mise en place d'un système de paiement à l'échelle nationale régissant l'intégralité des paiements électroniques.
 
Bien qu'il soit trop tôt pour évaluer si les objectifs fixés dans le Programme fédéral sont trop ambitieux (le programme prévoit un premier bilan pour 2015), l'ensemble des initiatives évoquées ci-avant a le mérite de laisser entrevoir une vision gouvernementale plus complète et plus cohérente, où sont identifiés des buts concrets, tous pensés pour conduire la Russie vers un vrai modèle de société de l'information.
 
En octobre 2011, la Fédération de Russie a participé, à Genève, au salon de l'ITU Telecom World(3), un événement qui a réuni chefs d'entreprises, chefs d'État et spécialistes du numérique. Sous le patronage du ministre des Télécommunications et des Communications, huit compagnies russes, dont l'opérateur national de télécommunications Rostelecom, ont présenté leurs dernières avancées et conclu des accords commerciaux, répondant de manière positive au slogan « Vers la société de l'information ».
 
Rostelecom a profité de ce rendez-vous international pour faire le point sur les derniers progrès du modèle russe de gouvernance numérique. L'opérateur télécom a été désigné comme entrepreneur exclusif, dans le cadre du programme « Société de l'information 2011-2020 », pour le développement des infrastructures liées au gouvernement numérique (« e-government »). Igor Schegolev, ministre russe des Télécommunications, a justifié le choix de Rostelecom en expliquant  que l'entreprise disposait du réseau le plus étendu(4). Rostelecom a lancé le portail de gouvernement numérique gosuslugi.ru en décembre 2009 et a proposé une version mise à jour du site en mai 2011. Depuis son lancement, le portail aurait enregistré plus de 150 millions de pages consultées. Contrairement à la première version du site, le nouveau portail est accessible sur tous les supports, y compris les tablettes numériques et smartphones. Il sera également proposé sous peu sur des bornes spéciales, baptisées « infomats » ; 500 terminaux de ce genre devraient être installés sur le territoire russe d'ici 2015. Pour le journal The Moscow Times, le portail doit encore résoudre deux problèmes importants : la lenteur de chargement de ses pages et des défauts de qualité dans son fonctionnement. Malgré ces points en attente d'amélioration, la Russie semble donner une vraie priorité aux projets destinés à moderniser le pays et à le conduire vers un modèle de société de l'information.

Un marché des télécommunications prometteur

 

 La téléphonie mobile représente aujourd'hui l'essentiel du marché russe des télécommunications.  
Confrontés à la très vaste étendue du territoire et aux disparités interrégionales concernant le développement des infrastructures TIC, l'État et les entreprises de télécommunication russes ont cherché les solutions qui permettraient d'offrir à tous les citoyens un accès aux technologies de l'information et de la communication. À l'heure actuelle, l'accès au haut débit sur réseau fixe concerne environ 35 % de la population et le taux de pénétration Internet moyen est, dans le cas de la population russe, d'environ 42,8 %. Les services sans fil et la téléphonie mobile sont, dans ce contexte, d'une extrême importance. Le marché des services de télécommunication russe est passé d'environ 35 milliards de dollars en 2009 à 42 milliards de dollars en 2010 (soit une augmentation de 17,3 %), selon le rapport « Marché des télécommunications 2011 en Russie. Développements prévisionnels pour 2011-2015 », établi par PMR, société spécialisée dans l'analyse de marché. Le rapport affirme que la téléphonie mobile représente aujourd'hui l'essentiel du marché russe des télécommunications. Prenant en compte cette donnée, la société Rostelecom, dont l'État est propriétaire, a fait part de son projet d'offrir une couverture de l'ensemble du pays d'ici 2015 en matière de téléphonie mobile, une initiative qui n'est pas sans rapport avec l'effondrement du marché de la téléphonie fixe ces dernières années. Bien que Rostelecom ne bénéficie plus d'une position monopolistique sur le marché des télécommunications russes, d'autres compagnies étant entrées dans le jeu (notamment VimpelCom, MegaFon et Mobile TeleSystems (MTS)), elle reste un acteur déterminant du secteur. Début 2011, Rostelecom a opéré une fusion avec les sept filiales « méga-régionales » de Svyazinvest, société gérée par l'État dans le but de créer une plateforme nationale unique proposant ses compétences en téléphonie fixe, en haut débit et en services mobiles, à travers tout le pays. Cette fusion a permis à Rostelecom de réaffirmer son statut de société de télécommunication la mieux intégrée sur le marché russe.
 
Le rapport de 2011 sur les télécommunications révèle encore que la fourniture d'accès à Internet a été l'activité la plus dynamique et celle qui a connu le développement le plus rapide ces dernières années, augmentant de 30 % entre 2009 et 2010. Cette croissance a été encouragée par la pénétration toujours plus importante du haut débit sur réseau fixe et le développement rapide des réseaux 3G, ainsi que par les opérations de promotion intenses menées par les opérateurs autour de l'Internet mobile.
 
En 2011, la Russie a également annoncé son intention de mettre en place un réseau télécoms quatrième génération (4G) couvrant l'ensemble du pays, pour 2014. Au mois de mars, les quatre plus grosses sociétés de télécommunication russes et les anciens grands concurrents que représentaient VimpelCom, MegaFon, Mobile TeleSystems et Rostelecom ont décidé d'unir leurs forces pour développer ce réseau 4G. Ils ont signé un accord avec Yota, fournisseur de réseau sans fil, qui devrait prendre en charge la mise en place d'un réseau haut débit utilisant la technologie LTE(5).

Rostelecom et Yota ont réaffirmé leur souhait de coopérer en signant, en décembre 2011, un autre accord. Le texte stipule que Yota permet à Rostelecom d'accéder à son réseau LTE ; en échange, Yota est autorisé à passer par les infrastructures du réseau Rostelecom pour procéder à des opérations de transmission de données. Fin décembre 2011, Yota a pu commencer à tester le réseau LTE dans la ville de Novosibirsk, en Sibérie, où elle possèdait alors 63 stations.
 
Il convient néanmoins de rappeler qu'il existe une mainmise de l'État sur le marché prometteur des télécommunications. Les pouvoirs publics ont de fait déclaré que seuls les acteurs locaux pourraient être contractés pour la construction des infrastructures nécessaires. Par ailleurs, certains observateurs laissent entendre que les accords qui vont dans le sens d'un partage du réseau LTE, afin de maintenir des coûts bas, ont été imposés aux entreprises de télécommunication russes et ne sont nullement le fait de leur propre initiative. Les spécialistes font également remarquer qu'il existe un obstacle important au développement d'un réseau LTE dans le pays : les fréquences radio sont d'ores et déjà largement mobilisées par les systèmes de communication militaires et entreprendre une conversion de ces fréquences aurait un coût très élevé. Si le manque d'infrastructures adaptées et la demande toujours plus importante de services intégrant les TIC font de la Russie un marché à fort potentiel de croissance, l'indisponibilité du spectre, due à des limitations réglementaires, de même que le contrôle exercé par l'État sur ces questions, pourrait empêcher le développement rapide de la technologie LTE dans la région.

Tendances générales concerant l'usage d'Internet

 

Malgré les inégalités régionales en matière d'accès à Internet, les Russes sont, dans leur ensemble, des internautes actifs. En septembre 2011, la Russie est devenue le pays européen comptant le plus d'utilisateurs d'Internet, avec 50,9 millions de visiteurs uniques en ligne selon le rapport de ComScore, société spécialisée dans l'analyse de marché. La Russie dépassait alors, pour la première fois, l'Allemagne et ses 50,1 millions d'utilisateurs. Le rapport de ComScore précise qu’en septembre 2011, l'internaute russe moyen passait 22,4 heures en ligne, un peu moins que la moyenne européenne de 26,4 heures, et plus de 10 heures de moins que les champions de la navigation sur le Web en Europe, les Britanniques, qui passent en moyenne 35,6 heures connectés. The Moscow Times a qualifié les résultats du rapport de premier pas encourageant pour le développement du numérique en Russie, mais aussi comme un fait « naturel », si l'on prend en considération la taille importante du pays.
 
 
 
L'usage d'Internet a connu un développement sans pareil en Russie au cours des dernières années. Depuis 2008, le pays a gagné quelque 10 millions de nouveaux internautes, passant de 41 millions d'utilisateurs du Web en 2008 à 51 millions aujourd’hui, un chiffre qui n'est pas loin des prévisions de la société d'études marketing eMarketer, qui avait annoncé 55 millions d'internautes, sur la base des chiffres de 2008. eMarketer prévoit un total de 61,9 millions d'internautes en Russie pour 2013. Malgré des estimations légèrement au-dessus des chiffres exacts, Igor Shchegolev a déclaré, en octobre 2011, croire fermement que la Russie est destinée à devenir, dans un futur proche, le plus grand marché Internet de toute l'Europe.
 
Prévisions de l'évolution de l'usage d'Internet en termes de nombre d'internautes dans la Fédération de Russie
(estimations basées sur les chiffres de 2008 – en millions)
 
Source : eMarketer, février 2009
 
Malgré tout, si la Russie détient le record en termes de nombre d'internautes sur son territoire, son taux de pénétration ne lui offre pas un très bon classement parmi les pays européens. Étant donné l'importance de la population et l'étendue du territoire russe, il n'est pas surprenant de constater qu'à 50 millions d'internautes ne corresponde qu'un taux de pénétration de la population de 42,8 %. Le sous-développement des infrastructures TIC demeure l'obstacle principal au plein développement du marché numérique en Russie. Il existe des différences et des écarts très importants entre les régions en matière d'accès à l'Internet haut débit et de comportements numériques. Selon le rapport publié par la Fondation russe de l'Opinion publique au printemps 2011, 28 % des internautes russes sont concentrés dans la région centrale qui comprend Moscou. Suivent la région de Volga avec 19 %, le Caucase du Sud avec 14 %, la Sibérie avec 13 % et le Nord-Ouest, qui inclut Saint-Pétersbourg, avec 12 %. De nombreuses régions affichent des proportions inférieures ou égales à 9 %. C'est le cas notamment de la région de l'Oural, avec 9 %, et de la région extrême Est de la Fédération de Russie, qui ne compte que 5 % de la population des internautes. La progression du haut débit dans ces zones reculées devrait contribuer à la croissance générale du marché Internet dans le pays.
 
Les disparités entre les zones urbaines et rurales sur les questions d'usage de l'Internet, observées pour plusieurs régions, peuvent être expliquées par le coût de la connexion à Internet. Dans les grandes villes, comme Moscou, Saint-Pétersbourg ou Ekaterinbourg, où le taux de pénétration du haut débit est proche de 100 %, une connexion haut débit illimitée coûte entre 10 et 15 dollars par mois ; à Novosibirsk, le tarif est de 30 dollars par mois, et à Mourmansk, il atteint 120 dollars mensuels, selon le rapport « Internet’s New Billion » (« Le nouveau milliard d'Internet ») du Boston Consulting Group. L'accès limité au haut débit sur réseau fixe et le projet de développement, pour 2014, d'un réseau national de télécommunications adoptant la norme 4G font de la Russie une zone très favorable à l'utilisation d'Internet via des supports mobiles. En 2011, le nombre d'internautes se connectant par le biais d'appareils mobiles en Russie aurait augmenté de 19 %, un chiffre qui devrait continuer à augmenter au cours des prochaines années.
 
Les deux activités en ligne les plus populaires auprès des Russes sont l'utilisation du courrier électronique et le recours aux moteurs de recherche. En décembre 2011, les trois pages les plus consultées sur le Web étaient reliées à des réseaux sociaux : VKontakte, Odnoklassniki et Moi Mir. Yandex.ru est pour sa part le moteur de recherche le plus utilisé en Russie. En utilisant Internet essentiellement comme un moyen de communication, les internautes russes se démarquent du reste de  l'Europe. Pour les Russes, tout ce qui touche au divertissement et aux affaires reste secondaire, alors que ces secteurs sont synonymes d'une très forte activité en ligne dans les autres pays européens. Pour Leonid Delitsyn, consultant auprès de la société d'investissement russe Finam, les affaires en ligne devraient néanmoins prendre de l'ampleur avec le développement des accès au haut débit. Environ 21% des internautes russes effectuent régulièrement des achats en ligne et, en 2010, le marché russe de la publicité en ligne représentait environ 598 millions de dollars.

L'utilisation des médias sociaux

 

Les Russes sont les premiers utilisateurs de médias sociaux au niveau mondial. ComScore note qu'en août 2010, environ 74,5 % de la population russe connectée à Internet s'est rendue sur au moins un réseau social. Par ailleurs, l'internaute russe moyen a passé 9,8 heures par mois sur des réseaux sociaux, soit plus du double de la durée moyenne relevée au niveau mondial (4,5 heures).
 
 
 
Le fait que la communication soit le premier motif d'utilisation d'Internet chez les Russes explique en partie leur recours très enthousiaste aux réseaux sociaux. Liudmila Novichenkova, directrice Communication et marketing pour la filiale russe de Synovate, décrit les utilisateurs russes de réseaux sociaux de la manière suivante : « Ils cherchent à communiquer et à avoir des échanges sympathiques plutôt que de s'isoler dans un processus de recherche d'information. Ils sont très actifs et souhaitent être connectés en permanence. Ils essaient de mettre toutes les chances de leur côté en s'informant du mieux qu'ils peuvent grâce à Internet et aux réseaux sociaux ». Les spécialistes du numérique, tout comme les blogueurs, affirment que la popularité de sites comme VKontakte s'explique certainement, en partie du moins, par le fait qu'ils proposent de télécharger, facilement et gratuitement, de la musique et des vidéos de très bonne qualité. Dans un pays où l'État exerce un contrôle important sur la presse et l'audiovisuel, Internet et les réseaux sociaux représentent, au final, des voies alternatives au service de l'échange d'idées et de la diffusion de l'information. Ces outils transforment les Russes en consommateurs actifs de l'information, alors qu'ils ont longtemps été confinés dans le rôle de lecteurs et d'auditeurs passifs. Les réseaux sociaux ont aussi permis à des citoyens ordinaires de prendre le chemin de l'activisme politique et social, alors que l'autoritarisme continue à marquer très fortement le pays.

Il convient néanmoins de noter que l'essentiel des médias sociaux russes est soumis au contrôle d'un seul et même homme, Alisher Usmanov, 35ème richesse mondiale. Il est le principal actionnaire de Digital Sky Technologies, société qui a des parts très importantes dans VKontakte, la majorité des parts dans Mail.ru (Odnoklassniki et Moi Mir) et des parts minoritaires, mais loin d'être sans importance, dans Facebook, Twitter et Zynga, lesquels font intervenir un actionnariat international. Alisher Usmanov est également propriétaire de la maison d'édition Kommersant qui publie, entre autres, le quotidien du même nom, une référence de la presse économique. Cette situation monopolistique représente pour la liberté de la presse une menace d'autant plus importante qu'Alisher Usmanov entretient des relations très proches avec les dirigeants du pays.
 
VKontakte est, à l'heure actuelle, le réseau social le plus populaire, avec 23,4 millions d'utilisateurs actifs, passant en moyenne 20 minutes sur le site chaque jour, selon des chiffres TNS datant d'août 2011. VKontakte, qui est souvent présenté comme l'équivalent russe du géant mondial Facebook, a vu, depuis sa création en 2007 par Pavel Durov, son nombre d'utilisateurs en constante augmentation.
 
 
Source : TNS, août 2011
 
En février 2011, Durov a annoncé, sur son blog, que serait appliquée à VKontakte une politique d'adhésion « par contact » selon laquelle seule peut intégrer le réseau une personne ayant reçu une invitation de la part d'un de ses « amis » déjà inscrit sur le réseau social. Pour les spécialistes du secteur en Russie et les blogueurs, ce changement traduit, tout comme d'autres mesures, une volonté de faire grimper la valeur marchande du site et de renforcer sa position face à ses concurrents.
Le nombre d'utilisateurs enregistrés en Russie par le géant mondial Facebook n'atteint pas même la moitié du nombre d'inscrits sur VKontakte : le plus célèbre des réseaux sociaux ne compte en effet que 10,7 millions d'utilisateurs en Russie, qui ne se connectent, en moyenne, que trois minutes par jour sur le site. Si Facebook connaît aussi des difficultés d'insertion dans des pays comme le Brésil et la Chine, la Russie est envisagée comme l'un des meilleurs tremplins possibles pour élargir la communauté des 800 millions d'utilisateurs Facebook, selon l'étude Trend Tracker 2011 publiée par Synovate. Mais la concurrence s'avère rude face aux réseaux sociaux locaux, en tête desquels caracolent VKontakte, Odnoklassniki et Moi Mir, et la barrière de la langue vient s'ajouter comme une difficulté supplémentaire à la conquête du public.
 
 
 
Facebook bénéficie certes d'une dynamique internationale qui fait défaut aux sites locaux et sa base d'utilisateurs serait, d'un point de vue général, plus cultivée et plus urbaine que celle de VKontakte, qui compte essentiellement parmi ses membres des lycéens et des étudiants. Par ailleurs, Facebook a signé, d'entrée de jeu, des accords sécurisés avec les opérateurs sans-fil Beeline et Mobile Telesystems afin de proposer des applications mobiles et le site de Mark Zuckerberg propose des outils plus adaptés à la gestion de contacts et activités professionnels.
 
VKontakte continue néanmoins à innover pour gagner en professionnalisme et satisfaire toujours plus d'internautes avides de nouveautés numériques. Le réseau social russe a adopté des mesures anti-spam – le spam est souvent désigné comme l'un des problèmes majeurs de VKontakte – et, depuis avril 2011, il est possible d'ouvrir une page professionnelle pour mettre en avant ses activités, et de publier des vidéos promotionnelles. Les contenus audio et vidéo piratés que proposent les réseaux sociaux russes désavantagent clairement Facebook qui ne peut pas se prêter à ce genre de pratiques, en raison des lois internationales sur le droit auteur. Cependant, VKontakte ayant pour objectif d'être côté en bourse d'ici 2012, il devra impérativement revoir sa politique d'accès libre concernant les contenus protégés par le droit d'auteur.
 
Odnoklassniki est le deuxième réseau social le plus utilisé en Russie, avec 16,5 millions d'utilisateurs, qui passeraient en moyenne 25 minutes sur le site chaque jour, soit cinq minutes de plus par rapport au temps moyen passé par un Russe amateur de réseaux sociaux sur VKontakte, et 22 minutes de plus que le temps qu'il passe sur Facebook. Créé en 2006 par Albert Popkov, le site se concentre essentiellement sur le partage et la notation de photos, la messagerie instantanée et, depuis peu, les jeux et la diffusion de musique et vidéos en streaming. En règle générale, ses utilisateurs sont plus vieux que ceux de VKontakte ; ils ont en moyenne entre 25 et 35 ans. Parmi les premiers adeptes d’Odnoklassniki, nombreux sont ceux à être passés aux réseaux plus modernes que sont VKontakte et Facebook, un phénomène qui conduit Leighton Peter Prabhu, associé de la société Interstice Consulting LLP, à penser que, dans le futur, la part de marché d'Odnoklassniki devrait diminuer peu à peu.
 
 
 Source : TNS, août 2011
 
Odnoklassniki fait partie, tout comme le troisième réseau social le plus populaire du pays, Moi Mir, du groupe Mail.ru, dont Usmanov est le principal propriétaire. Moi Mir affiche un total de 18,9 millions d'utilisateurs, qui y passent en moyenne neuf minutes par jour. Le site a été lancé en 2007 et attire l'essentiel de ses utilisateurs grâce à son service de messagerie électronique intégré. Prabhu pense qu'Odnoklassniki et Moi Mir, qu'il décrit comme adoptant les normes standard communes à tout réseau social sans se différencier par la moindre caractéristique originale, pourraient très probablement, dans un futur proche, fusionner pour devenir un seul et même réseau social.
 
Twitter, le célèbre site de microblogging, trouve lui aussi son public parmi les internautes russes. Il séduit une population plus diplômée et plus cultivée, active sur les plans politique et social. Selon le site Yandex.ru, la Russie compte, à l'heure actuelle, plus d'un million d'inscrits sur Twitter, avec plus de 37 000 tweets écrits en russe quotidiennement. En avril 2011, Twitter a annoncé le lancement de ses versions en russe et en turc. 2011 a aussi vu la publication, en Russie, du premier guide d'utilisation de Twitter, sous le titre Des réseaux sociaux – Twitter – S'exprimer en 140 caractères (? ?????????? ?????.Twitter - 140 ???????? ?????????????)(6), un livre écrit uniquement avec des phrases de 140 caractères maximum. En octobre 2011, le quotidien russe Kommersant a révélé que Mail.ru prévoyait de lancer son propre site de microblogging, lequel devrait représenter, à court terme, une sérieuse concurrence pour Twitter.
 
Si Twitter a été, à plusieurs reprises, l'instrument de lancement de manifestations à caractère social ou politique dans le pays, l'État et son président, Dmitry Medvedev se sont eux aussi montrés des utilisateurs actifs du site de microblogging, gardant par ailleurs un regard attentif sur l'ensemble de la sphère des médias sociaux. Ainsi, à la suite des élections contestées du Parlement russe en décembre 2011, les appels à manifestation diffusés sur Twitter auraient été mis en échec grâce à des envois massifs de spams, noyant les échanges dans un flot de messages viraux. La BBC a révélé par la suite que VKontakte avait également été « contacté par le Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie pour fermer tous les groupes comportant des messages appelant à donner une tournure violente aux manifestations ». Cet exemple montre les limites du rôle des réseaux sociaux comme vecteurs d'un activisme socio-politique, dans un pays où la presse et les médias audiovisuels sont soumis au contrôle de l'État. L'épisode de décembre 2011 illustre ce qu'Evgeny Morozov a désigné comme « le côté obscur de la liberté de l'internet », dans son livre paru début 2011, où il aborde, entre autres, le thème des mauvais usages de l'internet par les pouvoirs publics russes(7).

Séduits par les possibilités offertes par les réseaux sociaux, les internautes russes semblent décidés à faire plein usage de ces nouveaux outils au service de la communication, de la création de réseaux et de l'activisme social, même s'ils sont guettés par les opérations publicitaires du commerce en ligne. Cependant, le contrôle déjà exercé par le gouvernement sur les médias laisse penser que les pouvoirs publics pourraient placer les réseaux sociaux sous surveillance. Cette surveillance pourrait se durcir avec la popularité grandissante et l'impact possible de ces nouveaux espaces du Web sur la vie politique et sociale du pays.

Moteurs de recherche : Yandex contre Google

 

Si VKontakte est souvent désigné comme le Facebook russe, Yandex, le moteur de recherche le plus utilisé en Russie, se voit facilement attribué l'étiquette de Google russe. Sur le quatrième trimestre 2011, Yandex aurait atteint une moyenne mensuelle de 62,7 % de parts sur le marché des moteurs de recherche dans le pays. Pour certains mois de la période 2010-2011, Yandex a pu atteindre jusqu'à 64 % du trafic des moteurs de recherche, tandis que Google a enregistré son pic en mai 2010, avec 36 %, un chiffre qui depuis a baissé, selon les relevés de ComScore.
 
 
 
En mai 2011, Yandex a été inscrit sur la liste NASDAQ – le site est côté à 1,3 milliards de dollars pour son introduction en bourse – le système boursier américain à plus forte valeur depuis l'entrée en bourse de la société Google Inc. en 2004. Si Google reste un leader incontestable, au niveau mondial, parmi les moteurs de recherche, Andy Atkins-Kruger, rédacteur en chef de Multilingual-search.com se base sur une analyse des chiffres du dernier trimestre 2011 pour affirmer que le site chinois Baidu est, dans ce domaine, celui qui connaît actuellement la plus forte croissance, suivi par Yandex. Cette croissance est essentiellement enregistrée sur des marchés où la pénétration Internet est relativement faible et où Google semble définitivement avoir perdu la bataille face aux deux grands moteurs de recherche locaux.
 
Yandex a ouvert ses services au territoire turc en septembre 2011. Si le site avait déjà été déployé dans des pays étrangers, tous étaient russophones : l'Ukraine, la Biélorussie et le Kazakhstan présentaient le point commun de la langue. Avec la Turquie, Yandex franchit une première étape dans son développement en tant qu'acteur à dimension internationale. Le PDG de Yandex, Arkady Volozh, a expliqué sa stratégie d'expansion en Turquie de la façon suivante : « Au lieu de nous contenter d'ouvrir notre site à un nouveau territoire, c'est un tout nouveau produit que nous proposons, adapté au profil spécifique des internautes turcs ». Arkady Volozh a ajouté que sa société comptait faire un usage plus intense des technologies qui seront en jeu dans le futur. Cette déclinaison locale du site pourrait constituer l'un des plus grands avantages de Yandex face à Google. Analysant le succès de Yandex sur le marché russe, Igor Ashmanov, expert des nouvelles technologies, estime que « l'ancrage géographique fort a été l'un des principaux atouts de Yandex, qui a cherché à s'adapter aux langues en présence et à produire un contenu riche sur les données locales (avec des cartes, des agendas, des informations sur le trafic routier, des films et des fils d'actualité) ». Il est certainement bon de rappeler que le développement de Google à l'international a été grandement facilité par l'absence de concurrence dans de nombreux pays qui n'avaient pas vu émerger de moteur de recherche au niveau national, laissant à Google l'opportunité de combler un espace non occupé. De fait, s'il est très probable que Google pourra maintenir son monopole dans les pays anglo-saxons, l'approche géographiquement plus précise de Yandex (et de Baidu(8)) pourrait très bien être appliquée à d'autres territoires et d'autres langues, avec succès. Reconnaissant les ambitions internationales très claires de Yandex et Baidu, Atkins-Kruger affirme que la « guerre des moteurs de recherche » est loin d'être terminée.
 
Les développements possibles des trois plus grands
moteurs de recherche à l'international
 
 
« Guerre des moteurs de recherche » : la carte des zones de combat
 
Au-delà de ses ambitions internationales, Yandex a choisi d'élargir l'étendue de ses services à destination des utilisateurs russes, en espérant que les nouveaux outils trouveront également, dans un second temps, leur public à l'étranger. En septembre 2011 a été lancé Apps.Yandex.ru, un service de recherche mobile permettant de trouver des applications numériques correspondant à un thème donné. Le moteur de recherche est compatible avec l'iPhone, l'iPod Touch et les lecteurs équipés d'Android ; App.Yandex.ru sélectionne uniquement des applications disponibles en langue russe. Il s'agit là du seul service de Yandex proposé d’abord sur lecteurs mobiles, avant d'exister en version classique, pour écrans fixes. En octobre, le site russe a signé un accord avec Samsung stipulant que le moteur de recherche de Yandex sera défini comme moteur de recherche par défaut sur tous les smartphones Samsung sous système Bada, dans tous les pays de la CEI (Communauté des États indépendants). A suivi, en novembre, l'annonce d'un autre partenariat, avec Nokia, Samsung, HTC et Microsoft, faisant du moteur de recherche Yandex l'outil par défaut sur tous les téléphones sous Windows à venir. Il est évident, au vu de ces dernières évolutions, que la société Yandex a pour ligne de mire principale le marché de la téléphonie mobile, lequel promet de belles perspectives en Russie, en raison de l'étendue du territoire et des faibles taux de pénétration du haut débit. Dans un communiqué de presse, Tigran Khudaverdyan, responsable des sites Internet et des services mobiles de Yandex, a confirmé cette orientation : « Le secteur du mobile est l'une de nos priorités majeures. Nous développons et nous avons d'ores et déjà mis en place plusieurs applications mobiles à destination des plateformes qui dominent le marché », a-t-il déclaré. À cette heure, Yandex compte déjà à son actif toute une série d'applications mobiles, comme Yandex.Maps, Yandex.Mail, Yandex.Metro, Yandex.Trains, Yandex.Market. Avec ces nouveaux services, Yandex semble bien armée pour renforcer sa position dominante sur la zone russophone, mais aussi, très certainement, au-delà.


Bien que le paysage des nouvelles technologies ait connu des améliorations certaines au cours des dernières années, avec notamment la mobilisation des TIC dans de nombreuses sphères de la vie publique, le sous-développement des infrastructures, qui empêche l'accès aux technologies de l'information et de la communication et maintient les inégalités interrégionales, représente un défi de taille. Le contrôle de l'État, qui s'étend peu à peu aux réseaux sociaux, est un autre problème essentiel, qui fausse la dynamique naturelle de développement des médias sociaux, autant sur le plan des infrastructures que sur le plan des pratiques. Malgré ces obstacles persistants, les Russes se présentent comme des utilisateurs très actifs d'Internet et des réseaux sociaux – une tendance qui ne devrait pas fléchir, si le pays continue à favoriser un accès aux TIC plus facile et moins onéreux. La téléphonie mobile et les services d'accès à Internet sont les deux segments du marché russe des télécommunications connaissant la plus forte croissance. Dans ce contexte, et étant donné les projets ambitieux de mise en place d'un réseau national 4G d'ici 2014, la Russie pourrait devenir un leader mondial, si ses initiatives sont couronnées de succès. En raison de la barrière de la langue et des particularités culturelles de la zone, les acteurs russes, comme VKontakte, Odnoklassniki et Yandex, ont pu résister et affronter ceux qui, jusqu'à aujourd'hui, dominent le marché mondial. Ils ont par ailleurs toutes les cartes en main pour accroître leurs parts de marché, sur le territoire national comme à l'étranger. En résumé, la Russie, vaste territoire sur lequel le marché des TIC présente un fort potentiel de croissance, réunit toutes les conditions pour devenir une véritable société de l'information, mais uniquement dans le strict cadre défini par le pouvoir politique à la tête de la Fédération.


 
Traduit de l'anglais par Kevin Picciau

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Crédits photos :
- Antom Fomkin / flickr
- Panorama des réseaux sociaux en Russie : n_grey / flickr
- « Guerre des moteurs de recherche », la carte des zones de combat / Webcertain
(1)

L'indice concernant la vision gouvernementale sera très probablement revu à la hausse une fois que le Programme fédéral adopté en 2010 sera intégré dans l'analyse. 

(2)

L'Economist Intelligent Unit procède à une évaluation annuelle du niveau des pays en matière de nouvelles technologies depuis l'an 2000. 

(3)

L'ITU Telecom fait partie de l'ITU, l'institution spécialisée des Nations-Unies pour les technologies de l'information et de la communication. 

(4)

Rostelecom détient 80 % des parts de marché sur le territoire national pour les services de téléphonie fixe ; elle est aussi la propriétaire d'un réseau national backbone de fibre optique, courant sur 160 000 km et relié à la fois à des opérateurs nationaux et étrangers. Source : Rostelecom: Russian roulette. 

(5)

La norme LTE (Long Term Evolution) est, dans le contexte actuel, celle qui devrait être retenue comme norme officielle par le secteur des télécommunications pour le développement de la technologie 4G. La norme LTE permet une connexion plus rapide et propose une meilleure qualité aux utilisateurs. Les fournisseurs, pour leur part, trouvent ici une technologie qui permet, à un instant t, la connexion d'un plus grand nombre d'utilisateurs et la circulation d'un plus grand nombre de données sur leur réseau. Source : What is LTE technology? 

(6)

? ?????????? ?????.Twitter - 140 ???????? ?????????????, E., Fedotchenko, Y. and Chabanenko, K., 2011. 

(7)

Morozov, E. 2011. The Net Delusion: The Dark Side of Internet Freedom. 

(8)

Pour un panorama des projets de développement de Baidu à l'international. 

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