La Social TV, ou la "voix" de retour de la télévision

La Social TV, ou la "voix" de retour de la télévision

Quand les téléspectateurs choisissent leur programme TV, échangent entre eux et participent à l’interactivité antenne au travers des réseaux sociaux.  
Temps de lecture : 10 min

Regarder la télévision a toujours été par nature une activité collective, génératrice de lien social, même si l’on est parfois seul devant son écran, comme l’explique le sociologue et spécialiste des médias Dominique Wolton : « Parce que nos sociétés sont celles du grand nombre et, par conséquent, abstraites, il leur faut un lien social. La télévision participe au modèle démocratique en ce sens qu'elle est un peu, dans le domaine culturel, le correspondant du suffrage universel dans le domaine politique. »
 
La télévision, média d’information, d’éducation et de divertissement, sait fédérer de larges audiences. Par la transmission du son et de l’image animée, ce média chaud et incarné permet de diffuser simultanément vers des millions d’écrans des événements que l’on partage avec émotion, comme les premiers pas de l’homme sur la Lune, les attentats du 11 Septembre ou la victoire des Bleus en finale de la Coupe du Monde de football. C’est aussi par excellence le média de la fonction phatique, telle que d&eacuteeacute;finie par le linguiste Roman Jakobson. Il nous est tous arrivé d’engager la conversation, le matin à la maison ou devant la machine à café au bureau, sur le thème du programme télévisé regardé la veille : « Tu as vu hier le reportage sur … ? ». La télévision est par essence le média du partage et des conversations, qui transcende la dimension sociétale du collectif et sociale de l’individu.

La télévision dite interactive à l’heure du Web social

L’interactivité verticale et conversationnelle entre le public et la télévision n’est pas nouvelle. Depuis l’époque de l’ORTF, avec le mythique standard téléphonique SVP 11-11 des Dossiers de l’Écran, les SMS puis les Webcams et les réseaux sociaux comme Twitter et Facebook ont pris le relai. Les téléspectateurs peuvent, dans certaines émissions télévisées, s’exprimer directement à l’antenne depuis leur salon. Cette forme d’interactivité électronique ajoute à la voie descendante du signal de la chaîne une voie de retour, la « voix remontante » de ceux qui la regardent.
 
Avec le développement fulgurant du Web 2.0, communautaire et collaboratif grâce à des outils simples et intuitifs tels que les blogs, forums, services de chat et réseaux sociaux, la nouveauté réside plutôt dans la relation horizontale que mettent en place entre eux les téléspectateurs, sans que les chaînes de télévision ne soient nécessairement parties prenantes. Dans l’univers digital, comme dans la sphère sociale en générale, la majorité des conversations autour de la télévision échappe totalement aux acteurs de l’audiovisuel.
 
Écouter les téléspectateurs, les aider à choisir un programme, leur proposer d’interagir avec une émission, en faire des ambassadeurs de marque, les fidéliser, voilà pourtant les principaux enjeux industriels qui relèvent de cette télévision conversationnelle et interactive, la Social TV pour utiliser un anglicisme.

Les tendances technologiques de la Social TV

Sous la pression des technologies digitales, l’ADN de la télévision évolue : explosion de l’offre de chaînes de télévision et de Web TV ; percée de la consommation à la demande (télévision de rattrapage, vidéo à la demande payante, YouTube, Dailymotion ; multiplication des écrans vidéo (TV, ordinateur, tablette, console de jeu, mobile) et des réseaux (TNT, câble, satellite, ADSL, Wifi, 3G) ; discussion en direct autour des programmes télévisés et viralisation des contenus dans les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, MSN Messenger).
 
Alors que la télévision analogique, de masse et linéaire, s’apprête à s’éteindre fin 2011 au profit de la TNT, le média télévision se transforme progressivement en hyper-télévision : un uni-média où chacun est son propre directeur des programmes ; mais aussi un hyper-média où chaque « téléspect-acteur » devient émetteur de contenu pour l’antenne via le Web, d’avis par la voie de retour interactive, et de recommandations par les médias sociaux.
 
Avec le déploiement massif de terminaux connectés tels que les décodeurs des opérateurs (Freebox, Livebox, Dartybox, Bbox, neuf Box SFR, NC Box, Le Cube Canal+), les Smart TV (télévisions connectées sous environnement Connect TV Yahoo, Google TV, HbbTV ou Apple TV), les consoles de jeu (Canal+ sur Xbox Live), les tablettes (iPad, Galaxy Tab, Archos) ainsi que les smartphones favorisant l’interactivité avec les programmes, une « TV 2.0 » prend corps. Cette télévision innovante se veut segmentée, parfois à la demande, participative et communautaire. Avec sa forte dimension sociale, elle engendre de nouvelles relations au sein de l’éco-système audiovisuel, aussi bien verticalement entre les professionnels et le public qu’horizontalement entre téléspectateurs. L’enjeu pour les acteurs de la chaîne de valeur (producteurs audiovisuels, annonceurs publicitaires, agences média, chaînes TV, éditeurs de bouquet TV, opérateurs télécom, fabricants de terminaux) est de maîtriser cette mutation des usages.
 
Alors que les industriels expérimentent ces nouvelles pratiques et essaient d’y trouver un modèle économique, les chercheurs commencent eux aussi à s’intéresser à la Social TV. Ainsi, la Canadienne Marie-José Montpetit dispense un cours sur le sujet au fameux MIT Media Lab, aux États-Unis. Elle étudie comment rendre la télévision mobile par le contenu et sociale par les dispositifs et l'expérience utilisateur. Son travail vise à l'amélioration de l'écosystème vidéo multi-écrans et sur réseaux hétérogènes, avec de nouvelles approches combinant une meilleure utilisation des ressources et la maximisation de l'expérience usager. Le numéro de mai-juin 2010 de la MIT Technology Review a reconnu son travail de recherche appliquée en Social TV comme une des « TR10 » - une des dix technologies qui peuvent changer le monde.

Le filtre social de la recommandation pour choisir ses programmes TV

Comme pour les suggestions de livres chez le libraire en ligne Amazon ou de morceaux sur le site d’écoute musicale Spotify, la recommandation de programmes via les réseaux sociaux devient une fonction clé pour stimuler les audiences de la télévision en direct, voire en télévision de rattrapage sur les plateformes de replay des chaînes. Le filtre social est devenu le nouveau syntonisateur des contenus télévisuels, comme l’explique le spécialiste des médias sociaux Martin Lessard :« La surabondance des canaux ne peut que renforcer l'agrégation et le filtrage a posteriori. Comment faire, effectivement, pour savoir ce qui est bon et souhaitable d'écouter ? Quand notre réseau laisse percoler la qualité, distillée par de multiples «retweets» et de «Facebook j'aime», il nous indique, comme un guide horaire social, ce qui «fait sens» dans notre communauté. »
 
Un sondage réalisé en août 2010 par RedShift Research pour le compte d’Intel montre l’influence des réseaux sociaux sur la consommation télévisuelle : « Les 18-24 ans sont 42 % à se servir d’un outil de messagerie instantanée pour discuter des émissions, tandis que plus d’un tiers (35 %) publient leurs commentaires sur des réseaux sociaux. Et la génération X n’est pas en reste : 20 % des adultes ont recours à la messagerie instantanée et 16 % aux réseaux sociaux. Nous sommes par ailleurs 22 % à souhaiter disposer d’un moyen rapide et simple pour conseiller telle ou telle émission à nos proches. »
 
Lors de la grand-messe audiovisuelle de l’IBC, en septembre 2010, les avis des professionnels quant à l’efficacité de la recommandation sociale étaient plutôt mitigés. Néanmoins, les innovations se multiplient sur le Web, le plus souvent à l’initiative de start-ups américaines, pour accompagner les internautes dans leur recherche de programmes TV diffusés sur le petit écran. Le guide TV Clicker a annoncé en décembre 2010 un partenariat stratégique avec Facebook permettant d’intégrer dans l’algorithme de recommandation Clicker Predict les avis de ses amis sur le réseau social parmi une cinquantaine de paramètres de personnalisation automatique.

Échanger sur un programme TV au travers des réseaux sociaux

De par leur impact émotionnel, les grands événements planétaires sont propices au partage entre téléspectateurs. Lorsque la communion ne peut se faire dans le cadre intimiste du salon ou celui plus ouvert d’un écran de télévision dans un bar, les outils de communication électronique assurent le lien entre les individus. La technologie abolit la distance physique et créé une agora virtuelle où chacun peut exprimer ses réactions. Les vecteurs génériques de communication interpersonnelle sont multiples : envoi de SMS, chat sur MSN Messenger, échange sur Facebook ou Twitter…
Le premier cas le plus emblématique de Social TV à l’échelle planétaire fut l’investiture du président américain Barak Obama le 20 janvier 2009. L’événement, retransmis en direct sur le site Web de la chaîne d’information CNN, était intégré à la plateforme Facebook. Tout en regardant le flux vidéo sur leur ordinateur, les internautes pouvaient, dans la même page, suivre l’activité de leurs amis et s’exprimer en temps réel au travers de leurs statuts Facebook. 
 
L'opération a été un succès, selon le New York Times. En neuf heures, CNN.com a enregistré 21,3 millions de connexions à son flux vidéo, contre seulement 5,3 millions le jour du scrutin. Facebook a aussi connu une activité record, avec un million de changements de statuts, dont 8 500 pendant la première minute du discours de Barack Obama.
 
En France, TF1 a ensuite expérimenté le même type de dispositif avec l’intégration du Facebook Live Stream sur son site, notamment pour la Coupe du Monde de football de 2010.
 
Cette déferlante de la Social TV se manifeste par l’apparition d’outils et de réseaux sociaux dédiés aux conversations devant le petit écran. Aux États-Unis, il y a pléthore de sites de check-in TV : Tunerfish, Miso, Hot Potatoes, Philo, Get Glue ou encore Clicker. En France, l’offre de services sur le Web, et bientôt sur les écrans mobiles, se segmente entre ParlonsTV pour les commentaires en mode non-linéaire, et Devantlatele, TweetYourTV et Jakaa pour les commentaires en direct. Devantlatele et TweetYourTV sont des agrégateurs de tweets qui vont chercher sur les réseaux sociaux les conversations autour de la télévision, tandis que Jakaa se positionne plutôt en salon privé où l’on vient à dessein discuter de la télévision et commenter les programmes.
 
Une étude menée pour le compte des chaînes privées britanniques a mis en évidence le fait que ces usages conversationnels allaient prendre de l’importance avec l’apparition du deuxième écran dans le salon (ordinateur portable, smartphone, tablette) sur lequel on tapote en regardant la télévision. Cette pratique du « canapé virtuel » concernerait plus d’un téléspectateur sur trois, selon l’étude de Thinkbox et Decipher.
 
La consommation multi-écran sera un facteur d’accélération pour la Social TV. La livraison 2010 de l’étude CRÉDOC sur la diffusion des technologies de l’information et de la communication dans la société française montre que les cadres et les adolescents passent déjà plus de temps sur Internet que devant la télévision. L’étude met aussi en évidence qu’« une personne sur sept environ regarde la télévision via son ordinateur.Pour 15 % des Français, Internet sert aussi à regarder la télévision sur l’ordinateur(+ 1 point en un an ; la part d’internautes concernés reste stable à 20 %). À nouveau,les plus jeunes se distinguent : 31 % des adolescentsregardent la télévision sur un ordinateur. Les groupes les mieux dotés en capitaléconomique et culturel sont, aussi, plus souvent concernés : 22 % des cadres, 21 %des diplômés du supérieur, 20 % des hauts revenus. »

Contribuer à la co-création d’un contenu pour la télévision

Après le filtre social et les échanges interpersonnels, la Social TV se matérialise enfin dans la participation à des programmes. Avant, pendant et après la diffusion, les téléspectateurs sont appelés à apporter leur contribution au contenu.
 
La série TV américaine collaborative Karma Bar sur Current TV, la comédie Bad Girls Club sur Oxygen et ses expérimentations avec Twitter, le phénomène Twitter TV durant les MTV Video Music Awards avec Justin Bieber en guest star, ou plus proche de nous le documentaire participatif Citizen Maria sur Arte, sont dans cette veine.
 
À grande échelle, qu’il s’agisse du télé-crochet X-Factor sur la chaîne britannique ITV avec ses 2,3 millions de fans sur Facebook ou de la télé-réalité Secret Story sur TF1 avec ses 450 000 vidéos vues par semaine pour la Web-émission « L’After Secret », les chaînes souhaitent capitaliser sur ces audiences de télévision éphémères avec l’extension d’un Before et d’un After sur les écrans numériques. En termes de marketing de grande consommation, après avoir conquis un nouveau client, l’enjeu est de le fidéliser. Car la fidélisation coûte moins cher que la conquête et offre un meilleur retour sur investissement.
 
Les marques programmes comme les marques chaînes investissent donc les réseaux sociaux. Elles tentent de construire une continuité de service, une trame narrative, avant, pendant et après la diffusion. On parle alors de cross-média (même contenu sur différents écrans) ou de transmédia (des contenus et une narration spécifiques à chaque écran). L’objectif de ces dispositifs de multi-diffusion et de co-création est double : favoriser l’engagement des téléspectateurs et maximiser la « durée de vie client ».
 
C’est cette logique d’extension, de fidélisation et de monétisation qui prévaut pour le lancement d’une application jeu dédiée aux fans de la série musicale Glee. Les « Gleeks » peuvent s’adonner au karaoké (payant) sur leur iPhone ou leur iPad.

Un défi : s’approprier les méthodes du marketing online

Face à l’individualisation de la consommation télévisuelle, recréer du lien social, partager une expérience, des informations et des émotions autour d’un programme, est devenu une quête pour les téléspectateurs de l’ère digitale.
 
C’est pourquoi les acteurs économiques de l’audiovisuel vont devoir adapter leur approche du consommateur et faire preuve d’écoute (co-création avec les publics), en s’appuyant sur la puissance des médias sociaux pour mieux distribuer les contenus et diriger l’attention. Ils devront aussi développer de nouveaux modèles économiques sans pénaliser les revenus actuels. À l’heure des bases de données comportementales, des pages fans sur Facebook et du marketing ultra-ciblé, la « CRMisation » (Customer Relationship Management / Gestion de la Relation Client) des médias est en marche : « Dis-moi qui tu es et ce que tu aimes pour qu’en échange je te propose les meilleurs contenus en affinité avec tes goûts ! »  
 
En télévision, le nouveau processus de création et de distribution des contenus est basé sur une relation continue avec les téléspectateurs. En permanence, le public est invité à co-créer des contenus avec le producteur ou la chaîne de télévision.
 
Si « l’écoute » et le « marketing promotionnel » sont les clés du succès de la relation client traditionnelle, cette dernière se doit d’évoluer avec la prise en compte des réseaux sociaux et des nouveaux outils de communication (smartphones, tablettes, 3D, …) en faisant entrer un troisième pilier : « le community management »(1).
 
De fait, « l’écoute », le « marketing promotionnel » et le « community management » constituent ensemble les trois piliers de la relation en Social TV :
 
  • L’Écoute est la capacité à étudier les besoins, à comprendre les usages, à analyser les conversations et à éditorialiser les contributions ;
  • Le Marketing promotionnel vise à engager des actions de communication ciblées pour impliquer les influenceurs TV et viraliser les contenus par la recommandation entre téléspectateurs ;
  • Le Community Management permet de fidéliser par l’interactivité et de valoriser les publics.

Une fois ces trois facteurs mis en place, ils se complètent naturellement et bouclent ensuite de manière vertueuse et itérative.
 
Pour les acteurs de la Social TV et de la chaîne de production audiovisuelle, il s’agit donc de prendre en compte l’avis des téléspectateurs (« l’écoute ») afin de mettre en place des actions ciblées adaptées (« le marketing promotionnel »). Les chaînes cherchent à transformer leurs téléspectateurs en « télé-acteurs », favorisant ainsi la co-création puis la circulation des contenus enrichis par le(s) public(s). Comme le poste de télévision n’est plus l’unique réceptacle des programmes télévisuels, les professionnels doivent donner une dimension interactive et sociale à leurs contenus afin de les rendre consommables, et surtout transmissibles, quels que soient le canal de diffusion et l’écran de consommation.
 
Enfin, ces piliers, et plus particulièrement les réseaux sociaux, permettent de poursuivre le dialogue avec les téléspectateurs après la diffusion hertzienne d’un programme, en continuant à le faire vivre sur d’autres canaux de diffusion. L’objectif est d’aller à la rencontre des téléspectateurs sur tous les écrans et de les fidéliser par de nouveaux services. Le danger est cependant de « fatiguer » le téléspectateur en étant trop intrusif et en n’adaptant pas suffisamment les messages et contenus, d’où l’importance d’une gestion accrue de la relation client et des canaux de diffusion.
 
Par leur interactivité native, les terminaux numériques connectés engagent à la fois les consommateurs et les acteurs de l’audiovisuel dans la voie de la Social TV. Dans cet environnement de contenus et services innovants, en perpétuel renouvellement, la clé du succès de la TV 2.0 sera donc la capacité des professionnels de la télévision à dialoguer avec les publics afin de mieux anticiper leurs besoins et d’en faire leurs clients ambassadeurs.
 
Les éditeurs de chaînes, mais aussi l’amont et l’aval de la chaîne de valeur, comme les producteurs audiovisuels et les distributeurs de bouquets TV, ont devant eux la possibilité de devenir de nouveaux infomédiaires. Celui qui « écoute » et « parle » avec le téléspectateur est amené à prendre le contrôle de ces logiques bidirectionnelles et multi-écrans, fondatrices d’une nouvelle économie pour l’industrie audiovisuelle. Ainsi, avec la Social TV, nous passons progressivement d’une économie de l’attention à une économie de l’engagement.


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Crédit photo : Feeding The Puppy
(1)

Il est intéressant de noter que ce terme a connu un fort succès en 2010, surtout en France, pour disparaître à l’heure actuelle au profit du terme « curator ». Au final, il s’agit toujours de la gestion de la relation client sur les réseaux sociaux et de la diffusion de l’information auprès d’eux. 

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