Illustration Stories

© Crédits photo : Yann Bastard

La story, reine de l’info mobile

Nouveaux formats de l’info, 1er épisode : depuis quelques temps, les stories ont le vent en poupe. Ce format adapté à la navigation mobile, constitué de panneaux contenant images, vidéos et sons s’est popularisé. Pour un média, comment s’en emparer et créer une expérience intéressante pour les lecteurs ?

Temps de lecture : 9 min

Le 3 octobre 2013, Snapchat, lance une fonctionnalité qui va avoir un impact important : les stories. L’application, lancée un peu plus de deux ans auparavant, permettait à ses utilisateurs d’envoyer des contenus éphémères à leurs contacts. Une fois visionnées, les photos et vidéos ne peuvent plus être consultées… sauf si la personne qui les a reçues en a fait une capture d’écran.

Le principe des stories tourne autour de cette idée : les utilisateurs peuvent désormais compiler les contenus de leur choix (consultables pendant vingt-quatre heures) dans cet espace qui peut être rendu public. Un peu plus d’un an plus tard, en janvier 2015, Snapchat inaugure une nouvelle section dans son application : Discover. Celle-ci propose des stories fabriquées par des médias partenaires. BuzzFeed, CNN, ESPN, Mashable, Vice font partie des heureux élus. Pour en faire partie, il faut pouvoir justifier la constitution d’une équipe suffisante qui peut publier chaque jour (ou presque) des contenus exclusifs et originaux.

Le service arrive en France en septembre 2016. Les prétendants sont nombreux, et tous ne peuvent pas accéder aux quelques places proposées. L’Équipe, Le Monde, Konbini, Vice, Paris Match, Cosmopolitan, Tastemade et Melty sont les partenaires du lancement de Discover dans l’Hexagone. Il faut dire que les bénéfices vantés à l’époque par Snapchat sont nombreux : l’application permet aux médias présents sur Discover de toucher une tranche d’âge particulièrement prisée, celle des 15-24 ans.

Les quelques médias n’ayant pas pu (ou pas voulu) accéder à Discover se sont rabattus par la suite sur Instagram, qui a repris l’idée des stories à Snapchat, ou sur AMP Stories, outil de Google (notamment utilisé par Le Parisien). Mais d’autres médias ont choisi de développer leur propre support pour les stories  Le système de cartes qu’il faut passer de gauche à droite et contenant images, textes, sons et vidéos pour construire les stories est repris par tous.

C’est le cas du Figaro, qui ne figurait pas parmi les quelques titres sélectionnés par Snapchat en 2016. Le quotidien a révélé son format de narration « Swipe Story » en janvier 2017. Retour sur expérience avec Nicole Triouleyre, rédactrice en chef de l’application du Figaro, où l’on peut trouver les stories du quotidien.

 

Comment est venue l’idée de développer une fonctionnalité story dans l’application du Figaro ?

Nicole Triouleyre : Snapchat nous avait contactés pour intégrer Discover avant le lancement de la version française du service. La direction du Figaro a étudié le projet. Mais celui-ci était compliqué à réaliser. Le cahier des charges de Snapchat est extrêmement précis : il fallait que l'équipe réunisse au moins sept personnes pour réaliser une édition par jour, six jours sur sept. La direction ne voyait pas comment rentabiliser le développement de Discover sur Snapchat. Il a été décidé, à ce moment-là, de développer notre propre outil pour fabriquer des nouveaux formats. Au départ, les stories étaient 100 % disponibles sur l’appli Figaro. On les exporte maintenant sur les réseaux sociaux et la prochaine étape est de les diffuser à travers les navigateurs.

Quel bilan faites- vous aujourd'hui ? Nicole Triouleyre: C'est un format qui rencontre un large public. D’après les tests que nous avons faits, cela va d'un jeune lecteur à des gens qui ont 65-70 ans. Nous avons de très bons retours sur la qualité du produit. Nous essayons d'être assez pédagogues sur les sujets, de raconter une histoire, et pas juste d’offrir un diaporama avec des animations. Nous avons réalisé des stories autour de l'affaire Hallyday qui ont été vues par plus de 100 000 utilisateurs et qui ont regardé plus d'un million de cartes. C'est un très bon score. Les stories autour de la réforme de la SNCF ou celle qui portait sur le nouveau prince héritier d'Arabie Saoudite ont également eu beaucoup de succès.

 



Qu’est-ce que la story change pour le lecteur ? 

Nicole Triouleyre : Je pense que ça lui offre un petit dossier, assez facilement consultable, une perspective plus large que de lire un seul papier. Nous lui permettons de remettre l’actualité dans un contexte. On part d’un point A pour aller à un point B et entre les deux, nous donnons des éléments de compréhension, d’approfondissement. Chaque carte met en avant un texte de la rédaction associé ou une vidéo, ce qui fait que si vous voulez aller au fond du sujet vous le pouvez. Les cartes font un peu office de chapôs qui permettent de rentrer dans l'histoire.

 

Combien de personnes participent à la création de ces contenus ?

Nicole Triouleyre : Nous nous appuyons sur la rédaction, mais nous sommes deux pour les faire. Lorsque nous voyons que la rédaction est vraiment trop surchargée, que le sujet est très chaud et qu'il faut le faire, nous nous en occupons. Mais pour reprendre l’exemple de notre journaliste au Yémen, il vaut mieux que ce soit lui qui fasse la story sur cette thématique. De même, lorsque Lucie Ronfaut, notre journaliste « tech », part couvrir un salon : elle a la matière, elle y est, elle perçoit les choses. Je privilégie le fait que ce sont les rédacteurs qui suivent certains sujets qui traitent de ces thématiques dans le cadre des stories. S’ils ne sont pas disponibles, nous pouvons nous en charger et avoir une relecture de leur part ensuite. Ils peuvent nous dire ce qui est bon et ce qui ne l’est pas, ce qu’il vaudrait mieux faire. Nous arrivons à produire à peu près deux stories voire trois par semaine. Au début nous avions essayé de faire de l'actualité chaude mais il était compliqué de se démarquer des papiers classiques. Nous privilégions donc désormais un rôle d'accompagnement des papiers en choisissant un angle à nous pour faire notre démonstration de storytelling d'un point A à un point B.

 

Les stories sont-elles publiées terminées ou vous arrive-t-il de les enrichir au fur et à mesure ?

Nicole Triouleyre : Elles sont publiées terminées et sont mises à jour quand c'est nécessaire. Cela peut consister en l’ajout d’une carte. Par exemple l'année dernière au moment du décès de Simone Veil, nous avions fait une story sur sa vie, son héritage. Un peu avant son entrée au Panthéon, nous avons retravaillé sur la base de notre story de départ en l’enrichissant avec ce qui s'était passé pendant l'année, notamment avec la station de métro à son nom, mais aussi les déclarations de son fils qui expliquait qu’il allait être obligé de partager ses parents avec des milliers de gens. Il y a aussi l’exemple du service militaire, que l’on avait traité en début d’année sous l’angle « Une promesse de campagne difficile pour Macron ». Nous l’avons mis à jour avec la décision fin juin du conseil des ministres.

Comme une story est assez longue à faire, le but est qu'elle vive le plus longtemps possible

Ce qui est intéressant c'est de voir si les angles choisis s’avèrent toujours aussi pertinents au fil du temps. Je dois dire que jusqu'à présent nous n’avons pas été pris à contre-pied, ce qui est extrêmement satisfaisant parce que ça veut dire que nous avons bien travaillé en amont. Nous nous sommes sans doute posé les bonnes questions. Comme une story est assez longue à faire, le but est qu'elle vive le plus longtemps possible. Donc voir que l’on pouvait réutiliser en juin la story faite en janvier sur le service national confirme que l’on était dans le bon. 

 

Combien de temps vous faut-il pour écrire une story ?

Nicole Triouleyre : Idéalement, pour quelqu'un qui ne connaît pas le sujet, il faut compter deux jours, parce qu'il faut quand même s'approprier le thème. Il faut se demander ce que l’on va raconter avec cette histoire et surtout comment. Le journaliste doit se demander ce qu’il a réussi à assimiler, ce qu’il est intéressant de faire ressortir pour le lecteur, qui attend qu’on lui raconte quelque chose. Une fois nous nous sommes mis à trois pour faire une story sur Amazon. Elle était bouclée en une demi-journée, parce que nous nous étions répartis les cartes, nous avions en tête ce que nous voulions raconter. Une fois que le plan était validé, nous avons commencé à écrire. Il y avait douze cartes, cela faisait quatre cartes chacun.

 

Vous remettez en avant les articles publiés sur le site, mais vous arrive-t-il d’écrire des articles spécifiquement pour qu'ils arrivent dans la story ?

Nicole Triouleyre : Non. C'est ce que fait Le Monde avec Discover ; c'est pour ça qu'ils sont sept ; parce qu'il y a des gens qui sont là pour l'écrire, d’autres pour monter la story, d’autres encore pour faire de l'enrichissement. Chez nous il faut écrire mais il faut surtout monter et enrichir.

 

Combien faut-il de cartes pour faire une bonne story ?

Nicole Triouleyre
 : Le bon format c'est dix cartes. Moins de sept cartes c'est trop peu, à partir de quatorze ou quinze cela peut lasser, à moins d’avoir des moments de respiration, une petite virgule. Mais nous nous sommes aperçus quand même qu'une dizaine de cartes c'est un bon millefeuille.

 

J'ai vu que vous mettiez beaucoup de vidéos, de sons, d'animations. Quels sont les profils qui collaborent à la création des stories ?

Nicole Triouleyre : Je coordonne les sujets, notamment avec la rédaction, mais je n'ai pas du tout la main sur la technique parce que je n’ai pas les compétences. Mais j’ai dans mon équipe un journaliste qui les a, qui écrit, qui fait de l'édition, il est touche-à-tout. C’est un profil très rare car il journaliste et geek en même temps. C'est précieux parce que du coup nous sommes totalement autonomes. Je n’ai pas à passer par un studio.

L'année dernière nous avons produit 140 stories

Au moment où nous avons lancé les stories, on m’a dit qu’il fallait que je sois autonome et en mesure de prendre les sujets du début jusqu’à la fin. Et nous réussissons à le faire mais nous ne sommes que deux. L'année dernière nous avons produit 140 stories, cette année je pense que l'on est déjà à plus de 100 en six mois, alors qu'il n’y a pas eu une actualité politique aussi intense que celle de l'année dernière.

 

Les stories auraient-elles vocation à être développées plus en profondeur au sein du Figaro ?

Nicole Triouleyre : Oui, mais ne va-t-on pas lasser ? Est-ce qu’aujourd’hui tout le monde n'a pas les moyens techniques de pouvoir faire des stories ? Pour l'instant nous ne sommes visibles que sur le mobile, pas comme le Parisien qui a choisi AMP et qui peut donc dupliquer ses stories sur support fixe. Il ne faut pas que l'on tombe dans un format « en images » qui va être vertical plutôt qu’horizontal. C'est un format qui est actuellement à la mode. Le mobile prend de plus en plus d'importance, ça reste encore quelque chose qui sort un petit peu du lot, tout le monde n'en fait pas, et je pense que l'on a un format qui est quand même très qualitatif. À nous de nous améliorer encore un peu plus pour faire quelque chose que les autres ne font pas, ou peu, pour que l’on ait un coup d’avance si la story se banalise.

Il faut que les rédactions qui ont encore les moyens de faire du reportage utilisent leur matière dans ce genre de format

Notre story sur le Yémen comporte des photos que notre journaliste nous a rapportées et que vous ne verrez pas ailleurs, c'est une vraie plus-value. L’un de nos journalistes est parti dans la Nièvre, dans un village où les agriculteurs avaient vendu leurs terres à des Chinois. Il a fait des interviews avec son smartphone : les images ne sont qu'à nous, c'est un vrai plus. Il faut que les rédactions comme celles du Figaro, du Monde, qui ont encore les moyens d'envoyer des journalistes faire du reportage, utilisent leur matière dans ce genre de format. Il faut que le journaliste se dise qu’il peut raconter ce qu’il voit lors d’une enquête au long cours à travers un article mais qu’il est aussi possible de proposer une autre histoire, avec un autre angle sur les plateformes mobiles grâce à son téléphone. C'est vers ça qu'il faut que l'on tende.

 

À quels indicateurs vous fiez-vous pour savoir si une story a bien marché ou pas ?

Nicole Triouleyre : Nous avons notre audience du jour, nous savons quel nombre de cartes sont ouvertes.

 

Par exemple, une story qui marche bien est complétée jusqu'à la fin par beaucoup de personnes ?

Nicole Triouleyre : Oui. Par exemple au service « tech » une journaliste nous a fait une story sur le RGPD qui n’avait pas énormément de cartes et qui a fait 50 000 visites, ce qui est pour nous un très bon score. Les 100 000 visites avec un million de cartes vues sont des scores excellents. Entre 40 000 et 50 000 c'est très bien, ça fait partie des très bonnes stories. Dans le cas de notre story RGPD, on a tout de suite vu la courbe qui partait et on l'a proposée à l'internaute pendant quatre-cinq jours parce qu’à ce moment-là tout le monde recevait de plus en plus de mails sur le sujet, ce qui a donné le titre de la story.

Il faut que le format soit complémentaire mais qu’il ne cannibalise pas le reste

Mais pour rester sur l’exemple du RGPD, les journalistes de la rédaction ont identifié ce sujet comme étant particulièrement important et ils l’ont décliné dans de nombreux formats : une vidéo, un live, un évènement print, un dossier en ligne et une story. Il faut que le format soit complémentaire mais qu’il ne cannibalise pas le reste.

 

De quelles applications vous êtes-vous inspirés pour le design, les fonctionnalités ?

Nicole Triouleyre : On regarde ce qui se fait et on peut se dire qu’il faudrait que l’on intègre telle ou telle chose. Nous avons un studio en interne et nous travaillons beaucoup avec eux. Disons que nous sommes partis sur quelque chose d'assez basique mais qui est propre. Ce qui est important, je crois, c'est qu'il y ait une unité, une cohérence dans le tout. De temps en temps il faut que l'on fasse des rappels à l'ordre parce que les typos utilisées ou la charte ne sont pas les bonnes, etc. Nous effectuons une veille afin de voir ce qui pourrait être intéressant pour les stories.

 

Vous sentez-vous libre en étant capables de faire des stories sans avoir à passer par une application tierce ? Croyez-vous qu'il y ait un danger à se lancer dans ce genre de partenariat ? 

Nicole Triouleyre : J’ai une liberté totale, oui. Je pense que la direction du Figaro a bien fait de ne pas aller sur Snapchat, même si nous étions excités en interne à l’idée de potentiellement travailler sur cette plateforme. Je pense que Snapchat s'intéresse tout de même à des gens assez jeunes qui n’entrent pas totalement dans le lectorat du Figaro. Je crois plus en Instagram, qui est une plateforme que devrait investir sérieusement Le Figaro. Mais le journal a mis beaucoup de moyens sur la vidéo et on ne peut pas trop se disperser. C’est une rédaction qui a bien intégré cette logique bi-média, numérique-papier et je pense que l’on est en avance sur ce terrain-là.

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