La télévision francophone : acteurs
Dans la partie francophone, la télévision publique est calquée, dès les origines, sur le modèle juridique et administratif de l'
Office de radiodiffusion télévision française (ORTF), reflet essentiel de l’organisation politique centralisée de la Cinquième république française. Aussi, l’aide financière et technique de Paris est partout indispensable pour mettre sur pied les télévisions.
Tout commence à Brazzaville, ancienne capitale de la France libre. Plutôt tout commence à Paris. Le Chef de l’État du Congo Brazzaville, Fulbert Youlou, veut à tout prix sa télévision nationale. Et tout de suite. À cet effet, dès avril 1962, il introduit une demande d’assistance technique auprès de la France. Celle-ci ne disposant pas de structure principalement dédiée à la coopération télévisuelle avec les pays africains nouvellement indépendants, c’est à l’Office de coopération radiophonique (Ocora ) qu’il revient d’étudier la requête congolaise. À l’issue d’une séance de travail tenue en octobre 1962 au siège de l’Ocora à Paris, son directeur général Robert Pontillon et Apollinaire Bazinga, ministre congolais de l’Information, conviennent de diffuser une série d’émissions expérimentales à Brazzaville, les 27, 28 et 29 novembre 1962. Ordre est donné à 14 agents de l’Ocora — parmi lesquels les journalistes Guy Bernède et Jacques Conia, ainsi que l’ingénieur Louis Ménard — d’installer, à la hâte, une station de télévision à Brazzaville. Ce qui fût fait.
Suivra, dans la foulée, le Gabon, où la télévision nationale est inaugurée le 9 mai 1963 en présence du Président Léon Mba et de Raymond Triboulet, ministre français de la Coopération. En Haute-Volta, actuel Burkina Faso, la Volta Vision — c’est ainsi qu’est nommée la toute nouvelle télévision publique — est inaugurée le 5 août 1963, 48 heures avant celle de la Côte d’Ivoire. Le Président Félix Houphouët-Boigny, qui souhaitait que son pays — la très « prospère » Côte d’Ivoire — inaugure sa télévision avant celle de la Haute-Volta, en est passablement vexé. On avait déjà connu pareille situation en Afrique centrale lorsque la télévision du Congo Brazzaville — on l’a vu —, entrée en service depuis novembre 1962, est reçue à Kinshasa alors que le Zaïre n’a pas encore étrenné la sienne. Grâce à cela — ou à cause de cela — le colonel Mobutu, futur Maréchal, accélérera le processus de création de la télévision publique zaïroise, qui, lancée en novembre 1966, est captée sur un rayon de 30 km. Dotée de puissants émetteurs, elle inonde Brazzaville !
Posséder sa propre télévision nationale est gage de souveraineté
En ces temps-là, posséder sa propre télévision nationale est gage de souveraineté et signe de puissance diplomatique et économique. Cette opposition prend encore plus de relief lorsqu’elle concerne deux pays frontaliers appartenant à des aires linguistiques différentes. Ainsi, au Togo où, dès 1969, la population de la capitale, Lomé, reçoit la télévision du Ghana, pays anglophone, la France se presse de débloquer près de 3,5 milliards de francs CFA, pour accélérer l’installation de la
télévision togolaise, le 31 juillet 1973 ! Il n’est pas question, se dit-on alors à Paris, que le Ghana de l’influent et charismatique
Kwame Nkrumah – personnage considéré comme notoirement anti-français — exerce quelque influence sur l’ancienne colonie qu’est le Togo.
À défaut, ou en plus, de l’aide de Paris, d’autres pays — au gré des bonnes relations diplomatiques qu’ils entretiennent (ou pas) avec la France, mais aussi en fonction des opportunités qui s’offrent à eux — vont chercher très loin l’aide nécessaire à la mise sur pied de leur télévision nationale. C’est le cas de la télévision centrafricaine. L’Empereur Bokassa 1er sollicite et obtient l’appui du gouvernement israélien pour lancer la télévision centrafricaine, le 31 décembre 1973 !
Au Dahomey, futur Bénin, la naissance de la
télévision nationale, annoncée dès 1964, est retardée une première fois, du fait du renversement du Président Emile Derlin Zinsou par des militaires, le 10 décembre 1969. Puis une seconde fois, quand survint le coup d’État du commandant Mathieu Kérékou, en 1972. C’est finalement le 30 décembre 1978, alors que les Béninois observent un deuil national suite à la mort du Président algérien Houari Boumédienne, qu’apparaissent les premières images sur leur petit écran. Les relations diplomatiques du Bénin avec Paris (à l’époque passablement difficiles) contraignent les autorités béninoises à aller chercher des équipements en Lybie et même dans l’Europe de l’Est communiste !
On retrouve les traces de l’aide libyenne dans la Guinée de Sékou Touré, alors en froid avec la France. Les 6 000 récepteurs, les trois caméras de studio en noir et blanc, le télécinéma , le lecteur de diapositives, les deux magnétoscopes, le laboratoire et le car de reportage qu’offre le Colonel Khadafi sont décisifs pour les débuts de la
télévision guinéenne, le 14 mai 1977. Au Mali, aussi, on retrouve la coopération libyenne. Bamako, après s’être tourné vers la République fédérale d’Allemagne puis vers le Japon, finit par faire appel à la Libye qui lui accorde une subvention de 2,5 milliards de francs CFA. La
télévision malienne voit le jour le 22 septembre 1983, après avoir fonctionné depuis 1971, d’abord sous la forme d’une télévision scolaire. Dans la Mauritanie du lieutenant-colonel Mohamed Khouna Ould Haïdallah, c’est n’est pas la Lybie qui vient à la rescousse, mais l’Irak de Saddam Hussein. La télévision démarre ses activités le 10 juillet 1984.