Accessibilité : gratuite ou payante ?
La question de l’accessibilité des médias est intéressante à travailler en la déclinant : qu’en-est-il de l’accessibilité géographique, économique et culturelle de la télévision numérique ?
Le passage à la TNT, selon l’ensemble des discours officiels, est censé augmenter la qualité technique, le nombre de chaînes et améliorer l’accessibilité de deux manières : une meilleure couverture géographique du territoire et un accès plus démocratique à la télévision numérique, comparativement au satellite. La TNT, comme l’analogique, implique d’installer des antennes relais afin de transmettre le signal, à un coût moins élevé mais néanmoins très important (60 millions d’euros pour le Sénégal, 400 millions pour le Nigeria). Si les pouvoirs publics font le choix de créer au moins un opérateur public, ils ont rarement les moyens de payer des infrastructures au niveau national. Ils ouvrent alors des marchés publics avec des opérateurs privés sollicitant des licences de distribution sur le territoire pour qu’ils investissent dans les infrastructures — libre ensuite aux opérateurs de se rembourser en exerçant leur activité économique (soit en louant le réseau à des opérateurs de distribution, soit en proposant eux-mêmes leur offre de télévision payante).
Le taux de pénétration de la télévision est faible en Afrique : 100 millions de postes estimés, un taux de pénétration autour de 34 % selon l’Unesco. La TNT est chargée d’améliorer cette accessibilité géographique. Par exemple, les travaux entrepris par Startimes au Kenya semblent aujourd’hui pouvoir couvrir 80 % du territoire. Néanmoins cette accessibilité géographique ne suffit pas, il s’agit de prendre aussi en compte l’accessibilité économique
.
Un décodeur, aujourd’hui, coûte environ 30 euros. Cela correspond au « prix d’entrée » du public dans la technologie TNT. Plusieurs pays (Afrique du Sud, Sénégal) ont prévu d’en distribuer gratuitement aux ménages les plus pauvres, afin d’éviter de renforcer une fracture numérique. Théoriquement, une fois ce boîtier acquis, le téléspectateur n’a plus rien à payer pour recevoir les chaînes gratuites (FTA- Free to air en anglais). En réalité, ce n’est pas aussi simple.
La TNT va généraliser l’accès payant à la télévision
En effet, la TNT va avoir tendance à généraliser l’accès payant à la télévision. Alors que la diffusion hertzienne analogique n’impliquait aucun abonnement annuel, la TNT aura sans doute pour conséquence d’augmenter le nombre de souscripteurs. La plupart des États ont maintenu, d’une manière ou d’une autre, le principe d’un bouquet de chaînes accessibles gratuitement, en général les anciennes chaînes hertziennes. Or, dans le champ des fournisseurs d’accès à la télévision, la plupart sont des opérateurs de télévision payante (Startimes, Go Tv). Les chaînes gratuites sont incluses, mais elles peuvent dépendre, comme en Ouganda, de la poursuite de l’abonnement payant. Si le client interrompt son abonnement un mois, son écran devient noir, posant la question de la continuité de service, notamment public. Dans un plan d’abonnement aux services payants des télévisions, le décodeur est en général presque gratuit, incitant fortement les publics à s’abonner. Les États sont en train de s’organiser pour forcer les opérateurs de télévision payante à transporter obligatoirement les chaînes gratuites sans les faire dépendre d’un abonnement, mais la question des chaînes FTA s’avère cruciale dans les années à venir, et pose la question d’une tendance générale à la marchandisation de l’accès aux contenus.
L’audiovisuel kenyan connaît actuellement une crise majeure
Le secteur audiovisuel africain est un front pionnier des années à venir en termes d’investissement et de profits espérés, d’où la mobilisation intense d’acteurs internationaux. Selon un bon observateur de l’actualité numérique,
« La migration au numérique est le moteur de la croissance de la télévision payante, avec un secteur estimé à $ 5,35 milliards en 2020, une augmentation de 69 % à partir de 2013 »
. Ces perspectives économiques expliquent mieux les sommes importantes que les opérateurs, tels que Startimes, disent investir (15 millions de dollars investis dans les opérations et les programmes en 2013
, mais aussi les fortes tensions pour le contrôle de la diffusion. L’audiovisuel kenyan connaît actuellement une crise majeure où les trois principaux groupes médiatiques du pays, représentant presque l’intégralité du marché des médias traditionnels au Kenya, refusent de laisser l’opérateur public kenyan ou l’opérateur chinois transmettre leur signal FTA. Ils veulent exploiter directement une licence de diffusion pour pouvoir diffuser eux-mêmes leurs chaînes, et en exclusivité, incitant ainsi les publics à choisir leur réseau.
La TNT sera sans doute le moyen de renforcer la mainmise des opérateurs de télévision payante et de banaliser un paiement mensuel pour l’accès à la télévision dans une perspective mondiale de marchandisation croissante des usages, comme on a pu l’observer par exemple dans le domaine de l’accès à l’eau en Afrique
. Reste néanmoins à relever le défi de l’accessibilité culturelle des contenus. Le pluralisme exponentiel à l’œuvre actuellement dans l’audiovisuel soulève à ce sujet de nombreuses questions.