Un réquisitoire contre les médias américains
Tout au long de Nulle part où se cacher, en toile de fond, et au cœur des critiques, se trouvent les « médias de l’establishment ». Dès le début du livre, quand il apprend que Barton Gellman (récompensé deux fois par le prestigieux Prix Pulitzer) ferait partie de l’enquête au nom du Washington Post, Greenwald a du mal à contenir sa colère. Non pas contre Gellman, mais contre le Post, qu’il considère comme un journal « pro-gouvernemental » et comme « l’incarnation des pires travers des médias politiques américains. » Et d’après lui, la liste de ces travers est longue : proximité flagrante avec la classe dirigeante (on a beaucoup reproché au Post un soutien trop affirmé à la guerre en Irak), déférence maladive à l’égard des institutions chargées de la sécurité nationale et rejet systématique des voix dissidentes. Ce que dénonce Glenn Greenwald, c’est l’extrême prudence de ces médias face à des révélations pouvant bouleverser l’establishment. Le Washington Post, mais aussi d’autres journaux comme le New York Times, respectent des « règles protectrices » implicites. Toute information sensible est communiquée avant publication au pouvoir exécutif pour, il faut le dire, demander le feu vert. Ce dernier peut alors tenter d'en minimiser l’importance, ou pire, d’en bloquer la diffusion. Bien souvent, ils affirment aux rédacteurs en chef en quoi la divulgation de ces informations pourrait « porter atteinte à la sécurité nationale. » En 2005, le Washington Post a par exemple publié une liste de prisons dans le monde où la CIA torturait des prisonniers. Le journal avait alors masqué l’emplacement de ces « sites noirs », permettant à l’agence de continuer ces pratiques. De la même façon, en 2004, le New York Times a caché pendant plus d’un an l’existence d’un programme d’écoute sans autorisation judiciaire préalable. George W. Bush avait alors menacé le directeur du journal et son rédacteur en chef. Le New York Times a fini par publier ces révélations en 2005… peu après la réélection de Bush. « Cacher cette affaire a changé le cours de l’histoire », aurait dit Snowden à Greenwald. L’auteur multiplie les exemples et rejette sans retenue ce journalisme qu’il juge « obséquieux » et « gouverné par la peur ». Greenwald se montre également très critique à l’égard du Guardian, du moins au début, lorsqu’il leur envoie la première série des révélations Snowden. Alors qu’il est à Hong Kong avec la documentariste Laura Poitras pour rencontrer l’ex-agent de la NSA, Glenn Greenwald s’impatiente. Cela fait plusieurs jours que le Guardian retarde la publication de ses papiers. Entre consultations d’avocats et peur de poursuites judiciaires, le journal britannique attendra plusieurs jours avant de publier le premier article, le 6 juin 2013 : « NSA collecting phone records of millions of Verizon customers daily ». Et là encore, le gouvernement américain a tenté de les dissuader, alliant menaces à la désormais fameuse ritournelle de la « question de sécurité nationale ».