L’audiovisuel public européen en débat

L’audiovisuel public européen en débat

L’audiovisuel public ne suscite pas seulement le débat en France. Ailleurs en Europe, de nombreuses questions liées à son financement, son indépendance et ses missions sont soulevées sur fond de réformes en cours ou à venir.

Temps de lecture : 12 min

 

Il n’existe pas un seul audiovisuel public en Europe. Chacun de ces systèmes possède ses spécificités qui lui sont propres, fruit de l’histoire et d’une certaine culture nationale. Enjeu fondamentalement politique, un élément les rassemble aujourd’hui : alors que nombre d’entre eux ont connu de profondes mutations ces dernières années, des réformes sont en cours ou à venir dans une dizaine de pays du Vieux Continent.

L’argent, le nerf de la guerre

 

 L’arrivée d’acteurs privés a durci la concurrence entre les chaînes, et une logique de marché a fini par s’imposer pour orienter les réformes du secteur. 
Trop lourds, trop coûteux. L’angle d’attaque favori des pourfendeurs de l’audiovisuel public se situe incontestablement dans son financement. L’arrivée d’acteurs privés a durci la concurrence entre les chaînes, et une logique de marché a fini par s’imposer pour orienter les réformes du secteur. Les attaques sur le coût des structures publiques sont par ailleurs survenues à la fois dans des pays ayant connu des cures d’austérité (Espagne, Portugal, Italie), tout comme des pays en meilleure santé économique (Suisse, Allemagne). L’audiovisuel public français n’échappe pas à cette salve de critiques. Selon les informations du journal Les Echos, les économies exigées par le gouvernement dans les différents groupes s’élèveraient à 500 millions d’euros d’ici 2022, soit 13 % d’un budget total alloué par l'État de 3,9 milliards d’euros.
 
« Il s’agit d’une critique populiste classique : cela coûte trop cher, même si cette redevance n’est pas particulièrement élevée », relève Patrick Eveno, professeur d’histoire des médias à l'université Paris-I Panthéon-Sorbonne. En 2008, le Parti des Libertés de Silvio Berlusconi (par ailleurs principal actionnaire de Mediaset, le plus gros groupe de média italien), fustigeait le coût de la redevance et son poids dans le budget des ménages. D’un montant de 107 euros annuels, elle était pourtant l’une des plus faibles d’Europe.
 
Dans cette logique, la redevance fait office de cible de choix, et ce indépendamment du fait que le système soit populaire auprès du public. En décembre 2016, 65 % des Allemands déclaraient que l'audiovisuel public était « une part indispensable de la culture en Allemagne » (enquête annuelle sur les médias en Allemagne effectuée par l’ARD et le ZDF).

En 2013, les Allemands ont anticipé l’évolution des comportements liés à la consommation audiovisuelle en remplaçant leur redevance par une contribution obligatoire désormais rattachée à la taxe d’habitation et non plus à la possession d’une télévision. En tout, c’est un peu plus de 7 milliards d’euros annuels qui sont récoltés via cette taxe universelle et imposée (contrairement à la France où elle repose sur un système déclaratif), soit un montant de 17,50 euros par mois (215 euros par an), permettant de financer 22 chaînes de télévision et 67 antennes de radio. Et pourtant, même chez les voisins d’outre-Rhin, cette contribution est pointée du doigt en raison de son coût (215,76 euros par an) et de son mode de prélèvement.
Trop lourds, trop coûteux. L’angle d’attaque favori des pourfendeurs de l’audiovisuel public se situe incontestablement dans son financement. L’arrivée d’acteurs privés a durci la concurrence entre les chaînes, et une logique de marché a fini par s’imposer pour orienter les réformes du secteur. Les attaques sur le coût des structures publiques sont par ailleurs survenues à la fois dans des pays ayant connu des cures d’austérité (Espagne, Portugal, Italie), tout comme des pays en meilleure santé économique (Suisse, Allemagne). L’audiovisuel public français n’échappe pas à cette salve de critiques. Selon les informations du journal Les Echos, les économies exigées par le gouvernement dans les différents groupes s’élèveraient à 500 millions d’euros d’ici 2022, soit 13 % d’un budget total de 3,9 milliards d’euros.

 « Il s’agit d’une critique populiste classique : cela coûte trop cher, même si cette redevance n’est pas particulièrement élevée », relève Patrick Eveno, professeur d’histoire des médias à l'université Paris-I Panthéon-Sorbonne. En 2008, le Parti des Libertés de Silvio Berlusconi (par ailleurs principal actionnaire de Mediaset, le plus gros groupe de média italien), fustigeait le coût de la redevance et son poids dans le budget des ménages. D’un montant de 107 euros annuels, elle était pourtant l’une des plus faibles d’Europe.

Dans cette logique, la redevance fait office de cible de choix, et ce indépendamment du fait que le système soit populaire auprès du public. En décembre 2016, 65 % des Allemands déclaraient que l'audiovisuel public était « une part indispensable de la culture en Allemagne » (enquête annuelle sur les médias en Allemagne effectuée par l’ARD et le ZDF). En 2013, les Allemands ont anticipé l’évolution des comportements liés à la consommation audiovisuelle en remplaçant leur redevance par une contribution obligatoire désormais rattachée à la taxe d’habitation et non plus à la possession d’une télévision. En tout, c’est un peu plus de 7 milliards d’euros annuels qui sont récoltés via cette taxe universelle et imposée (contrairement à la France où elle repose sur un système déclaratif), soit un montant de 17,50 euros par mois (215 euros par an), permettant de financer 22 chaînes de télévision et 67 antennes de radio. Et pourtant, même chez les voisins d’outre-Rhin, cette contribution est pointée du doigt en raison de son coût (215,76 euros par an) et de son mode de prélèvement.

En effet, depuis l’arrivée du parti libéral (FDP) et de l’extrême droite (AfD) au Bundestag, le camp des adversaires de la taxe s’est renforcé. Ainsi, l’AfD prône sa suppression pure et simple tandis que le FDP milite simplement pour sa réduction et la suppression de la publicité dans le secteur public. Par ailleurs, plusieurs ministres-présidents des Länders ont pris position pour la fusion des grandes chaînes publiques ARD et ZDF, ainsi que pour une baisse des budgets.

Certains considèrent qu’un tel mode d’imposition est trop contraignant, notamment pour les entreprises puisque ces dernières doivent s’acquitter de la contribution proportionnellement à leur nombre de salariés. Du côté du secteur privé, des voix s’élèvent pour dénoncer les moyens jugés exorbitants de l’audiovisuel public. Ainsi Conrad Albert, membre de la direction du premier groupe de télévision privé allemand ProSiebenSat1, s’est exprimé en faveur d’un financement public pour les contenus « participant au débat démocratique », en lieu et place d’une taxe allouée à des structures.

Même tendance au Royaume-Uni où une étude du CSA britannique, l’Ofcom, indique que 78 % des téléspectateurs britanniques se déclaraient satisfaits de l’offre audiovisuelle publique en 2016 et 75 % affirmaient avoir confiance dans les programmes du service public, soit une hausse de 5 % par rapport à 2015. Pour autant, toujours dans une logique de réduction des déficits budgétaires, la BBC s’est vue contrainte d’effectuer des réductions drastiques ces dernières années. L’entreprise a subi des restructurations en 2010 puis 2015, amputant son budget de 150 millions de livres sterling (213 millions d’euros). Ses effectifs ont fondu, passant de 23 000 à 16 000 salariés entre 2012 et 2017. La redevance s’est par ailleurs retrouvée sur la sellette lors des négociations sur la dernière charte courant de 2017 à 2028. Si John Whittingdale, le ministre de la Culture du gouvernement de David Cameron, voulait l’abolir, elle a néanmoins été sauvée au prix de nombreuses concessions, dont la prise en charge par le groupe  de l’exonération de la redevance pour les plus de 75 ans, représentant un coût de 700 millions d’euros.

En Suisse, l’initiative « No Billag » souhaitait remettre en cause l’existence de la redevance. Dans une logique très libérale, les initiateurs de la votation estimaient en effet que les Suisses ne devraient payer que pour ce qu’ils consomment, sur le modèle de Netflix. Dans le texte soumis au vote du peuple suisse le 4 mars, il était ainsi inscrit que la Confédération ne devrait en aucun cas financer les chaînes publiques.

Le salaire des présentateurs des chaînes publiques peut également être un motif de griefs. C’est le cas en Italie où la Rai, non seulement offre des salaires extrêmement élevés à ses présentateurs vedettes pour les garder dans son giron, mais est également accusée de népotisme. En 2011, le vice-directeur général de la chaîne publique avait ainsi fait embaucher quatre membres de sa famille (et la nounou de sa fille) au sein du groupe à des postes pour lesquels ils n’étaient pas qualifiés.

Les montants des salaires ont également fait l’objet de critiques en Grande-Bretagne de la part du gouvernement tout comme à l’intérieur de la BBC, où six présentateurs vedettes ont dû réduire leurs traitements début 2018, en plein débat sur les fortes inégalités hommes-femmes au sein du groupe.

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Quelles missions pour l’audiovisuel public ?

 

La définition des missions de l’audiovisuel public ne va pas de soi. En témoigne l’enquête engagée par la Commission européenne en 2009 à la suite de versement de 450 millions d’euros d’aides publiques à France Télévisions pour compenser l'arrêt de la publicité après 20 heures sur le service public. L'État français avait dû démontrer que ces aides n'entraînaient pas de distorsion de concurrence vis-à-vis du secteur privé. La Commission considérait en effet que ces subventions ne devaient financer que les missions de service public, qu’elle réduisait peu ou prou à la retransmission des débats à l'Assemblée nationale.
 
Selon les mots de John Reithles, premier directeur général de la BBC en poste dans les années 1920, le rôle de l’audiovisuel public est d’« informer, cultiver, distraire ». Si ce credo a inspiré l’ensemble des systèmes audiovisuels européens, certains s’en écartent aujourd’hui comme la télévision publique suédoise, la SVT. En témoigne sa nouvelle devise : « Créer des contenus qui engagent, divertissent et enrichissent, au service du public », illustrant une profonde évolution dans la mission même de l’audiovisuel public, où l’information n’occuperait plus une place prépondérante.

Le paysage médiatique du milieu du XXe siècle n’a plus grand-chose de commun avec celui de 2018 : au-delà de la concurrence des chaînes privées, les téléspectateurs ont désormais d’autres canaux à la fois pour s’informer gratuitement, grâce aux médias en ligne ou aux réseaux sociaux, et pour se distraire, notamment auprès des géants américains du web. C’est cette situation que relevaient les tenants de l’initiative « No Billag » en Suisse. Un constat que n’a pas manqué également de faire le président de la République Emmanuel Macron, lorsqu’il a lancé, à l’attention des députés de la commission des affaires culturelles, le 5 décembre 2017, qu’« on fait des programmes pour les jeunes en disant, c’est super, c’est pour les jeunes (…) mais ceux qui les regardent ont plus de 65 ans. »
 
 La désaffection des jeunes générations pour le petit écran représente un véritable casse-tête pour les acteurs traditionnels de l’audiovisuel. 
La désaffection des jeunes générations pour le petit écran représente un véritable casse-tête pour les acteurs traditionnels de l’audiovisuel. Selon une étude Médiamétrie et Insee, l'âge moyen des téléspectateurs en France est passé de 46,9 ans à 50,7 ans entre 2005 et 2015. Ce phénomène s’explique par l’arrivée sur le marché de nouveaux acteurs venus bousculer les usages traditionnels du média télévisuel mais également par la place grandissante prise par le mobile dans nos vies quotidiennes. Ce nouveau paysage éclaté contraint l’audiovisuel public à intensifier sa présence sur les supports numériques et à proposer des contenus à même de pouvoir le différencier de ses concurrents.

Présentée comme un impératif nouveau, la réforme de l’audiovisuel public est cependant un véritable serpent de mer dans le débat politique français : depuis sa création en 1949, l’audiovisuel public hexagonal a connu 17 réformes.

Se pose néanmoins, la question de savoir ce qui fait aujourd’hui la spécificité du service public audiovisuel, justifiant le paiement d’une redevance, et justifiant de soustraire les chaînes publiques à la concurrence du privé et à l’impératif de rentabilité. Cette exigence de clarification se fait entendre dans tous les pays où cohabitent un audiovisuel public et privé, a fortiori lorsque l’audiovisuel public est financé par la publicité. D’où la demande fréquente des acteurs de l’audiovisuel privé, s’estimant lésés par une concurrence déloyale, de supprimer totalement la publicité des chaînes publiques, comme le réclame le président de M6, Nicolas de Tavernost.
 
Mettre hors de portée l’intégrité des œuvres, comme les films, en les protégeant des pressions potentielles du marché publicitaire (et des coupures de publicité permises sur les chaînes privées) reviendrait dès lors à se recentrer sur les missions de service public. De même, les soustraire au piège de la publicité reviendrait à les extraire de la compétition à l’audience avec les chaînes du privé.

Les programmes en ligne de mire

 

Face aux députés des Affaires culturelles, les critiques du président Emmanuel Macron se sont étendues à « une production de contenus de qualité variable », de la part d’une entreprise où l’« on ne se pose plus la question de savoir les contenus que l’on veut produire ». Certains reprennent ces reproches à leur compte pour déplorer les mauvais résultats à l’exportation des programmes de France Télévisions.

La mauvaise qualité des contenus est également soulevée en Italie. Éprouvée par les années Berlusconi, la Rai est souvent pointée du doigt pour la légèreté de ses programmes de divertissement. Le talk-show Parliamone… sabato, diffusé de septembre 2016 à mars 2017 sur la chaîne publique Rai 1, avait notamment lancé un débat portant sur « les bonnes raisons pour un Italien de préférer les femmes d’Europe de l’Est », égrenant à l’écran une série d’arguments parmi lesquels « elles sont toujours sexy, ne portent jamais de survêtements ou de pyjama » ou « elles sont de parfaites femmes au foyer et ont très tôt appris à faire le ménage ».
 
On ne peut séparer la question des missions de celles des contenus, par lesquels s’incarnent ces dites missions. L’argument est notamment brandi par certains partisans de la votation « No Billag », lorsqu’ils s’interrogent sur la diffusion de Game of Thrones ou des courses de Formule 1 sur le service public, ou encore lorsque les responsables de chaînes privées françaises reprochent à leurs homologues du public d’acheter des séries américaines ou des droits de retransmissions d’événements sportifs.
 
 Le service public doit-il se concentrer sur la démocratisation de la culture savante ou doit-elle s’adresser au plus grand nombre ? 
Le service public doit-il se concentrer sur la démocratisation de la culture savante, comme l’appelle de ses vœux, la Fondation pour l’innovation politique, think tank libéral, ou doit-elle s’adresser au plus grand nombre ? « C’est tout le dilemme dans lequel se trouvent toutes les télévisions de service public : elles voudraient s’adresser à tout le monde, car tout le monde paie, or si elles font des programmes exigeants pour public averti, elles ne sont plus regardées que par des privilégiés possédant un fort capital culturel, ce qui est très difficile à accepter », souligne Francis Balle, professeur à l’Université Paris II Panthéon-Assas et ancien membre du CSA. La recherche de l’audience représente un réel défi pour l’audiovisuel public, sommé de répondre aux attentes d’un large public, tout en étant astreint à des contraintes de programmation peu compatibles avec la recherche de l’audience.
 
Tous les audiovisuels publics européens ne font pas face à ce procès en légitimité avec la même vigueur, et ce indépendamment de la qualité de leurs programmes. « On observe une légère dérive ces dernières années dans la qualité des programmes de la BBC », note Francis Balle, bien que la BBC reste unanimement désignée comme modèle de sérieux. Les chaînes BBC One et BBC Two diffusent l’émission The Weakest Link, par exemple. En France, l’adaptation du jeu télévisé (Le Maillon faible), diffusée sur TF1, trouverait difficilement sa place sur les chaînes du service public à cause de son caractère jugé humiliant pour les candidats. Une donnée que se gardent bien de rappeler les tenants d’une « BBC à la française ». L’absence de procès en légitimité de la BBC est-elle la conséquence de l’absence de publicité sur ses chaînes ?

La politisation du service public

 

 En Grande-Bretagne, les gouvernements de Margaret Thatcher et Tony Blair ont, tour-à-tour, contesté la subjectivité de la BBC. 
La partialité du service public audiovisuel est fréquemment mise en cause par ses détracteurs. Ce type d’attaque se retrouve au sein de toutes les familles politiques, dans les gouvernements en place comme au sein des partis d’opposition. En Grande-Bretagne, les gouvernements de Margaret Thatcher et de Tony Blair ont, tour-à-tour, contesté la subjectivité de la BBC lors de la guerre des Malouines (1982) et du conflit nord-irlandais pour la première, puis lors de l’intervention en Irak (2003) pour le second.

Plus récemment, des parlementaires travaillistes britanniques ont pointé du doigt la partialité de la couverture des choix éditoriaux de Nick Robinson, rédacteur en chef de la BBC, durant le référendum sur l’indépendance de l’Écosse, en 2014. Après le référendum sur le Brexit, le camp eurosceptique a, lui, dénoncé un traitement médiatique favorable au vote contre la sortie de l’Union européenne.

En Suisse, les même griefs sont formulés par les initiateurs de la votation « No Billag ». La vice-présidente du parti conservateur UDC, Céline Amaudruz, et plus généralement les membres du parti conservateur, affirme que la redevance sert à la diffusion de l'idéologie du Parti socialiste.

En 2010, la journaliste italienne Maria Luisa Busi avait créé l’événement en quittant le TG1, le 20 heures de la chaîne Rai Uno, au motif que l’information y était « partiale et partisane ». La présentatrice dénonça, à cette occasion, une concentration des sujets sur les faits divers et la diffusion de reportages occultant la réalité des difficultés économiques et sociales en Italie.

Dernièrement, le syndicat des journalistes du groupe audiovisuel public espagnol, la RTVE, a diffusé un communiqué dans lequel il dénonce les pratiques de leur direction lors du référendum sur l’indépendance de la Catalogne. Les journalistes du groupe ont ainsi appelé à la démission du directeur de l’information de l’entreprise. Ils estimaient que ce dernier avait imposé à ces équipes une couverture partisane de l’évènement.
 
En Autriche, accroître le contrôle sur l’audiovisuel public faisait également partie du programme commun présenté l’année dernière par la coalition formée entre les conservateurs (ÖVP) et l’extrême droite (FPÖ). Une mission d’études sur les médias devait d’ailleurs être lancée en mars pour recadrer la mission d’information du service public « en renforçant les mesures de transparence pour garantir une information objective et indépendante » et « renforcer l’information sur l’Autriche ». Un tel projet fait craindre une mise au pas idéologique des chaînes publiques autrichiennes.
 
Ce phénomène a été particulièrement manifeste en Pologne à la suite de l’accession au pouvoir du parti ultraconservateur Prawo i Sprawiedliwosc (PiS – « Droit et justice »), en 2015. Dès l’année suivante, une loi controversée est entrée en vigueur pour modifier la procédure de nomination et de révocation des directeurs des patrons des médias publics, organes considérés par le pouvoir en place comme outil de propagande européistes et progressistes. Autrefois de la compétence du Conseil national de l’audiovisuel (KRRiT), la nomination relève désormais du Trésor, ministre de tutelle de toutes les entreprises publiques. Quant aux directeurs de l’audiovisuel public, ils ont été remplacés par de nouveaux dirigeants proches du parti conservateur. Les médias publics ont, eux, été transformés en institutions culturelles « nationales » parrainées par un Conseil des médias nationaux.
 
En Hongrie, la mise sous coupe réglée des médias depuis l’arrivée au pouvoir du parti ultraconservateur Fidesz n’a pas épargné l’audiovisuel public. En 2011, le gouvernement de Viktor Orbán a regroupé les différents groupes de médias publics (radio, télévision et web) au sein de la MTVA, un centre de production de l’audiovisuel public, à l’image de la BBC. Mais les informations qui y sont produites sont loin des standards du groupe audiovisuel public britannique. Une enquête réalisée par Al Jazeera révèle que le travail des journalistes y est hautement contrôlé, consistant principalement à diffuser la propagande gouvernementale. Lorsqu’ils sont confrontés à des dossiers politiquement sensibles, les salariés reçoivent même des articles « clef en main », prêt à passer à l’antenne. La situation est d’autant plus préoccupante que la plupart des groupes de médias privés du pays appartiennent à des proches de Viktor Orbán.

La gouvernance sous le feu des critiques

 

La gouvernance de l’audiovisuel public est dès lors un enjeu crucial pour garantir l’indépendance de ces médias ou les contrôler. À cet égard, l’exemple italien est particulièrement significatif. L’un des objectifs affichés de la réforme de la Rai, portée par l’ancien Premier ministre italien Matteo Renzi, était de soustraire l’audiovisuel public à l’influence des partis. L’audiovisuel public transalpin reposait depuis les années 1960 sur le système de « Lotizatione », consistant à répartir les responsabilités au sein de l’audiovisuel public entre le Parti socialiste, le Parti communiste et la Démocratie chrétienne, afin de garantir une forme de pluralisme. Ce système a été remplacé en 2015 par la nomination d'un administrateur délégué issu de la majorité parlementaire, désigné par un conseil d’administration. Le nouveau chef de la Rai a désormais les mains libres pour nommer les directeurs de chaînes et pour passer des contrats inférieurs à 10 millions d’euros. L’audiovisuel public s’est ainsi vu passer d’un contrôle partagé par les partis politiques vers une mise sous tutelle de facto de l’exécutif italien.
 
 Les gouvernements ne cessent de lorgner chez leurs voisins pour justifier leur réforme. 
Bien que les histoires respectives de chacun des systèmes audiovisuels publics rendent très improbable la retranscription à l’identique d’un modèle dans un autre pays, les gouvernements ne cessent de lorgner chez leurs voisins pour justifier leur réforme. Pour mener à bien son projet, Matteo Renzi s’est dit inspiré par le modèle de gouvernance de la BBC. Celui-ci a été réformé en profondeur en 2017. La BBC reposait jusqu’alors sur un pouvoir bicéphale. D’un côté, un conseil exécutif gérait l’entreprise au quotidien. De l’autre, l’indépendance de la BBC était protégée par le BBC Trust, un conseil de 12 membres nommé pour dix ans. Ces derniers étaient nommés par la Reine, sur proposition du gouvernement (une situation impensable en France). L’organe de décision et de surveillance de la BBC nommait le directeur général et exerçait une tutelle sur l’entreprise, tout en représentant l’intérêt du public. Si le pouvoir exécutif ne pouvait pas intervenir directement dans le fonctionnement de la BBC, il ne manquait pas de moyens de pression, le montant de la redevance étant fixé par négociation avec le gouvernement. Ainsi, sous la direction de Mark Thomson (de 2004 à 2012), la BBC s’est vue imposer plusieurs plans d’économie et de réduction du personnel au nom de la bonne gestion de l'argent public.

Ces pressions financières et les critiques par les gouvernements sur le manque d’impartialité de la BBC ont en partie motivé le remplacement, en 2017, du Trust par le « Board of the BBC », un conseil d’administration dont la moitié des membres est nommé directement par l’exécutif. La nouvelle organisation repose désormais sur un conseil d’administration unique, tandis que la tâche de régulation est transférée à l’Ofcom, mettant un terme au principe d’autorégulation en vigueur depuis la fondation de la BBC, en 1922.
 
Alors que les britanniques ont instauré une instance de régulation inspirée du CSA, le président français Emmanuel Macron a estimé ce modèle « caduc » lors de son face-à-face avec les députés des Affaires culturelles. En France, le sort du régulateur de l’audiovisuel pourrait ainsi se jouer lors de la prochaine réforme de l’audiovisuel.

Répondre aux usages par la convergence ?

 

Un projet de présidence commune à France Télévisions, Radio France, l’INA et France Médias Monde, censée favoriser la collaboration entre ces différentes entités serait également à l’étude dans le cadre d’une future réforme de l’audiovisuel français. La fin d’une spécificité française, fruit de l’éclatement de l’ORTF en 1974 ?
 
Créer des convergences, tel est le maître mot de nombre de réformes en cours dans l’audiovisuel public. En France, c’est cette logique de convergence entre les contenus qui avait conduit à la création de la chaîne franceinfo, en 2016. Une tendance générale s’observe en Europe, celle de la refonte des organisations pour parvenir à une division structurée autour des contenus et des contenants, comme en Finlande. L’audiovisuel public finlandais, Yle est depuis 2012 scindé en deux pôles : l’un dédiés aux contenus, l’autre aux supports (radio, TV, web).
 
La dynamique enclenchée à la RTBF, en Belgique, prend la même direction. Son nouveau plan stratégique intitulé « Vision 2022 » prévoit également une abolition des divisions entre télévision, radio et web pour se réorganiser autour de deux piliers : les « contenus » dédiés à la production des programmes et le pôle « médias » pour diffuser ses contenus sur les différentes plateformes. Autour de ces deux pôles graviteront les fonctions de support : RH, finances, juridiques… Certains professionnels vont devoir repostuler à leur poste. L’organigramme définitif est prévu pour septembre 2018. Scinder les contenus des médias, un serpent de mer qui agite aussi la BBC depuis plusieurs années.


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Cédit photo : [La BBC prépare son édition spéciale avant les élections générales britanniques de 2005]. AmandaLewis/iStock

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