Sur l'antenne de LCI jeudi 16 février 2023 (capture d'écran).

Sur l'antenne de LCI jeudi 16 février 2023.

© Crédits photo : Capture d'écran LCI

Comment LCI s'est réorganisée autour de la guerre en Ukraine

Dans la nuit du 24 février 2022, la Russie envahit l’Ukraine. Dans la foulée, l’ensemble des chaînes françaises suit ce conflit qui signe le « retour de la guerre en Europe ». La couverture de LCI se distingue et l'audience grimpe.

Temps de lecture : 6 min

Jeudi 16 février, neuf heures. Au deuxième étage du siège de TF1 à Boulogne Billancourt, les rédacteurs en chef de LCI se font face autour d’une table et passent en revue les sujets forts qui rythmeront la journée. Au programme, la mobilisation contre la réforme des retraites, les discussions à l’Assemblée, les « faits divers » tels que l’accident impliquant Pierre Palmade et le corps retrouvé démenbré au parc des Buttes Chaumont à Paris. Et bien sûr, l’Ukraine. 

En 2022, LCI était, d'après Médiamétrie, la chaîne info avec la plus forte durée moyenne d'écoute quotidienne (32 minutes). En novembre 2022, la chaîne est même montée à 40 minutes — soit une augmentation de 57 % par rapport à novembre 2021. La part d’audience a elle aussi grimpé à 1,7 %, soit une hausse de 0,6 point — la chaîne reste en troisième place des chaînes d’information en continu. Ces résultats, historiques, s’expliquent par le choix de sa couverture du conflit en Ukraine, comme l’a souligné Le Figaro. Un virage vers l’international marqué à l’écran par le petit rectangle « guerre en Ukraine » jaune et bleu, apparu en mars 2022, sous la mention « en direct ». Mais comment cette chaîne, encore déficitaire, située au canal 26, tout au bout du bouquet de chaînes gratuites, s’y est-elle prise pour attirer le public ? Il a certes fallu créer de nouveaux formats, recruter des présentateurs capés (David Pujadas, Darius Rochebin), mais aussi se positionner différemment sur le tout info, en choisissant des traitements en profondeur, des « sujets structurants », précise Bastien Morassi, directeur de la rédaction. 

Ligne rouge

« Structurants », ces sujets sont précisément ceux qui permettent de hiérarchiser l’information. L’accident mortel de Pierre Palmade le 10 février ? « Il y a eu des discussions dans la rédaction sur le temps que nous devions y consacrer », poursuit Bastien Morassi. Parler de l’accident pour évoquer la consommation de drogue et la sécurité routière s’imposait, mais sans franchir la ligne rouge des préférences et pratiques sexuelles. « Ça nous coûte, financièrement, de ne pas en parler », explique Bastien Morassi. Les jours précédents, BFMTV n’a pas eu de telles réserves et a enregistré de fortes audiences

Le bureau de Bastien Morassi, son « bocal », est ouvert sur la rédaction. Aux murs, des écrans de télévision divisés entre les quatre chaînes d’information en continu. Les regarder trop longtemps donne le vertige. Calée contre un meuble, une photo tirée du film Les Hommes du Président, avec Dustin Hoffman et Robert Redford dans les rôles de Woodward et Bernstein, les deux journalistes qui ont révélé le scandale du Watergate. Et face au bureau de Bastien Morassi, collée sur une des parois vitrées, une carte de l’Ukraine. Le directeur de la rédaction la pointe à la façon d’un général : « Le 24 février 2022, nous n’avions pas de reporter de guerre. TF1 était à Kiev au début des hostilités, nous étions en Pologne, c’était leurs journalistes qui passaient sur notre antenne. Et puis nous nous sommes rapprochés du front », dit-il en faisant un geste vers l’est. Pour la semaine anniversaire du conflit, « il y aura quatre équipes de LCI sur le terrain en Ukraine, et deux pour TF1 », détaille-t-il alors. 

Coûts

À mesure que le conflit s’est installé, les troupes de LCI se sont portées volontaires pour couvrir les événements. Les journalistes ont été formés aux tournages en zone de conflit. Depuis un an, la chaîne compte au moins une équipe sur le terrain chaque semaine. En tout, plus de soixante reporters sont partis vers l’Ukraine. Et si on a limité le nombre d’équipes sur place, c’est surtout en raison des coûts en assurance : ils représentent environ la moitié du montant total des missions.

Toute la chaîne s’est mise en ordre de bataille, avec un parcours spécifique pour les reporters de guerre. Lorsqu’ils rentrent d’Ukraine, les journalistes doivent se rendre chez une psychologue sur leur temps de travail, puis se tenir à distance du terrain pendant plusieurs semaines — en restant à la rédaction ou en repos — et débriefer en tête à tête avec leur hiérarchie, raconter leur mission en reprenant tout à zéro… « Tout ça s’est fait en tâtonnant », explique Bastien Morassi.

Marie-Aline Meliyi, présentatrice de la tranche 15h - 18h du vendredi au dimanche, repart en Ukraine au mois de mars. Elle raconte que la relation avec les fixeurs n’est pas toujours évidente. « Ils font ce travail pour servir leur pays en quelque sorte, et ils nous aident beaucoup. Mais les discussions sont parfois difficiles. Nous devons leur dire que ce n’est pas eux qui choisissent les sujets que nous traiterons ». Une liste des collaborateurs sur place est enrichie et amendée, si besoin, par les commentaires des journalistes.

Il est bientôt midi. Au détour d’un couloir, voici « Ben », AKA Bénédicte Le Chatelier, présentatrice de la tranche 15h - 18h du lundi au jeudi, (« Le Club Le Chatelier »). Comme l’ensemble des rendez-vous de la chaîne, son émission a battu des records en 2022, avec un pic historique à 4 % de part d’audience le 10 novembre. Face à son ordinateur, maquillée pour l’antenne, elle prépare sa quotidienne. Au sommaire, l’actualité du séisme en Turquie, d’abord, avec deux reporters de retour du terrain en plateau. Puis la quatrième journée de manifestation contre la réforme des retraites et enfin le conflit russo-ukrainien. « Pour le traitement de l’Ukraine sur notre tranche, en plus des informations que l’on récupère du terrain avec nos journalistes et ce que les agences diffusent, on gratte tout ce que l’on peut sur les réseaux sociaux. Tout ça forme une base pour les débats avec nos invités ».
 

Pédagogie

Articulés avec les témoignages et les informations glanées sur le terrain, les invités sont l’un des piliers de l’antenne. L’équipe de programmation a constitué un carnet d’adresses complet, rempli de généraux et d’experts capables de parler de ces sujets techniques. Sont présents ce jour-là, le général Jean-Paul Perruche, ancien directeur de l’état-major militaire de l’UE, Thorniké Gordadzé, ancien ministre géorgien pour l’intégration européenne, et le général Dominique Delort, ancien chef du Centre opérationnel interarmées. « Certains ont appris à s’exprimer à l’antenne et sont devenus très pédagogues », souligne Bénédicte Le Chatelier. L’enjeu, selon elle, c’est que la chaîne reste généraliste et parle à tous, pas seulement à des spécialistes.

Autour d’elle, Magali Lunel, en charge de deux chroniques quotidiennes dans le 15h - 18h, en plus des quelques journaux. Historienne de formation, elle apporte ponctuellement des éclairages historiques au conflit ukrainien. Nivin Potros quitte le plateau, oreillette encore en place et relai micro dans le dos. Elle vient tout juste de présenter sa première chronique de la journée. Le sujet du jour : la contre-offensive russe aura-t-elle bien lieu ? « Depuis que les avancées sont gelées, je me penche davantage sur les questions de cheminement des munitions, des incompatibilités matérielles qui en résultent, des choses assez techniques ». Passée du côté des cartes et des chiffres en 2020, après trois ans en tant que reporter à LCI, elle consacre désormais l’intégralité de ses chroniques à la guerre en Ukraine. Elle s’est formée sur le tas, notamment au contact de Samira El Gadir, la cheffe des vérificateurs, la cellule de fact checking de la chaîne. 

Cette dernière anime notamment une chronique hebdomadaire le vendredi dans le 12h-15h de Christophe Moulin et Anne Seften. Et depuis un an, elle aussi travaille exclusivement sur l’Ukraine. Son objectif ce jour-là : « vérifier les images aperçues sur les réseaux où des Ukrainiens brûlent des livres russes ». Traiter des sujets partagés sur les réseaux et largement diffusés, sans pour autant faire la promotion de fausses nouvelles : l’équilibre est périlleux.

Nouvelles méthodes de travail

Depuis la création de la cellule de fact checking en 2020, en prévision de la présidentielle, plus d’une cinquantaine de journalistes de TF1 et LCI ont été formés aux techniques d’OSINT (Open Source Intelligence, ou investigation en sources ouvertes) — sans compter les documentalistes. Dans leur arsenal, des outils comme Pimeyes (reconnaissance faciale), le moteur de recherche russe Yandex, et des bases de données telles qu’Hydroweb, ou ISW, et d’autres encore.

À l’antenne, les journalistes de la chaîne reviennent régulièrement sur leur méthode de travail. « Il faut établir et entretenir un lien de confiance avec les publics, faire une pédagogie de l’information », explique Bastien Morassi. Couvrir un conflit tel que celui-ci est une tâche ardue. Aucun des journalistes n’est dupe : l’intox existe dans les deux camps. 

Sur les réseaux sociaux, des utilisateurs leur reprochent d’être tantôt « la chaîne de l’Ukraine », ou d’être pro-russe lorsque le porte-parole de l’ambassade est invité. Lorsque la bataille de Bakhmout a commencé, la rumeur donnait alternativement l’un ou l’autre camp vainqueur. Un rédacteur en chef modère : « Il ne faut pas que l’on donne l’impression de prendre le sens du vent. On ne se croit pas plus malins que les autres, on se pose des questions. Et on doute. »

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