Comme beaucoup de Français, j’ai suivi vendredi soir en direct les événements qui se déroulaient dans Paris, absorbé par la télévision et un œil sur Twitter. Et, comme souvent dans des circonstances dramatiques, je me suis trouvé déchiré entre ma position de simple spectateur, bouleversé par le drame, et celle, par définition plus froide et plus distante, de l’analyste des médias.
Le premier constat, c’est que, d’une certaine façon, on ne leur a pas laissé la possibilité de trop montrer. Je ne sais pas ce qu’ils auraient fait s’ils avaient pu approcher au plus près des scènes de crime, mais force est de constater que les premières à avoir retenu les leçons de janvier ont été les forces de l’ordre. Toutes les caméras se trouvaient à distance, dans l’incapacité de dévoiler le dispositif policier.
Cela dit, des signes laissent à penser que les discussions qui ont suivi le 7 janvier ont aussi porté leurs fruits. Peu nous importe que ce soit par peur de nouvelles condamnations symboliques ou par décisions concertées. Les faits sont là : les chaînes ont affiché une certaine prudence, dont je vois au moins deux symptômes.
Le premier dans la retransmission du match France-Allemagne sur TF1. Il est clair aujourd’hui que ce lieu devait être celui de l’hécatombe, amplifiée par la retransmission en direct. Les terroristes avaient décidé de faire un spectacle suivi par des millions de personnes et d’engendrer une terreur effroyable. Heureusement, grâce à une suite de bonnes décisions, les kamikazes n’ont pu pénétrer dans l’enceinte du stade. Néanmoins, les explosions, très fortes, ont été entendues. Les journalistes qui commentaient le match ont su à la mi-temps qu’il se passait quelque chose d’anormal, mais, en l’absence d’informations incontestables, ils ont décidé de ne pas en parler. Imagine-t-on ce qu’il se serait passé autrement ? La panique, les bousculades, les gens piétinés, les blessés et les morts. Ces médiateurs ont ici mis de côté la course au scoop et ont compris que l’information n’était pas une donnée inerte, mais, en certains cas, une arme qui fait des dégâts.
De cet abandon de la vitesse au profit d’une information vérifiée, ceux qui suivaient la soirée sur Twitter en ont eu la confirmation. En observant le réseau social, j’ai vite été frappé par le manque de synchronie avec le média télévisuel. De nombreux faits étaient décrits qui ne trouvaient aucune résonance dans le grand écran (paradoxe du petit écran qui est devenu grand en comparaison avec nos smartphones) : par exemple, à plusieurs reprises, il a été fait état d’un événement violent survenu à Beaubourg. Apparemment une rumeur non fondée. Si certains tweets trouvaient un prolongement sur les chaînes avec un peu de retard, d’autres n’y accédaient pas. Il est apparu assez rapidement que les réseaux sociaux, loin d’être ce nouveau lieu où se fait l’information, était celui où circulaient les rumeurs. Le lendemain, on en eut la confirmation avec celle d’une attaque de la place de la République. Pour moi, cette soirée historique marque un tournant dans la crédibilité des médias : les vieux médias comme la télévision, à qui les jeunes ne font plus confiance, se sont avérés plus fiables que les réseaux sociaux qui, pour certains, sont le vrai lieu de l’information.
Cette soirée historique marque un tournant : les vieux médias comme la télévision, à qui les jeunes ne font plus confiance, se sont avérés plus fiables que les réseaux sociaux
Que faut-il faire pour améliorer encore cette prise de conscience de l’enjeu des retransmissions de tels événements ? Je vois deux points auxquels les médias doivent être attentifs.
Le premier concerne la représentation des blessés et des morts. J’ai été choqué vendredi de voir, sur France 2, en un plan suffisamment rapproché pour permettre l’identification d’une personne allongée sur un brancard, dont, bien sûr, on ne pouvait connaître l’état. J’ai pensé à l’émotion qui aurait été la mienne si j’avais reconnu là ma propre fille. Encore une fois, je demande aux médias de ne pas penser seulement à ceux qu’il faut informer, mais aussi, peut-être surtout, à ceux qui sont dans l’image et qui subissent la caméra. À chaque attentat, certains blessés manifestent la volonté de ne pas « être vu à la télé ». Respectez-les. Force est de constater que là aussi, c’est de Twitter qu’est venu le pire : la diffusion d’une image montrant 30 morts au Bataclan, sans aucun respect pour la dignité de ces personnes.
Le second concerne les plateaux. Car l’information en continu reste encore nourrie des débats en studio. J’ai été gêné dans ces derniers jours par le fait que certains experts sortaient du cadre de leur légitimité. Que tel islamologue viennent nous faire comprendre un aspect de l’Islam que nous ne connaissons est formidable, mais cela ne l’autorise pas à donner son avis sur d’autres aspects sur lesquels il n’a aucune légitimité, comme la stratégie ou les décisions politiques à prendre. Les « gatekeepers » sont là pour trier les informations, les vérifier, mais aussi pour recadrer leurs interlocuteurs quand l’idéologie l’emporte sur l’expertise.