Graham McDonnell est le directeur créatif du T Brand Studio.
Quel a été votre parcours avant de devenir directeur créatif international au New York Times ?
Graham McDonnell : Ma carrière n'a pas été très « traditionnelle ». J'ai commencé à travailler dans l'industrie de la musique – j’écrivais de la musique pour des films. C'est avec cette exposition à l'industrie cinématographique que j'ai commencé à m'intéresser davantage au montage et à l'animation graphique. J’ai toujours eu l'œil pour le design et j'ai appris en autodidacte, puis j'ai évolué dans le monde numérique au moment où cela commençait à exploser. Je suis donc devenu une sorte de designer et j'ai travaillé pour diverses petites agences de design dans toute l'Angleterre. Je suppose que c'est ce genre d'exposition à ces différents médium et à tous les différents débouchés créatifs qui m'a vraiment permis, en tant que directeur créatif, de ne pas me limiter à une solution en particulier. J'ai déménagé à Londres avant de commencer à travailler pour le New York Times il y a un peu plus de trois ans. Il y a six mois je suis parti pour les États-Unis, où j’ai intégré une équipe plus importante. C'était donc une belle balade jusqu'à présent.
Que signifie exactement « directeur de la création internationale au New York Times »?
Graham McDonnell : Je suis le directeur créatif du T Brand Studio, qui est notre studio de contenu de marque. Il offre une sorte de solution publicitaire native aux marques. Celles-ci viennent au New York Times et veulent mettre du contenu sur notre plateforme et c'est à nous, en tant que studio, et à moi, en tant que directeur de la création en particulier, de créer des histoires sur le même ton et selon les mêmes normes que le New York Times. Mais nous intégrons à celles-ci un message de marque pour promouvoir un produit ou un service pour les entreprises avec qui nous travaillons.
Quelle est l’histoire du T Brand Studio et quelle est exactement votre position au sein du New York Times ?
Graham McDonnell : Le studio a démarré il y a un peu plus de cinq ans à New York. Il fait partie de l'entreprise, où il a été construit : il n'a pas été acheté ou acquis. Nous restons dans le département de publicité, afin de ne pas faire appel aux journalistes et autres talents de la salle de rédaction. Mais l'équipe a été constituée en gardant à l'esprit l’idée de la salle de rédaction, parce que nous devons respecter le même ton et les mêmes standards que le New York Times. L’équipe est donc composée de journalistes, de rédacteurs, de designers qui ont de l'expérience dans le monde de l'édition. Nous avons récemment acquis, c'était il y a quelques années maintenant, un réseau d'influenceurs appelé « HelloSociety » ainsi qu’une société expérientielle appelée « Fake Love ». Nous nous associons à eux lorsque nous devons répondre à ces besoins spécifiques.
Quelles sont vos interactions avec la salle de rédaction ?
Graham McDonnell : Nous essayons de rester séparés autant que possible. Car évidemment, si la salle de rédaction est perçue comme influençable par les marques, ses productions ne seront plus perçues comme dignes de confiance. Nous essayons vraiment de faire une distinction très, très nette entre le contenu que la salle de rédaction diffuse et celui que le studio propose. Comme je l'ai dit, tant que nous atteignons les mêmes standards de qualité et que notre contenu garde l’empreinte du « Times », à laquelle ils sont habitués, les consommateurs ne semblent pas vraiment s'inquiéter que ce soit payé par les marques.
Quels genres de contenus de marque développez-vous ? Vous limitez-vous uniquement au texte, faites-vous aussi de la vidéo, que pensez-vous de l’audio ?
Graham McDonnell : Nous faisons à peu près tout ça. Je pense qu’au
New York Times, nous sommes vraiment des chefs de file dans l'industrie pour ce qui est de repousser les limites et expérimenter de nouvelles technologies comme celles-là. Nous faisons beaucoup d'articles, de vidéos, de design, d'illustrations, de VR, de réalité augmentée, ainsi que de podcasts. De toute évidence, avec le succès du
Daily, le podcast d’actualité du New York Times, nous testons la meilleure façon d'utiliser ce format du point de vue de la publicité. Évidemment, vous avez votre publicité
pre-roll, les spots publicitaires
mid-roll, mais nous nous demandons aussi comment nous pouvons créer un produit «
Timesian » dans un format podcast. Il s'agit donc de trouver la bonne marque et la bonne histoire à raconter en utilisant ce genre de canal.
Qu’est-ce qui vous rend attirant pour votre client ? Est-ce le fait que vous portez la marque du New York Times ?
Graham McDonnell : Je pense que la principale raison pour laquelle les gens viennent nous voir, celle pour laquelle une marque devrait s'adresser à quelqu'un pour du contenu de marque, c'est l'audience. Vous savez, nous venons
d’atteindre les quatre millions d'abonnés et le lectorat du
New York Times comprend des personnes qui sont parmi les plus influentes du monde, des faiseurs d'opinion et des décideurs que l'on trouve un peu partout dans le monde. Si vous voulez vous positionner par rapport à ce genre de personnes, le
New York Times est fait pour vous. C'est une des raisons pour lesquelles les gens viennent nous voir. La deuxième raison, c'est qu’ils voient nos prouesses en matière de narration. Le
New York Times est composé de certains des meilleurs conteurs du monde. Les marques s'appuient sur nous et sur ce genre d'expertise dans ce domaine pour créer une histoire, racontée d'une manière particulière qui trouvera un écho auprès du public qu'ils tentent de toucher.
Pensez-vous qu'il est important pour un groupe média d'avoir un tel studio qui développe du contenu de marque ? Est-ce aussi important qu'il y a cinq ans, et pensez-vous que ce sera encore plus important ou vital dans cinq ans ?
Graham McDonnell : C'est certainement plus important qu'avant. Le secteur est encore assez nouveau, et les gens essaient encore de trouver leur place dans tous les canaux qu’ils utilisent ou ont utilisé pour faire leur promotion. Lorsqu'il s'agit de contenu de marque, tout le monde a hâte de prendre le train en marche. Beaucoup de marques ont maintenant leurs propres studios de contenu, ce qui peut être une bonne chose. Mais cela peut représenter un investissement important, et il s'agit aussi d'avoir la bonne expertise. C'est donc une chose de dire « nous avons besoin d'un studio de contenu », mais il faut aussi se demander s’il y a les capacités et les ressources pour le faire efficacement. Je ne peux donc pas vous dire s’il faut absolument que tout le monde ait son propre studio pour développer du
branded content. En revanche, il faut que ce soit un moyen efficace de raconter cette histoire particulière, et la solution peut être interne ou externe, c’est à voir au cas par cas.
Durant le Web Summit, vous avez participé à un panel intitulé « Can branded content ever be authentic ? ». La question mérite en effet d’être posée. Qu’en pensez-vous ?
Graham McDonnell : Je pense que oui, le branded content peut être authentique. Je le pense vraiment. Et encore une fois, il s’agit de garder la confiance du public. Tant que vous tenez votre promesse sur le premier point, qui est qu’il faut que le contenu soit divertissant ou informatif, le public ne s'inquiète pas vraiment que ce soit payé par une marque. Le problème, c'est lorsque vous essayez de brouiller les lignes, que vous essayez de le tromper. Les lecteurs sont vraiment malins, ils vont flairer une publicité à des kilomètres à la ronde et c'est cette tromperie que les gens ont en aversion. Je pense donc que lorsque les lecteurs parlent d'authenticité, c'est simplement parce qu'ils aiment que le contenu de marque ressemble au contenu natif qui se trouve à côté. Il faut donc être franc et rester fidèle au type de contenu habituellement produit pour le média où le message apparaîtra.
Pensez-vous qu'il existe actuellement un format qui fonctionne particulièrement bien avec le public ? L’audio, avec le podcast notamment, est-il particulièrement prometteur ?
Graham McDonnell : Tout dépend de l'histoire que vous voulez raconter. Chaque année, le focus se déplace sur un nouveau médium. Il y a quelques années, c'était la réalité virtuelle. Tout le monde voulait en faire, maintenant c'est le podcast et les gens oublient que le concept existe depuis vingt ans et que ce n'est pas une nouvelle technologie. C'est juste que les gens trouvent maintenant de nouvelles façons de l'utiliser, ainsi que des histoires intéressantes qui pourraient fonctionner dans ce format. Je dirais qu’il faut prendre le temps, tout d’abord, de développer l'histoire et ensuite de regarder quel peut être le meilleur format pour la raconter. Faire l’inverse est une erreur, le fait de mal adapter le format à l'idée est habituellement l'un des pièges les plus faciles à éviter.
Vous venez d’évoquer la réalité virtuelle, est-elle l’avenir du branded content ?
Graham McDonnell : Question difficile. Encore une fois, la réalité virtuelle n’est qu'un véhicule, ce n'est pas un contenu de marque, c'est juste une façon de raconter une histoire. La VR est très, très utile pour certaines choses. La réalité augmentée est utilisée pour certaines choses mais pas pour toutes. Les gens doivent entendre qu’utiliser ces technologies comme des gadgets est une erreur. Je pense que les gens vont comprendre, de plus en plus, que les bénéfices d'un contenu de marque dépendent en grande partie de la qualité de l'histoire racontée, plutôt que de l’utilisation d’un format en particulier, pour réparer une mauvaise idée.
Nous avons récemment publié une série d'articles sur les nouvelles façons pour les médias de raconter l’information, avec les chatbots, les fils Twitter ou même les smartspeakers. Est-ce un terrain sur lequel vous essayez des choses ou est-ce trop compliqué ?
Graham McDonnell : Nous expérimentons sur les haut-parleurs intelligents et toutes les plates-formes, tous les sujets majeurs. Nous avons une excellente équipe de R&D expérimentale qui se penche là-dessus. Mais encore une fois, il faut réfléchir à l’histoire avant la plateforme. Je suis très frustré quand vous voyez des choses comme Facebook pour la VR, [
Facebook Spaces]. Je peux me tromper, mais il est beaucoup plus facile et intuitif de sortir votre téléphone pour consulter Facebook. Je doute que les gens feraient la même chose avec un appareil de réalité virtuelle, à moins que la raison pour laquelle les gens viennent sur Facebook change et que la VR devienne plus pertinente. La réalité virtuelle n'est qu'un exemple, les enceintes connectées en sont une autre. Les gens sont très enthousiastes à l'idée d’avoir leur place dessus. Et puis ils se réapproprient les podcasts, et c'est comme si le contenu devenait un peu le monstre de Frankenstein. Il faut apprendre comment raconter une bonne histoire avant même de penser au format.
Selon vous, quel est le plus grand défi à relever à l'heure actuelle concernant le contenu de marque ?
Graham McDonnell : C’est d’abord la question du choix du format en fonction de l’histoire. L'autre problématique, l’une des plus courantes, c'est que personne ne se soucie du message de la marque. Je dis toujours aux marques qu’elles ne sont pas le protagoniste de l’histoire qu’elles veulent raconter. C'est le public qui doit être le héros, pas la marque. Cette dernière doit avoir le rôle de la personne qui l'aide à atteindre son but. Pour prendre une analogie, je dirais que la marque est le Yoda qui aide Luke Skywalker à atteindre son objectif.