Le CSA tisse sa toile

Le CSA tisse sa toile

Le gendarme de l’audiovisuel étend progressivement ses compétences en matière numérique. Décryptage.
Temps de lecture : 6 min

Pas question pour lui de rater le coche ! À l’heure où la notion de convergence revêt enfin toute sa signification, le Conseil supérieur de l’audiovisuel entend élargir son champ de compétences et marquer davantage de son empreinte les services audiovisuels sur Internet. « Le CSA n’a jamais eu pour ambition de devenir le régulateur général d’Internet », tempérait en janvier 2014 son président, Olivier Schrameck, devant la Commission de la Culture, de l’Éducation et de la Communication du Sénat. Sans aller jusqu’à cette extrémité, le régulateur aimerait toutefois monter en puissance sur le terrain du numérique et se voir doté de nouvelles attributions. D’autant qu’il ne part pas de zéro et peut s’appuyer sur un certain nombre de prérogatives existantes. « Sur Internet, le CSA régule en particulier les WebTV, les webradios et bien entendu les SMAD (services de médias audiovisuels à la demande), c’est-à-dire les services de vidéo à la demande et de télévision de rattrapage, qui sont en concurrence avec la télévision et la radio », rappelait Oliver Schrameck aux sénateurs. Ces services à la demande sont de toute évidence la première pierre d’un solide édifice en cours de construction. En novembre 2010, un décret avait défini les obligations de financement et d’exposition pesant sur ces services d’un nouveau genre. Chargé de veiller à ce qu’elles soient respectées par les éditeurs, le CSA est également tenu de proposer des pistes pour les moderniser. À ce titre, il a lancé au printemps 2013 une consultation publique. Avec à la clé un rapport remis au gouvernement en décembre dernier. Dans ce document riche d’enseignements, ses ambitions numériques sont à peine voilées.

Une vision extensive des SMAD

Dès les premières lignes du rapport, le régulateur affiche la couleur. « Le présent rapport prend le parti d’aller au-delà d’un bilan d’application du décret SMAD et aborde les problématiques contextuelles touchant aux enjeux économiques, juridiques et technologiques du secteur », peut-on lire. L’un des temps forts concerne les sites de partage de vidéo, dont YouTube et Dailymotion sont les fers de lance. Apparues au milieu des années 2000, ces plateformes 2.0 ont vu leur ligne éditoriale évoluer au fil du temps. Dans un premier temps exclusivement destinées à la diffusion de contenus amateurs, elles ont progressivement accueilli des contenus professionnels. Dans son rapport, le CSA s’interroge sur leur statut. « Ces plateformes sont exclues de la définition de SMAD, dès lors qu’elles hébergent des contenus créés par des utilisateurs privés. Or, elles diffusent une part importante de contenus « professionnels ». Elles développent depuis plusieurs années des partenariats avec des éditeurs audiovisuels ou des fournisseurs de contenus, avec lesquels elles partagent les revenus issus de la publicité. Elles éditent parfois directement certains services (par exemple, Dailysport édité par Dailymotion) ou exercent dans certains cas un rôle de distributeur de SMAD. Il en va ainsi par exemple de YouTube qui a lancé en France en 2011 des chaînes thématiques exclusives (les Chaînes Originales YouTube) ».
 
Si le CSA parvenait à requalifier ces plateformes 2.0, elles pourraient être soumises aux mêmes obligations que les autres SMAD. Pour ce faire, le régulateur propose de mesurer la part d’activité qui relève de l’édition ou de la distribution audiovisuelle, et non du simple hébergement de vidéos. Cela en vue de déterminer avec exactitude l’assiette de la contribution à la production audiovisuelle et cinématographique.

La chronologie des médias au cœur des débats

Outre cette charge contre les plateformes de partage de vidéo, le CSA se mouille et prend position dans l’épineux dossier de la chronologie des médias. Dans la droite ligne des préconisations de la mission Lescure, le Conseil juge dans son rapport qu’un toilettage de la chronologie des médias est nécessaire pour améliorer l’attractivité des offres légales de vidéo à la demande. Il formule un corpus de propositions qui, précise-t-il, « ne sont pas figées et peuvent être améliorées par la concertation interprofessionnelle ». De cette façon, il s’empare habilement d’un sujet brulant qui sera au cœur des débats en 2014. Il suggère notamment d’avancer la fenêtre de la vidéo à la demande à l’acte de 4 mois à 3 mois pour tous les films. Il va même plus loin en préconisant « la mise en œuvre des mesures dérogatoires et expérimentales proposées par la mission Lescure visant à faciliter les sorties en vidéo à la demande des films à très faible durée d’exploitation en salles ». Cela pourrait par exemple se traduire par des expérimentations de sorties simultanées en salles et en vidéo à la demande dans le cadre de « week-end premium ». Le CSA se montre également favorable à un raccourcissement de la fenêtre applicable aux services de vidéo à la demande par abonnement (SVOD). À l’heure actuelle, celle-ci est fixée à 36 mois après la sortie en salles. Un délai jugé beaucoup trop long par l’autorité au regard de la « concurrence que pourraient exercer certains acteurs américains présents sur le territoire européen qui bénéficient d’une chronologie des médias plus favorable ». Selon le CSA, ce délai pourrait être ramené à 24 mois. Avec toutefois deux exceptions. La première concernerait les films ayant fait l’objet d’un préachat ou d’un achat par un service linéaire en clair, ou de cinéma pour une seconde fenêtre payante. Dans ce cas, la fenêtre serait de 30 mois. À l’inverse, dans l’hypothèse où le film serait préfinancé par un service de SVOD, le délai pourrait être ramené à 14 mois.
 
Audacieuses, ces propositions ont reçu un accueil plutôt favorable des professionnels. Elles seront au cœur des renégociations de l’accord interprofessionnel du 6 juillet 2009, étendu par l’arrêté du 9 juillet 2009.

L'héritage d'Hadopi

En mai 2013, le rapport Lescure avait créé la sensation en suggérant de transférer au CSA les missions d’Hadopi. « Il ne semble pas souhaitable de maintenir une autorité administrative indépendante dont l’activité se limiterait à la lutte contre le téléchargement illicite. Cela ne contribuerait ni à la légitimité du dispositif, ni à la cohérence de l’action publique, ni à l’économie des deniers publics. Sous réserve des choix institutionnels qui seront faits par le gouvernement en matière de protection des droits et de régulation des contenus sur Internet, la réponse graduée pourrait ainsi être confiée au CSA, dont il est proposé de faire le régulateur de l’offre culturelle numérique », pouvait-on lire dans ce document de Olivier Schrameck486 pages remis en grandes pompes à la ministre de la Culture et de la Communication Aurélie Filippetti. Ses auteurs sont même allés plus loin en proposant d’instaurer, sous l’égide du gendarme de l’audiovisuel, un mécanisme de conventionnement et de l’étendre à l’ensemble des services culturels numériques. L’objectif affiché ? « Faire du CSA l’autorité de régulation des médias audiovisuels et culturels, linéaires et non linéaires ».
 
Aujourd’hui, l’idée d’un transfert des missions d’Hadopi vers le CSA est entérinée et a même failli être formalisée dans le cadre de la loi sur l'indépendance de l'audiovisuel public, votée à l’automne 2013. Un temps pressenti, l’amendement du sénateur David Assouline n’a finalement pas vu le jour. Ce transfert de compétences devrait donc avoir lieu dans le cadre de la grande loi sur la création annoncée pour le printemps. Dans un entretien accordé au journal Libération, Aurélie Filippetti a confirmé que le CSA sera en charge de la mise en place du mécanisme de riposte graduée, ôté de son ultime sanction : la coupure d’accès à Internet. Celle-ci a déjà été supprimée par voie réglementaire en juillet 2013. Le régulateur héritera également de la mission d’encouragement de l’offre légale qui avait été confiée à l’Hadopi par la loi Création et Internet. En revanche, la ministre entend rassurer ceux qui craignent que le CSA ne se transforme en un « Big Brother du web ». « Ce n’est pas parce que le CSA a des compétences élargies qu’il aura les même facultés ou les mêmes objectifs vis-à-vis d’Internet et de la télévision, souligne la ministre. Mais le CSA doit pouvoir travailler également sur la diffusion non linéaire et développer de nouvelles formes d’expertise sur ce qui se passe dans les réseaux numériques ».

Une subtile articulation avec l'Arcep

Une autre Autorité administrative indépendante (AAI) fait l’objet de toutes les attentions : l’Arcep. Le débat sur son éventuelle fusion avec le CSA est un vieux serpent de mer. En 2012, le ministre du Redressement productif Arnaud Montebourg avait lancé une violente charge contre l’Autorité, accusée d’avoir mal préparé l’arrivée de Free Mobile sur le marché de la téléphonie mobile. Dans ce contexte, Arnaud Montebourg, Aurélie Filippetti ainsi que la ministre déléguée en charge de l’Économie numérique, Fleur Pellerin, avait été chargés par le Premier ministre ,Jean-Marc Ayrault, de faire « des propositions de rapprochement entre le CSA et l'Arcep ». L’idée d’une fusion a été exclue par les ministres mais pas celle d’un rapprochement. La création d’une instance commune figurait parmi leurs propositions. Ce vœu a retenu l’attention du législateur qui a créé, dans la loi du 15 novembre 2013 relative à l’indépendance de l’audiovisuel public, une « commission parlementaire de modernisation de la diffusion audiovisuelle ». Regroupant des membres du CSA, de l’Arcep ainsi que des parlementaires, cette commission est notamment chargée d’émettre des avis sur les projets de réaffectation des fréquences. Cette (modeste) première étape devrait ouvrir la voie à d’autres formes de collaboration. Car, de l’aveu d’Olivier Schrameck, « les sujets d’intérêt commun entre l’Arcep et le CSA sont appelés à se multiplier au fur et à mesure que convergeront audiovisuel et Internet ».

Un combat à l'échelle européenne

Cette redéfinition des pouvoirs se fera sous l’étroite surveillance de Bruxelles. En début d’année, la Commission européenne a officiellement institué un groupe d’autorités réglementaires de l’Union dans le domaine des services de médias audiovisuels. La mission première de ce groupe ? « Conseiller la Commission sur la mise en œuvre de la directive « services de médias audiovisuels » (SMA) à l'ère de la convergence des médias », indique l’instance européenne. En France, cette directive de 2007 a été transposée dans le fameux décret SMAD du 12 novembre 2010, qui est au cœur du récent rapport du CSA. Nul doute que l’instance française jouera un rôle majeur dans ce groupe – dont Olivier Schrameck vient de prendre la direction. Il devrait permettre de favoriser les échanges entre les autorités locales, toutes confrontées au double défi de la convergence et de la globalisation. « Le paysage audiovisuel de l'Europe est en pleine mutation: le contenu est de plus en plus souvent distribué et visionné à travers les frontières et de plus en plus souvent créé, distribué et visionné en ligne. Cela pose des problèmes réglementaires particuliers et il est de ce fait essentiel d'assurer une coopération plus étroite et plus régulière entre les organismes de régulation indépendants des États membres et la Commission », résumait avec justesse le communiqué de presse de la Commission européenne.

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Crédits photo :
- Le collège du CSA (Manuelle Toussaint/CSA)
- Olivier Schrameck (Manuelle Toussaint/CSA)

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