Un modèle d’affaires établi
Ces bons résultats financiers ont permis à nombre de sociétés de réussir leur introduction en bourse, comme YYLive et 9158 déjà citées, mais aussi le leader du marché Inke, ou encore Momo, le Tinder chinois. Ils ont aussi entrainé une quasi-ruée des sociétés de capital-risque dont
les investissements sont passés de 58 millions de dollars en 2014 à plus de 430 millions en 2016. Parmi les investisseurs figurent également les grandes sociétés de l’Internet chinois, les BAT (Baidu, Alibaba et Tencent).
La réussite de ces sociétés tient à la combinaison de deux facteurs,
un modèle d’affaires efficace et une chaîne de la valeur bien organisée. Malgré la nouveauté de l’activité, une chaîne de la valeur s’est rapidement mise en place qui spécifie bien les parties en présence et entraîne une professionnalisation rapide.L’étude de China Tech Insights présente une chaîne de la valeur complexe. Elle répartit les principaux acteurs autour de deux pôles celui des producteurs de contenus et celui des plateformes.
Le groupe des producteurs de contenus se scinde entre amateurs et professionnels, les premiers étant largement majoritaires. Ils doivent s’efforcer de maintenir l’attractivité de leurs prestations. C’est pour cela que l’on a assisté à l’émergence d’intermédiaires : les syndicats et les agences de talents. Les premiers ressemblent à ce que l’on peut trouver sur YouTube avec les
Multi-Channel Networks. Ils se chargent du recrutement des « streamers », de leur promotion et de l’amélioration de leur production. En échange de quoi, ils reçoivent une compensation financière, quoique de façon largement informelle, sans encadrement légal précis. Les agences, interviennent, quant à elles, pour les plateformes qui sont leurs principaux clients et non les « streamers ». Ils contribuent dès lors à la professionnalisation de ces derniers.
Les plateformes sont les opérateurs techniques de l’ensemble de cette chaîne de la valeur. Pour autant, ils sous-traitent une très large partie des fonctions techniques en particulier la recherche et développement. Leur facteur principal de coût est le maintien de la qualité de la bande passante qui peut représenter un tiers de leurs coûts de fonctionnement. Ces acteurs peuvent aussi tenter d’intervenir sur les contenus, ou d’autres parties de la chaîne. Tel est le cas de 9158 qui a ouvert un département de production de films et contenus audiovisuels.
L’accent porte sur l’interaction avec le « streamer », le talent éventuel de ce dernier devient un élément secondaire
Le modèle d’affaires repose sur deux piliers : les dons (« gifts ») ou pourboires (« tips/ cash reward ») virtuels et la publicité. Les premiers assurent l’essentiel des recettes. 9158 les a introduits dès 2005. C’est une différence majeure avec le modèle des youtubeurs dominé par les recettes publicitaires. Bien que ces dons fonctionnent de façon similaire aux pourboires sur Twitch, selon China Tech Insights, la psychologie des émetteurs et des récepteurs diffère. Il ne s’agit pas non plus du modèle du pourboire accordé aux artistes
dans le modèle dePatreon ou de son équivalent français
Tipeee. Dans ces deux cas, il s’agit d’une évolution du système de financement participatif destiné à des « artistes » qui cherchent des financements complémentaires pour des produits existants déjà et non pour des émissions en direct.
Comme le note Connie Chan, on est dans le champ du don, voire du don compulsif, l’accent porte plus sur l’interaction, l’échange avec le « streamer », le talent (chant, danse…) éventuel de ce dernier devient un élément secondaire. Le don semble dès lors plus adapté à cette forme de communication.
Les utilisateurs acquièrent des points d’achat ou des tickets dans l’app qui peuvent être convertis en cadeaux virtuels. Ceux-ci peuvent, à leur tour, être convertis en monnaie réelle par les « streamers » à hauteur de 45 % des montants réalisés, la plateforme conservant le reste. La partie allouée au « streamer » est ensuite re-répartie entre ces derniers et les intermédiaires, les agences étant plus gourmandes (jusqu’à 15 %) que les syndicats.
Par exemple, si un spectateur a offert au « streamer » sur Inke un « autocollant » de voiture d’une valeur de 45 $, ce dernier conservera autour de 15 $. Sur Bigo Live Broadcasting, le spectateur peut faire don d’articles virtuels, de la bague à la voiture de sports, à partir de la monnaie virtuelle de la plateforme, le « diamant » (42 diamants coûtent 1 $ de Singapour soit 0,75 U$D), l’équivalent des « Star Balloons » d’AfreecaTV : une fleur coûte un diamant, une bague dix, et la voiture, l’objet virtuel le plus cher, 3000 diamants.
Ces modalités de remontée des recettes n’empêchent nullement certains des « streamers » à temps plein de se procurer ainsi des revenus mensuels de plusieurs milliers de dollars et, de surcroît, générer des recettes additionnelles sous forme de services. Toutefois, la distribution de ces recettes entre ces acteurs a bien la forme d’une pyramide avec une large base de « streamers » à temps complet dont les revenus tournent autour de 500 $ par mois et un sommet étroit ou ces revenus peuvent dépasser 20 000 $. Il s’agit, dans ce cas, la plupart du temps de « streamers » de jeux vidéo. L’enquête de China Tech Insights révèle que 10 % des streamers assureraient 30 à 40 % des recettes d’une plateforme ce qui explique que ces derniers peuvent faire l’objet d’offres très attractives de la part des plateformes. Ces dernières peuvent leur rétrocéder une partie plus importante de leur commission ne conservant que, par exemple, que 10 % des recettes, aussi pour faire face à la concurrence intense entre ces plateformes.
L’économie des jeux vidéo sur mobile s’est construite sur la vente d’objets virtuels celle du « streaming live », également sur mobile, semble se construire sur les dons. Comme dans le cas des forts joueurs (appelés « baleines ») qui assurent la majorité des recettes pour les jeux vidéo, il semblerait, selon Connie Chan que 5 % des spectateurs assurent 70 % de ce type de recettes. La référence à l’économie du don est explicite sur le site d’AfreecaTV. Les « fans » comme pour d’autres formes d’UGC (fanzines, fan fiction…) sont au cœur du dispositif.