Regard sur le futur du terrorisme et des conflits armés
L’espace virtuel est bien plus ouvert que l’espace réel, et les technologies génèrent de nouveaux risques. Une attaque virtuelle peut être effectuée à tout instant par n’importe qui depuis n’importe où. Protéger l’information et les données est désormais un enjeu majeur à tous les niveaux. Si l’escalade technologique (en termes d’armement et de protection) n’est pas accessible à tout le monde, les importantes barrières à l’entrée (telles que les compétences technologiques) tendent à s’abaisser avec la diffusion généralisée des technologies et du savoir-faire qui l’accompagne. L’utilisation des technologies digitales par les terroristes est heureusement à double tranchant, dans la mesure où ils sont aussi détectables via les réseaux. Oussama Ben Laden par exemple a dû se retirer dans un logement déconnecté de tout accès Internet et téléphone.
Cependant, la manière dont les États peuvent accéder aux données des utilisateurs est au cœur des débats, et il semble qu’un arbitrage doive être établi entre vie privée et sécurité. Pis, à l’heure où la majorité de la population est connectée, refuser d’exister en ligne (et par conséquent ne pas avoir de données personnelles disponible) devient un facteur de suspicion, et les États sont en mesure de dresser des listes des citoyens non connectés. À l’heure actuelle, l’information sur les utilisateurs est fragmentée en fonction des sources : aux États Unis, la CIA, le FBI, les départements d’État ont des systèmes de classement et de contrôle différents. Dès lors, l’enjeu est de trouver comment les agences d’intelligence, les armées et les forces de la loi pourraient intégrer les bases de données digitales dans une structure centralisée sans violer les droits des citoyens.
Si Internet fait apparaître de nouvelles zones d’insécurité, ce serait aussi, selon les auteurs, un outil de désamorçage des extrémismes. Le think-tank Google Ideas a ainsi étudié les processus de radicalisation dans le monde : l’étude conclut qu’augmenter la connectivité des populations leur donne accès à plus d’information, de loisirs et de liberté, et les éloigne de l’enfermement (physique et mental) qui les menace.
Sur le plan des conflits armés, la nouvelle ère serait, selon les auteurs, moins celle desgénocides, que des discriminations et des persécutions. Les États peuvent (et doivent) alors jouer un rôle dans la régulation des contenus à caractère haineux. Les auteurs prennent ainsi les exemples des Roms en Europe et des Ouïgours en Chine pour illustrer le fait que les phénomènes d’agression et de victimisation passent aussi par des contenus en ligne. Notre temps serait celui des conflits de propagande et de récit, où victimes et agresseurs peuvent insinuer le doute dans le récit de l’adversaire, et troubler la connaissance des faits.
Enfin, les conflits armés eux-mêmes sont transformés par les technologies de l’information : l’automatisation des fonctions humaines, la robotisation des combats et généralisation des drones sont à notre portée… Un panel beaucoup plus large d’interventions est désormais disponible. Internet et les technologies augmentent les possibilités (et les vulnérabilités) de tous les acteurs, et complexifie les conflits à la fois sur le front physique et sur le front virtuel.
Il est évident que les technologies digitales ne sont ni morales ni immorales ; c’est la façon dont elles sont utilisées qui détermine leur valeur. Schmidt et Cohen, déclinant les possibilités qu’elles offrent et les menaces qu’elles sous-tendent, dressent un portrait d’un futur numérique dont ils ambitionnent de devenir des acteurs incontournables. Ils présentent habilement certaines menaces à leur avantage (la vie privée des citoyens serait menacée par les États – et non pas par les acteurs d’Internet qui en seraient garants) et se posent en promoteurs de la civilisation et du progrès. C’est là encore que l’exercice atteint ses limites : malgré son ancrage dans un monde contemporain globalisé, l’ouvrage est fragilisé par sa vision sans nuance du progrès et un certain ethnocentrisme américain un peu surprenant pour une problématique si globale.