Un actionnariat qui redevient colombien en 2012
En 2007, suite à l’entrée des grands groupes espagnols de médias en Colombie, et au désir des entrepreneurs colombiens de créer des alliances avec des entreprises étrangères, 55 % des actions de la Casa Editorial El Tiempo
sont rachetées de manière inattendue par le
groupe El Planeta . En effet, il avait été
pendant longtemps question d’un rapprochement plutôt avec
le groupe Prisa, principal actionnaire du prestigieux journal
El Pais, et déjà propriétaire de
Caracol Radio. El Planeta,
référence en matière d’édition littéraire, mais ne disposant que de peu d’expérience dans le domaine de la presse, ne semble pas être un adversaire de taille face à Prisa. Mais les propriétaires de
El Tiempo font monter les enchères, et c’est le groupe El Planeta qui finit par l’emporter, tout d’abord grâce à
une offre financière plus alléchante : 338 millions de dollars, soit 28 millions de plus que celle du groupe Prisa. D’autre part, l’offre d’El Planeta est plus intéressante pour les Colombiens en termes de direction d’entreprise : la création d’un conseil de Fondateurs est proposée pour assurer le journal. Ce
conseil de Fondateurs, composé par neuf personnes, est découpée de la manière suivante : trois représentants de la famille Santos, trois représentants du groupe El Planeta, et trois personnes externes (proposées elles-mêmes par la famille Santos au groupe El Planeta qui opère une sélection finale). Ainsi, si le groupe appartient officiellement majoritairement aux Espagnols, il reste sous le contrôle de ses actionnaires traditionnels en termes de ligne éditoriale et de contenus, ce qui lui permet d’assurer sa continuité. Au final, la Casa Editorial El Tiempo est rachetée au double du prix initialement prévu, dans ce qui a été interprété comme
un coup de maître de la part de ses propriétaires, et notamment du négociateur de l’affaire, Luis Fernando Santos.
Mais le groupe espagnol Planeta ne compte pas s’arrêter à la presse et cherche à élargir ses propriétés médiatiques en Colombie. En 2009, il est un des
principaux intéressés par l’appel d’offres d’une troisième chaîne de télévision privée en Colombie (le pays ne dispose en effet que de deux chaînes nationales privées, Caracol et RCN). Trois groupes sont en lice pour l’appel d’offres au départ : Prisa (Espagne),
Cisneros (Venezuela), et Planeta. Mais après
moult péripéties et en raison de
la lourdeur et de l’opacité des procédures, les
deux premiers groupes se retirent de la course. La Commission Nationale de Télévision, censée gérer l’appel d’offres, se retrouve ainsi au cœur de
nombreuses polémiques lorsque le nombre de candidats pour la chaîne se retrouve réduit
à un seul groupe, dont les liens avec le nouveau président élu en 2010 sont étroits. Le Conseil d’État colombien finit par annuler
l’intégralité de la procédure d’attribution d’une troisième chaîne de télévision, en raison de l’absence de concurrents. Le groupe Planeta se retrouve donc freiné dans ses ambitions d’expansion internationale.
Suite à cet
échec cuisant (en termes d’investissement et d’ambitions), ainsi qu’aux importantes difficultés subies financières subies par les groupes médiatiques en Espagne après la crise économique de 2008, le groupe Planeta choisit de revendre ses parts de la Casa Editorial El Tiempo. Le groupe espagnol s’oriente également vers d’autres destinations dans la région : suite à la fusion d’une de ses chaînes (Antena 3) avec la Sexta (espagnole mais dont une partie du capital appartient au groupe mexicain Televisa), le président de Planeta souhaite avoir
plus de fonds pour racheter la part de l’entreprise mexicaine.
En mars 2012, c’est l’Organizacion Luis Carlos Sarmiento Angulo (OCSAL), appartenant au plus riche entrepreneur colombien,
qui rachète les parts de Planeta (55 %). Si le montant de la transaction n’est pas encore connu, il est estimé à
plus de 250 millions de dollars. Comme l’OCSAL disposait déjà d’un certain nombre d’actions rachetées auparavant aux membres de la famille Santos ou à des actionnaires minoritaires (33,37 %), elle devient la principale actionnaire du groupe, avec 88,37 % des actions. Le reste des actions (12 %) est détenu par Juana, Adriana, Rafael et Camilo Santos, et par la famille Abdon Espinosa.
El Tiempo redevient ainsi une entreprise essentiellement colombienne, mais avec un changement majeur : ce n’est plus la famille Santos qui est à sa tête.
Luis Carlos Sarmiento (photo ci-contre) est un
entrepreneur majeur en Colombie. Il a investi à travers deux grandes
holdings (Aval et Corficolombiana) dans de
nombreux secteurs : banque et finances, agro-industrie, énergie, gaz et mines, infrastructures, hôtellerie, industrie et immobilier.
El Tiempo représente la première incursion dans le monde des médias d’un homme plutôt connu comme « le banquier », ce qui suscite
de nombreuses controverses :
quelle sera l’indépendance d’un journal dont le propriétaire possède quelques-unes des principales banques colombiennes et de nombreuses entreprises stratégiques ? Parmi les raisons évoquées par la presse pour expliquer cet investissement risqué (compte tenu du défi affronté par la presse papier face à Internet), en plus du patriotisme de l’entrepreneur qui souhaitait que
El Tiempo «
revienne à des mains colombiennes », la volonté de celui-ci de faire du journal une partie d’un ensemble multimédia. Sarmiento espère en effet qu’un nouvel appel d’offres pour une troisième chaîne de télévision soit relancé dans un avenir proche.
D’autre part, son achat correspond à la tendance générale à la concentration dans le secteur des médias, observable en Colombie. La plupart des médias importants du pays ont en effet été rachetés par de grands conglomérats économiques : la famille Santo Domingo a acquis Caracol Television et le journal
El Espectador, Carlos Ardila Lülle détient les groupes de télévision et de radio RCN et des magazines importants.