Le livre évolue : faut-il tourner la page ?
Comment le livre opère-t-il sa transition numérique ? L’universitaire britannique Angus Phillips revient sur les principales transformations qui affectent actuellement la filière.
Comment le livre opère-t-il sa transition numérique ? L’universitaire britannique Angus Phillips revient sur les principales transformations qui affectent actuellement la filière.
Angus Phillips, directeur du Centre international d’études sur l’édition d’Oxford, livre une réflexion à l’échelle internationale sur les innovations numériques en cours dans l’industrie du livre. La période actuelle est décrite comme un temps « d’expérimentation et de changement », mais aussi comme un « temps de peur considérable » dans la mesure où les acteurs engagés sur le marché sont contraints de s’adapter. C’est ainsi qu’il compare l’impact du numérique à une marée montante (« digital tide ») dont les vagues successives se mettent peu à peu à tout recouvrir. Bien sûr, des « îlots de sable » restent inchangés et certaines parties du monde sont moins concernées, mais « comme Internet et la technologie mobile se propagent toujours plus loin, l'eau continue de monter », s’insinuant partout de manière progressive.
Tout au long de sa démonstration, Angus Phillips s’appuie sur une série d’entretiens menés auprès de professionnels du secteur et sur un appareil théorique pluridisciplinaire où la sociologie, la psychologie, l’économie et les neurosciences se côtoient. Selon lui, l’industrie du livre repose sur trois piliers – l’auteur, le lecteur et le droit de la propriété littéraire – dont les mutations récentes se répercutent sur l’ensemble de la filière.
Le numérique ouvre la voie à de nouvelles opportunités de publication pour les auteurs. Comme l’explique Angus Phillips, « n'importe qui peut maintenant publier un livre en version imprimée, en ligne ou sous forme d’e-book, et vendre directement son travail ». Avec la multiplication des plateformes et des solutions en ligne, l’autoédition semble désormais capable d’offrir aux auteurs « un accès rapide et direct au marché ». Dans le monde anglo-saxon, le phénomène a pris une telle ampleur que des écrivains autoédités s’invitent régulièrement sur la liste des best-sellers publiée par le New York Times. Parmi eux, citons le romancier John Locke, devenu célèbre pour avoir été le premier auteur autoédité à vendre plus de un million d’e-books sur Amazon, mais aussi Hugh Howey (la série Silo) et E. L. James (Cinquante Nuances de Grey).
Si « le marché de l’autoédition reste encore en voie développement », sa configuration actuelle laisse apparaître une répartition particulièrement asymétrique des revenus : selon une étude parue en 2012(1)
: 2007 sur les auteurs dits « professionnels » (ceux qui consacrent plus de la moitié de leur temps à écrire) : au Royaume-Uni, 10 % des auteurs les mieux payés concentrent 60 % des revenus, tandis qu’en Allemagne ceux-ci concentrent 41 % des revenus. De telles statistiques évoquent une structure de marché de type « winner-takes-it-all » (« le gagnant rafle la mise ») où la majeure partie des retombées profite à un nombre très restreint d’auteurs. Par ailleurs, l’autoédition n’implique pas nécessairement un positionnement à rebours du secteur éditorial traditionnel. Certains éditeurs disposent de leur propre plateforme d’autoédition(2)
, tandis que d’autres récupèrent des auteurs autoédités dont les œuvres ont rencontré un important succès(3)
. La trajectoire inverse est aussi possible, avec des auteurs dont la notoriété est liée au monde de l’édition traditionnelle, mais qui décident de commercialiser leurs livres directement auprès du lectorat, comme J.K. Rowling avec la version numérique d’Harry Potter(4)
.
Dans le sillage de ces transformations, Angus Phillips observe que la désintermédiation de la filière, la mondialisation de la diffusion des contenus, la convergence numérique et les nouveaux canaux par lesquels les œuvres sont découvertes constituent les principaux enjeux auxquels l’industrie du livre se trouve aujourd’hui confrontée. À rebours du mode d’organisation linéaire qui caractérise traditionnellement le secteur, le numérique tendrait à mettre en place une structure en réseau dans laquelle les éditeurs, les auteurs et les lecteurs interagissent ensemble.
À quoi ressemblera le livre dans le futur ? Au terme de son essai synthétique, mais riche en exemples, l’auteur affirme que l’avenir du livre dépendra surtout de la prochaine génération de lecteurs et d’écrivains. L’éducation familiale, les « groupes de lecture », les « programmes d’alphabétisation » ou encore « l’investissement des écoles et des bibliothèques » en faveur du livre, jouent dès aujourd’hui un rôle primordial dans la formation de la nouvelle génération qui se profile."Dave CORNFORD et Steven LEWIS, Not a Gold Rush, Taleist Self-Publishing Survey, 2012.
En 2011, J.K. Rowling se lance dans l’autoédition en diffusant sur son site Pottermore tous les titres de la série consacrée au jeune sorcier sous forme d’e-books. Selon Angus Phillips, l’idée n’est pas seulement de vendre des livres numériques, mais aussi d’entretenir une communauté en ligne autour de son univers romanesque.
Le mashup consiste à combiner des fragments d’un texte préexistant, généralement un classique de la littérature, avec un autre genre. Angus Phillips cite un exemple célèbre : le mélange d’un roman de zombie avec Pride and Prejudice de Jane Austen, qui a donné en 2009 Pride and Prejudice and Zombies.
L’association « Un Bout du Monde », créée en juillet, lance une levée de fonds destinée à renforcer la place des lecteurs et citoyens au capital du journal pour renforcer son indépendance. En France, d’autres médias, de moindre ampleur, ont déjà tenté l’expérience.