Le magicien d’Oz, Tarzan et Superman racontent l’histoire du transmédia
Le transmedia a une histoire. C’est ce que montre le chercheur Matthew Freeman à travers l’étude de trois œuvres emblématiques de la culture de masse au XXe siècle.
© Crédits photo : DR.
Le transmedia a une histoire. C’est ce que montre le chercheur Matthew Freeman à travers l’étude de trois œuvres emblématiques de la culture de masse au XXe siècle.
Le Transmedia Storytelling, défini par Henry Jenkins en 2006 dans son ouvrage Convergence Culture, met en exergue une stratégie de production qui vise à augmenter la narration d’une œuvre culturelle en l’éclatant sur plusieurs plateformes médiatiques – numériques ou non numériques. Le terme est certes assez récent mais les pratiques sont anciennes et permettent de comprendre les évolutions des industries culturelles et de l’écosystème médiatique. On peut, par exemple, considérer que la forme actuelle du Transmedia Storytelling est né de la convergence de trois évolutions significatives de l’environnement médiatique : une mutation technologique, qui voit une collision de plus en plus grande entre anciens médias et nouveaux médias ; une mutation narrative, marquée par l’introduction d’une plus grande continuité sérielle dans les productions audiovisuelles (séries télévisées et cinéma de divertissement hollywoodien) ; et une participation des publics, accrue par la production de contenus originaux et de sens.
Le Transmedia Storytelling dépend toujours de facteurs industriels.L. Frank Baum a par ailleurs déployé sa narration sous forme de continuité sérielle, à travers des affiches, des photos des paysages d’Oz, des romans, des comédies musicales, des comic strips et des faux journaux, introduisant de nouveaux personnages, les faisant circuler d’un média à l’autre, proposant de nouveaux points de vue à l’histoire et cartographiant ainsi les lieux. Le pari de l’auto-production, à travers la création de la Oz Film Manufacturing Company pour lui assurer le contrôle sur l’œuvre et ses extensions, le conduisit cependant à la faillite. On voit donc combien le Transmedia Storytelling dépend toujours de facteurs industriels, ici la « production de masse, les nouvelles technologies, la communication de masse, et plus spécialement, la publicité, qui a encouragé l’élaboration de narrations racontés comme des fictions transmédiatiques déployées sur plusieurs plateformes médiatiques » (p. 100).
La question du licensing et des franchises est quant à elle abordée à travers le cas de Tarzan, qui permet de comprendre l’importance des auteurs et du droit d’auteur dans une stratégie de narration transmédiatique. Mais surtout, comme le rappelle Matthew Freeman, « comprendre comment Edgar Rice Burroughs a construit les aventures de Tarzan comme un univers narratif à travers plusieurs médias signifie rétablir le contexte de l’émergence de la culture de la consommation qui a suivi l’industrialisation des premières décennies du XXe siècle » (p. 110). À travers la mise en place d’une franchise, l’auteur a réussi à créer une marque, l’univers Burroughian, reconnaissable par les publics, qui a débuté dans les magazines pulps pour ensuite se déployer sur d’autres médias comme des films, des romans, et des comic books lui permettant de garder un certain contrôle sur son œuvre. Il a réussi à créer un modèle de franchises en garantissant tous les droits, titres et intérêts de son travail à son entreprise.
Cette fragmentation de l’univers narratif de Tarzan a fait naître des frustrations chez les publics et une compétition entre les partenaires sous licence avec l’auteur.Grâce au développement de la culture de la consommation aux États-Unis, Burroughs a déployé sa narration à travers la commercialisation de produits de merchandising, permettant ainsi « à l’univers narratif de circuler au-delà des formes médiatiques et promotionnelles classiques pour inclure le merchandising ainsi que les produits franchisés, industrialisant la pratique du Transmedia Storytelling » (p. 131). Cependant, un problème de synergies entre les différentes industries ainsi que des problèmes de sous-licensing ont conduit à plusieurs incohérences dans la narration et la continuité sérielle de Tarzan et à la naissance d’une narration parallèle non coordonnée par Burroughs. Cette fragmentation de l’univers narratif de Tarzan a fait naître des frustrations chez les publics et une compétition entre les partenaires sous licence avec l’auteur, conduisant à une fragmentation des publics de Tarzan.