Couverture du livre Historicising Transmedia Storytelling

© Crédits photo : DR.

Le magicien d’Oz, Tarzan et Superman racontent l’histoire du transmédia

Le transmedia a une histoire. C’est ce que montre le chercheur Matthew Freeman à travers l’étude de trois œuvres emblématiques de la culture de masse au XXe siècle.

Temps de lecture : 4 min

Le Transmedia Storytelling, défini par Henry Jenkins en 2006 dans son ouvrage Convergence Culture, met en exergue une stratégie de production qui vise à augmenter la narration d’une œuvre culturelle en l’éclatant sur plusieurs plateformes médiatiques – numériques ou non numériques. Le terme est certes assez récent mais les pratiques sont anciennes et permettent de comprendre les évolutions des industries culturelles et de l’écosystème médiatique. On peut, par exemple, considérer que la forme actuelle du Transmedia Storytelling est né de la convergence de trois évolutions significatives de l’environnement médiatique : une mutation technologique, qui voit une collision de plus en plus grande entre anciens médias et nouveaux médias ; une mutation narrative, marquée par l’introduction d’une plus grande continuité sérielle dans les productions audiovisuelles (séries télévisées et cinéma de divertissement hollywoodien) ; et une participation des publics, accrue par la production de contenus originaux et de sens.

Matthew Freeman nous propose de découvrir cette histoire du Transmedia Storytelling à travers l’étude de trois cas emblématiques de changements qui ont façonné, chacun à leur manière, les pratiques de production et de réception, et qui ont émergé dans un contexte économique, culturel et social spécifique : The Wizard of Oz (Le Magicien d’Oz), Tarzan et Superman. Et cette histoire est, pour l’auteur, indispensable pour mieux comprendre les mécanismes de cette stratégie narrative et voir comment « le transmédia dépend d’un certain alignement entre les médias, l’industrie, les publics, les technologies qui éclatent un univers narratif sur plusieurs plateformes médiatiques » (p. 7). De même que revisiter les enjeux autour des anciens médias permet de mieux saisir ceux que posent les nouveaux médias et la convergence culturelle et technologique contemporaine.

L’importance de la culture de consommation et de la publicité : The Wizard of Oz (1900)

 

La stratégie mise en place autour de l’œuvre multiplateformes de Lyman Frank Baum prend ses racines dans l’apparition de l’industrie publicitaire et par ricochet d’une culture de la communication de masse croissante aux États-Unis. S’appuyant sur ces nouvelles techniques, l’auteur a « développé son univers fictionnel en utilisant les stratégies promotionnelles du spectacle, des personnages, couleurs, et affiches comme autant d’éléments narratifs » (p. 72). Dans la stratégie de Baum, par exemple, l’usage des couleurs comme indicateurs de lieux et localisations de l’histoire fonctionnait sur les multiples supports, invitant les publics à se repérer dans l’univers narratif grâce à ces motifs culturels, à ses itérations.
 
 Le Transmedia Storytelling dépend toujours de facteurs industriels. 
L. Frank Baum a par ailleurs déployé sa narration sous forme de continuité sérielle, à travers des affiches, des photos des paysages d’Oz, des romans, des comédies musicales, des comic strips et des faux journaux, introduisant de nouveaux personnages, les faisant circuler d’un média à l’autre, proposant de nouveaux points de vue à l’histoire et cartographiant ainsi les lieux. Le pari de l’auto-production, à travers la création de la Oz Film Manufacturing Company pour lui assurer le contrôle sur l’œuvre et ses extensions, le conduisit cependant à la faillite. On voit donc combien le Transmedia Storytelling dépend toujours de facteurs industriels, ici la « production de masse, les nouvelles technologies, la communication de masse, et plus spécialement, la publicité, qui a encouragé l’élaboration de narrations racontés comme des fictions transmédiatiques déployées sur plusieurs plateformes médiatiques » (p. 100).

Le phénomène du licensing et la question de l’auteur : Tarzan (1912)

La question du licensing et des franchises est quant à elle abordée à travers le cas de Tarzan, qui permet de comprendre l’importance des auteurs et du droit d’auteur dans une stratégie de narration transmédiatique. Mais surtout, comme le rappelle Matthew Freeman, « comprendre comment Edgar Rice Burroughs a construit les aventures de Tarzan comme un univers narratif à travers plusieurs médias signifie rétablir le contexte de l’émergence de la culture de la consommation qui a suivi l’industrialisation des premières décennies du XXe siècle » (p. 110). À travers la mise en place d’une franchise, l’auteur a réussi à créer une marque, l’univers Burroughian, reconnaissable par les publics, qui a débuté dans les magazines pulps pour ensuite se déployer sur d’autres médias comme des films, des romans, et des comic books lui permettant de garder un certain contrôle sur son œuvre. Il a réussi à créer un modèle de franchises en garantissant tous les droits, titres et intérêts de son travail à son entreprise.
 

 Cette fragmentation de l’univers narratif de Tarzan a fait naître des frustrations chez les publics et une compétition entre les partenaires sous licence avec l’auteur. 
Grâce au développement de la culture de la consommation aux États-Unis, Burroughs a déployé sa narration à travers la commercialisation de produits de merchandising, permettant ainsi « à l’univers narratif de circuler au-delà des formes médiatiques et promotionnelles classiques pour inclure le merchandising ainsi que les produits franchisés, industrialisant la pratique du Transmedia Storytelling » (p. 131). Cependant, un problème de synergies entre les différentes industries ainsi que des problèmes de sous-licensing ont conduit à plusieurs incohérences dans la narration et la continuité sérielle de Tarzan et à la naissance d’une narration parallèle non coordonnée par Burroughs. Cette fragmentation de l’univers narratif de Tarzan a fait naître des frustrations chez les publics et une compétition entre les partenaires sous licence avec l’auteur, conduisant à une fragmentation des publics de Tarzan.

Partenaires industriels et propagande de guerre : Superman (1938)

 

Superman, le célèbre personnage de DC Comics né en 1938, permet, pour finir, à Matthew Freeman de développer la notion de développement multiplateformes de personnage (character-building), qui correspond « à la construction et au développement d’un personnage fictif à travers la mise en place d’un passé, d’une apparence, de dialogue, psychologie, interactions avec d’autres personnages » (p. 146). À l’époque de Superman, personnage qui porte en lui des notions d’héroïsme, de combat, de force et d’espoir, les États-Unis rentrent en guerre et l’industrie cinématographique hollywoodienne et la radio sont utilisés pour supporter l’effort de guerre et délivrer des messages de propagande. DC a assuré la coordination de la narration autour de Superman et de son univers sur les multiples plateformes utilisées (comic books, cinéma et serials, feuilletons radiophoniques, pièce de théâtre) pour garantir une cohérence et un développement signifiant des personnages dans le but de déplacer les publics d’une plateforme à l’autre. Mais c’est bien la propagande de guerre qui a permis le déploiement de l’univers Superman, notamment à travers les films et leurs nombreux slogans, les téléfilms et les romans envoyés aux militaires déployés en Europe. L’objectif était de mettre en avant une continuité narrative, de souligner l’héroïsme et le patriotisme de Superman, d’introduire des ennemis – notamment Lex Luthor – qui allaient ensuite suivre Superman sur les différents médias. La synergie entre les différentes industries culturelles en ces temps de propagande de guerre a assuré l’évolution du Transmedia Strorytelling et notamment le développement de personnages forts et iconiques sur plusieurs plateformes médiatiques. Comme le souligne Matthew Freeman : « les régulations ont amené à des partenariats industriels et ont conduit à une variété de stratégies pour construire et développer des personnages de fiction à travers des publications, la radio, le cinéma et la télévision pendant les années 1940 et 50 » (p. 180).
 
L’ouvrage de Matthew Freeman nous permet de comprendre les origines du Transmedia Storytelling pour mieux saisir et capter l’écosystème médiatique contemporain et les enjeux des industries culturelles. Freeman nous montre comment les régulations, les synergies et les enjeux de production et de distribution, qui existaient bien avant la convergence technologique actuelle, ont façonné l’émergence de narrations transmédiatiques et ont favorisé la construction d’univers narratifs. Les exemples choisis par l’auteur mettent aussi en évidence l’importance de l’industrie des comic books – qui repose sur des continuités sérielles, sur le développement de personnages et sur la mise en place de backstories – dans l’élaboration d’univers narratifs.

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